CHRONIQUE REVENU MINIMUM GARANTI

Entre l’utopie et le pétard mouillé

Il y a des gens qui ont dû sourciller en apprenant que le premier ministre Philippe Couillard, au terme du Forum des idées pour le Québec, organisé par le Parti libéral du Québec le week-end dernier, était ouvert, avec prudence, à l’idée d’établir au Québec un revenu minimum garanti.

Le revenu minimum garanti (RMG) ou revenu universel en Europe, ou encore « basic income » chez les anglophones, est un transfert gouvernemental, versé sans condition à tous les citoyens, pour remplacer par un revenu de base les multiples formes d’aide publique – aide sociale, crédits d’impôt, allocations familiales, etc. Cette vieille idée, qui a plu autrefois à des penseurs très conservateurs, fait davantage rêver la gauche depuis une décennie.

D’où la méfiance que pourrait susciter l’intérêt que lui porte le gouvernement libéral. Surtout chez ceux qui s’opposent au projet de loi 70 prévoyant des pénalités pour les nouveaux bénéficiaires de l’aide sociale qui refuseraient de participer à un parcours d’insertion.

Ça fait toutefois un certain temps que le gouvernement Couillard s’y intéresse. La réflexion sur le RMG faisait partie du mandat confié au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale François Blais, qui avait travaillé là-dessus comme universitaire. Le ministre des Finances Carlos Leitao en parlait dans son budget. Les deux ministres ont enfin créé il y a quelques semaines un comité d’experts chargé de se pencher sur la question et de remettre un rapport l’été prochain.

Si le concept n’est pas nouveau – la commission Macdonald, celle qui nous a proposé la TPS et le libre-échange, en parlait en 1984 –, il a un regain de popularité.

Les Suisses ont rejeté l’idée d’un revenu de base en juin. Les Néerlandais et les Finlandais y consacrent des projets-pilotes. À Ottawa, le gouvernement Trudeau s’y intéresse, d’autant plus que le ministre Jean-Yves Duclos s’est déjà penché sur le dossier dans sa vie d’économiste.

L’intérêt nouveau s’explique en grande partie par la crise financière et ses effets sur la pauvreté et sur l’accroissement des inégalités sociales. Certainement aussi par les transformations de l’économie et du marché du travail, auxquelles les politiques sociales classiques sont mal adaptées.

Théoriquement, les avantages sont nombreux. La simplification administrative et l’élimination d’une pléthore de programmes coûteux à administrer. Une plus grande inclusion, en réduisant la stigmatisation dont souffrent les bénéficiaires d’aide publique. Une augmentation de la liberté individuelle. Une façon d’atténuer les coûts importants pour les prestataires de l’aide sociale dans leur passage au marché du travail.

Le RMG peut être un puissant outil de justice sociale s’il assure un niveau de revenu décent et sort des gens de la pauvreté. Cet avantage majeur du concept est aussi son inconvénient le plus important, parce que les coûts seront considérables si ses objectifs de redistribution sont ambitieux. Le philosophe belge Philippe Van Parijs, celui qui a contribué à remettre cette idée sur les rails et qui a rencontré le ministre François Blais à ce sujet, estime qu’un tel programme coûterait 56 milliards au Québec, plus de la moitié du budget actuel du gouvernement. À l’inverse, un RMG trop bas ne fera rien pour lutter contre la pauvreté.

Il y a d’autres inconvénients. D’abord, le risque que ce paiement garanti réduise l’incitation au travail, quoiqu’on ne sache pas à quel point ce risque est élevé, ou encore s’il varie d’une société à l’autre. Ensuite, le fait que ce RMG uniforme pénalise certaines clientèles.

Ça, c’est la théorie. En pratique, le mandat confié par Québec au comité d’experts est beaucoup plus modeste – il n’engloberait pas l’aide sociale, l’allocation ne serait pas universelle. Il s’agirait bien davantage d’une simplification et d’une intégration des programmes qui aurait pour objectif premier d’encourager l’incitation au travail.

Qu’est-ce que j’en pense ? Honnêtement, je ne le sais pas. Tout dépend de ce qu’on entend par revenu minimum garanti, de la façon dont on l’implante, si cela pourra aider à mieux lutter contre la pauvreté.

J’attends de voir ce que les experts mandatés par le gouvernement auront à dire dans leur rapport. Et je resterai prudent pour éviter deux pièges de ce débat.

D’abord, les effets de mode. Comme pour le salaire minimum à 15 $ – le copier-coller mal adapté d’une mesure californienne –, on risque de s’enflammer pour une mesure séduisante, sans vraiment réfléchir à sa portée.

Ensuite, le flou sémantique. Le revenu minimum garanti est un concept-accordéon, qui peut décrire une chose et son contraire. Pour certains, il décrit une véritable révolution sociale qui relève de l’utopie, et pour d’autres, une réforme administrative axée sur la bonne gestion et l’incitation au travail.

À ce sujet, le Monde diplomatique citait cet été le directeur de recherche de l’Agence de sécurité sociale de Finlande : « Parler d’instaurer un revenu garanti sans préciser ce que l’on entend par là revient à discuter de l’adoption d’un félin sans dire si on pense à un chaton ou à un tigre ».

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