Garderies

Pourquoi les éducatrices sont-elles sous-estimées ?

Les éducateurs – qui sont surtout des éducatrices – de la petite enfance sont sous-estimés, selon Sandra Chang-Kredl, professeure adjointe au département des sciences de l’éducation de l’Université Concordia et… ex-éducatrice. « Quand on pense à la garde d’enfants, on pense aux besoins des enfants, des parents et de la société, mais rarement à ceux des éducateurs », note-t-elle. La Presse l’a jointe pour parler de l’opinion publique à leur égard.

Les éducateurs de garderie sont-ils réellement sous-estimés ?

Je crois certainement que les éducateurs sont sous-évalués dans notre société. Cela se reflète dans leurs faibles conditions de travail et rémunération, et dans leur statut de non-professionnels, peu qualifiés. Culturellement, ils sont comparés à des gardiens et souvent dépeints comme des substituts inférieurs aux soins d’une mère. Je ne peux pas vous dire combien de fois j’ai entendu des éducateurs exprimer leurs frustrations à propos des préjugés des gens sur leur travail.

Vous croyez que l’on confond la tâche de l’éducateur avec celle du parent ?

Oui. Les familles sont en train de changer, et les pères sont impliqués dans tous les aspects de l’éducation des enfants. Mais plusieurs personnes croient, encore aujourd’hui, que l’idéal pour l’enfant de moins de 5 ans est d’être à la maison avec maman. Les mères doivent donc être altruistes, se sacrifier et aimer sans fin, ce qui soutient l’hypothèse que le travail avec de jeunes enfants est censé être fait volontairement, naturellement et par amour. C’est injuste pour les éducateurs de la petite enfance et injuste pour les mères.

Est-ce aussi une question d’égalité des sexes ?

Dans la tradition féministe, la garde des enfants est considérée comme une nécessité pour permettre aux femmes d’être sur le marché du travail. Mais il y a une ambivalence, et même un dénigrement, dans la façon dont nous percevons les éducateurs de la petite enfance, dont 97 % sont des femmes au Canada.

Alors que la parentalité est considérée comme une fonction honorable, la société est parfaitement à l’aise d’estimer que les femmes qui prennent soin des enfants à l’extérieur de la maison n’ont pas à s’attendre d’avoir un statut ou une indemnisation adéquats. Cela n’a pas de sens pour moi. Il peut être utile d’essayer de comprendre cette croyance sociale indirectement, notamment par nos récits populaires.

Vous prenez l’exemple du film d’animation Coraline, dans un article que vous avez publié récemment dans la revue Journal of Media & Cultural Studies.

Dans ce film d’horreur pour enfants, Coraline, 10 ans, déménage dans une nouvelle maison avec ses parents. Elle découvre une porte qui mène à un monde qui est exactement comme le sien, avec des versions doublées de sa mère, de son père et des voisins. La différence est que ces gens ont de gros boutons noirs à la place des yeux.

L’Autre Mère semble offrir tout ce qui manque à Coraline chez sa vraie mère. Coraline est séduite, jusqu’à ce qu’elle apprenne que pour rester dans cet autre monde, elle doit laisser Autre Mère coudre des boutons sur ses propres yeux. Lorsque Coraline refuse l’offre, Autre Mère change rapidement, de mère charmante à monstre répugnant. […] Tout cela pour dire que Coraline a un bon scénario, qui renforce toutefois une croyance qui va à l’encontre de l’intérêt des femmes qui prennent soin des enfants. Cette croyance, c’est qu’elles devraient le faire par amour, de façon désintéressée, sans aucun égard pour elles-mêmes.

Vous croyez que les éducateurs devraient avoir une formation universitaire ?

Oui. La petite enfance est une étape critique dans le développement d’une personne. La faible formation et les bas salaires reflètent une croyance profonde, selon laquelle l’éducation et les soins fournis à la garderie sont moins précieux, ou exigent moins de compétences, que ceux qui sont donnés dans les écoles primaires et secondaires.

Dans notre société, les enseignants doivent continuellement lutter pour leurs droits. On n’a qu’à regarder la situation actuelle, au Québec. Cette dévaluation des enseignants est amplifiée dans l’éducation à la petite enfance. Il y a cette perception erronée de l’éducation comme étant uniquement de la transmission : « Si vous pouvez attacher vos chaussures, vous pouvez enseigner au préscolaire. »

Mais en Angleterre, les éducateurs sont formés et payés autant que les enseignants des écoles primaires et secondaires ! Le problème pour notre société, c’est ce qui suivrait : il faudrait payer les éducateurs en conséquence.

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