Opinion : Aménagement du territoire

Un ancrage de l'identité collective

La première tâche qui m’incomberait à titre de ministre d’État au Territoire et à l’Architecture serait de présenter à l’Assemblée nationale du Québec un livre vert esquissant les grandes lignes d’une éventuelle politique et précisant les ambitions et les modalités d’une approche transversale de ma responsabilité ministérielle.

Le document ministériel aurait pour objectif premier de fonder le préambule de la future loi qui serait calqué sur celui de la Charte de la langue française, qui constitue, à cet égard, une exception notable dans le corpus législatif québécois. À cet effet, le livre vert reconnaîtrait d’emblée que l’aménagement du territoire québécois est, dans toutes ses déclinaisons – urbanisme, architecture, architecture de paysage, design urbain, génie civil, aménagement rural et agroforestier –, un des principaux ancrages de l’identité collective et une responsabilité politique et citoyenne partagée.

Ce document emprunterait la définition généreuse de son objet et sa hauteur de vue au livre vert Pour l’évolution de la politique culturelle qu’avait produit Jean-Paul L’Allier en 1976, alors qu’il était ministre des Affaires culturelles. Comme ce dernier, le livre vert pour une politique du territoire et de l’architecture viserait à faire partager par l’ensemble des ministères, des agences gouvernementales, des sociétés d’État et des partenaires indispensables et à part entière que sont les municipalités locales et régionales, les communautés métropolitaines et les commissions scolaires, une vision ambitieuse, intégrée et cohérente de l’avenir de nos territoires. Il insisterait notamment sur la nécessité de rompre définitivement avec des pratiques toujours trop étroitement conditionnées par une conception de l’économie des ressources héritée de l’époque coloniale et par une définition utilitariste de l’architecture et des autres pratiques de construction de l’établissement.

Il rappellerait que la production des cadres bâtis, la préservation et la mise en valeur du patrimoine architectural, urbain et paysager, la protection des territoires et des activités agricoles, la mise en place des grands équipements et des infrastructures, la protection de l’environnement, la mise en tourisme des attraits et l’exploitation des ressources naturelles constituent les diverses déclinaisons d’un rapport éminemment culturel au territoire conçu à la fois comme un héritage et un projet non réductibles à leur seule dimension économique.

Mise en cohérence

Ce rappel, même s’il ne remet pas radicalement en cause le découpage ministériel des missions de l’État, supporterait la revendication d’une mise en cohérence de l’action publique par ailleurs difficilement réalisable dans un contexte caractérisé par des démarches en silos. Aussi le livre vert insisterait-il sur la nécessaire mise en œuvre de mécanismes de coordination interministérielle, d’imputabilité et de reddition des comptes destinés à contrebalancer l’effet silo.

Le livre vert ferait par ailleurs valoir que la reconnaissance de la responsabilité des élus ne saurait faire de l’aménagement du territoire, toutes échelles confondues, l’apanage de ces derniers et des parties prenantes les plus influentes.

Il explorerait en conséquence diverses modalités d’une participation citoyenne dont l’exercice, en plus de susciter et de valoriser davantage les apports des citoyens à la planification, à la conception des projets et à l’aménagement concret des communautés, serait susceptible d’alimenter l’émergence d’une culture aménagiste largement partagée et solidement ancrée dans les spécificités du territoire québécois.

Pour étayer cette exploration, le livre vert proposerait un retour sur diverses initiatives menées par différents acteurs au cours des dernières décennies ou en cours, dont les États généraux du monde rural (1991), les États généraux du paysage québécois (1998), les États généraux de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme (2006), l’alliance Ariane pour une politique nationale de l’aménagement et de l’urbanisme (lancée en 2015) et la Conversation publique pour une politique nationale de l’architecture à laquelle l’Ordre des architectes du Québec conviera la population ce printemps.

Place aux organismes 

Ces initiatives ont fait et font présentement place aux préoccupations et aux réflexions de membres d’organismes professionnels, dont l’ordre des urbanistes, l’ordre des architectes, l’ordre des ingénieurs, l’ordre des agronomes, l’association des architectes paysagistes, l’association des aménagistes régionaux, l’association des géographes professionnels. Mais elles ont également et diversement mobilisé bon nombre d’autres acteurs provenant d’organismes divers – Vivre en ville, Héritage Montréal, Solidarité rurale, Union des producteurs agricoles, regroupement des conseils régionaux en environnement, etc. – ou du monde universitaire, ainsi que de « simples » citoyens intéressés par ces questions.

De tels lieux de réflexion et de mobilisation constituent par conséquent autant de points d’ancrage et de relais sur lesquels une politique nationale du territoire et de l’architecture doit miser pour faire de l’aménagement de l’établissement et de ses communautés constitutives un réel projet collectif.

Mais, pour qu’un tel livre vert devienne le déclencheur d’une mobilisation de tous ceux pour qui le projet de territoire importe, encore faudrait-il qu’on reconnaisse sur la colline Parlementaire la pertinence de ce qui est une des déclinaisons de ce qui s’est déjà appelé un projet de société.

* L’auteur est également chercheur, Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier, Université de Montréal

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