Chronique

Malaise à l’asile

Au hasard d’un furetage sur le web, je suis tombé sur un article qui parlait d’un « parcours de la peur » organisé dans la Vieille Prison de Trois-Rivières. Nommée Délirium, cette expérience où des personnages « vivent une réalité inquiétante » est présentée depuis quelques jours à l’occasion de l’Halloween. « Cette année, on voulait explorer la santé mentale », a expliqué l’un des concepteurs à un journal local. À partir de là, l’équation « horreur et santé mentale » a suscité chez moi une certaine perplexité.

Je me suis donc rendu à Trois-Rivières jeudi soir pour vivre cette expérience et voir si ce que je redoutais s’avérait. Une fois sur place, à l’heure dite (des groupes de dix personnes entrent toutes les quinze minutes pour effectuer le parcours d’une heure), j’ai pénétré avec quelques autres spectateurs dans ce cadre censé rappeler les asiles d’autrefois (on ne veut pas préciser l’époque).

Rapidement, notre groupe a été laissé en plan par le gardien qui nous avait accueillis. Des patients (qui se font passer pour des médecins) sont ensuite intervenus et nous ont ordonné de faire diverses choses afin de nous faire vivre des situations inquiétantes. En effet, me retrouver seul dans une cellule plongée dans l’obscurité la plus totale en ne sachant pas si un personnage étrange se cachait sous l’un des lits n’est pas la sensation la plus agréable que j’ai éprouvée dans ma vie.

Tout au long du parcours, des cris de détresse, des portes de métal qui claquent, des hurlements de gardiens et des bruits d’électrochocs composent une trame de fond qui attise nos sentiments de frayeur. Difficile de dire s’il y a vraiment une histoire derrière cette « expérience immersive », mais s’il y a une seule notion « didactique » que l’on peut retenir, c’est peut-être l’autoritarisme qui se dégage de tout cela. Cette tyrannie a longtemps régné dans les asiles et est encore dénoncée de nos jours dans certaines institutions.

À ceux qui m’ont dit, pour défendre ce type de démarche, que j’allais vivre une expérience de théâtre immersif, je réponds tout de suite que nous ne sommes pas en face de la même chose. Le but de ce freak show est de faire peur, point.

Après une heure de cris et de bruits assourdissants, je suis ressorti de là en éprouvant un curieux sentiment, celui de voir qu’on exploite sans vergogne la maladie mentale « pour faire peur au monde », comme dirait Robert Charlebois.

Les hommes et les femmes qui vivent des troubles psychiatriques souffrent terriblement. Or, c’est cette même souffrance que l’on utilise pour épouvanter les spectateurs. Et tout cela pour la somme de 29 $.

Alors qu’on tente par tous les moyens de combattre les préjugés au sujet des maladies mentales, j’ai beaucoup de mal à comprendre qu’une telle initiative puisse avoir lieu en 2018. Toutes les associations ou fondations travaillant en santé mentale que j’ai consultées ont été consternées d’apprendre l’existence de ce parcours. Les dirigeants de l’Association québécoise des parents et amis de la personne atteinte de maladie mentale (AQPAMM), l’Association des Groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) et Action Autonomie (le collectif de défense des droits en santé mentale de Montréal), tout en reconnaissant le droit à la liberté d’expression, éprouvent un « malaise » devant une telle manifestation.

« Ça vient détruire tout le travail qui est fait contre les préjugés », m’a dit Valérie Provencher, porte-parole de l’AQPAMM.

« Vous savez ce que nous disent les malades ? Ils nous disent que ce qui est le plus difficile pour eux, c’est de lire la peur dans le regard des autres. Et là, on fait payer le public pour venir voir des gens qui jouent leur souffrance. »

— Valérie Provencher

Ce que je trouve encore plus aberrant dans cette affaire, c’est que personne ne voit les choses de cette façon. La Vieille Prison relevant du musée POP de Trois-Rivières, j’ai fait part de mon sentiment à Claire Plourde, porte-parole de l’institution. Le but, selon elle, est de montrer que des problèmes de santé mentale ont lieu dans les prisons. Si c’est le cas, ce message ne m’apparaît pas clair du tout.

Quant à Jean-Philippe Marcotte, directeur de Personare, la compagnie qui offre le parcours tous les soirs, le but n’est pas de « rire » ou de « banaliser » la réalité de ceux qui ont une maladie mentale.

Pourrait-on créer un parcours de la peur à partir du thème du VIH/sida ou des pensionnats ? m’ont demandé des intervenants du domaine de la santé mentale. Il y aurait un énorme tollé et cela se comprendrait parfaitement. Pourquoi alors en créer un autour d’un problème aussi dramatique que celui de la santé mentale ?

Sur son site, Tourisme Mauricie présente ce happening sordide en disant que « la Vieille Prison prendra l’allure d’un asile psychiatrique d’un temps révolu, où on employait des pratiques douteuses ».

Cette notion du passé est une sorte de licence pour ce concept. Parce que cela s’est déroulé à une autre époque, on peut en faire un parcours d’horreur.

Mais le schizophrène qu’on mettait dans une camisole de force il y a quelques années, c’est le même aujourd’hui. Le malade qui vit dans son monde et qui parle tout seul en marchant, c’est le même aujourd’hui. On les voit dans les rues de Montréal, on les côtoie, on éprouve parfois une gêne, mais on peut très bien voir que ces gens portent en eux une douleur indicible.

Alors, de grâce, n’en rajoutons pas. Ne faisons pas d’eux des monstres. Ne les mettons pas dans la même catégorie que les zombies, les vampires et les fantômes. Ne mélangeons pas la fiction et la réalité.

La vie nous procure déjà suffisamment de moyens d’avoir peur, il n’est pas nécessaire d’en créer de nouveaux.

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