Chronique

Attrapez-les par la chatte

Le message est clair pour les médecins du Québec : coucher avec une patiente, bof, y a rien là. Ça vous vaudra trois mois de radiation. Coucher avec deux patientes ? C’est trois mois aussi ! On vous fait un prix de gros, au très sympathique Conseil de discipline des médecins.

Je vous parle ici de l’affaire du Dr Roger Hobden. Mais je pourrais en citer 10. Je pourrais en citer 20. Toujours ce même discours bidon de « tolérance zéro ». Et à la fin, toujours cette même complaisance. Et une radiation de deux, trois mois. Même quand il y a plusieurs inconduites.

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Le Dr Hobden a été condamné par la cour criminelle à neuf mois de prison à purger « dans la collectivité » pour des attouchements sexuels sur une ballerine de 17 ans qu’il traitait. Les faits remontent à 1997, mais la victime se dit profondément blessée, se sent encore manipulée.

On a affaire ici non seulement à une « inconduite sexuelle », non seulement à un abus de confiance, mais carrément à une infraction criminelle. En Ontario, même une « simple » inconduite vaut un minimum automatique de cinq ans de radiation.

Ici, la syndique du Collège des médecins a présenté une suggestion commune avec l’avocat du médecin pour cette agression : 15 mois de radiation. Comme le médecin est confiné à domicile de toute manière pendant neuf mois par la cour criminelle, ça ne laisse toujours que six mois de plus à ne pas exercer la médecine.

Pendant l’enquête de la syndique, on a découvert que le médecin avait eu des relations sexuelles multiples avec deux autres patientes. La syndique a recommandé trois mois pour chacune de ces inconduites. Mais pour bien faire, on a suggéré que ces radiations soient purgées de manière « concurrente », c’est-à-dire en même temps, plutôt que de s’additionner. On n’a pas fait la preuve de « traumatisme » dans ces cas – comme si l’inconduite ne supposait pas un abus de pouvoir, et donc des conséquences.

Dans cette mathématique magique, 15 plus 3 plus 3 égalent 15.

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Je parle de ce cas, mais j’en ai recensé à la pelletée, exactement de la même farine.

Chaque fois, la décision des trois membres du Conseil de discipline (deux femmes et un homme, au fait) est rédigée de la même manière. Au départ, les mots sont forts !

« Le Conseil de discipline du Collège des médecins martèle depuis plusieurs années le principe de la tolérance zéro puisque les inconduites de nature sexuelle sont une faute grave, majeure et elles doivent être sévèrement réprimées. »

Oh, il va en manger toute une, le docteur, vous vous dites…

Ils en rajoutent : « Les trois infractions ont été commises en cours de traitement, d’où le déséquilibre du rapport de force entre l’intimé et ses patientes. […] Les infractions n’ont pas le caractère de geste isolé ou de moment d’égarement. »

Tout ça est « très grave », qu’ils écrivent ! Et n’oublions pas, le « premier critère » à considérer, c’est « la protection du public », mesdames et messieurs. Exercer une profession, c’est un privilège ! Il faut que ce soit « dissuasif » et « exemplaire », comme sanction. Oui, madame, exemplaire !

Ayoye, ça va frapper fort…

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Eh ben non.

On apprend que le médecin est un professionnel remarquable, ainsi qu’en témoignent 12 lettres d’institutions culturelles où il a travaillé. Un sacré bon docteur. On apprend qu’il est repentant. Qu’il est suivi en thérapie.

Et à la fin, on comprend. Toute la sympathie, toute l’empathie, toute la compassion vont au médecin. Ils se mettent dans sa peau. Ça se sent, ça se lit, ça transpire de partout.

Il y a même cette phrase sublime, qui suit un passage où le médecin expose son amour de l’art et des artistes : « La pureté du geste ou la noblesse de ses sentiments ne peuvent excuser le geste. »

La pureté de ses intentions, n’est-ce pas touchant ?

Je ne dis pas que ce médecin n’est pas excellent. Ou qu’il ne vit pas des heures sombres. C’est évident que oui.

Mais savez-vous quoi, mesdames et messieurs du Conseil de discipline ? Il n’y a pas de criminel heureux, non plus.

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Et à la fin de tout cet exercice, la conclusion en chiffres dit exactement le contraire de tous les beaux principes qui sont « martelés ».

Non, ce n’est pas grave, coucher avec des patientes – même une mineure. Ben non, y en a pas de tolérance zéro, voyons donc. Ben oui, la femme est traumatisée 20 ans plus tard, pis après ?

Voilà ce que ça dit, cette décision, comme toutes les décisions de ce Conseil de discipline, et toute cette jurisprudence honteuse.

Oui, honteuse, parce que mensongère. On peut parler d’une culture du viol légalisé, cette fois, ce n’est pas trop dire. Même le président du Collège des médecins est scandalisé par les décisions concoctées par les syndics de son ordre professionnel. Mais voyez-vous : les précédents pourris nourrissent les décisions pourries. On se réfère aux décisions complaisantes de 2005, on dit « y a rien qu’on peut faire », ou encore, comme dans ce cas, « c’est dans le bas de la fourchette ». Une fourchette sans dents, en plus… La seule fois que le Conseil a osé s’écarter d’une suggestion commune pour infliger trois ans au lieu de neuf mois (c’est cinq ans automatique en Ontario, je répète), le Tribunal des professions lui a dit qu’il s’écartait de sa jurisprudence !

Le plus beau de ce système, c’est qu’en cas de « suggestion commune », il n’y a jamais d’appel.

Si vous n’en voulez pas, de tolérance zéro, dites-le. C’est peut-être mauvais, la tolérance zéro. On dirait que vous trouvez ça.

Parce qu’en ce moment, vous écrivez « tolérance zéro », et moi je crois entendre Donald Trump : « Attrapez-les par la chatte. »

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