Pêche

La crevette dans l’eau chaude

Le Québec a perdu la moitié de ses crevettes : les stocks du golfe du Saint-Laurent ont diminué de 50 % durant la dernière décennie. Les coupables : le réchauffement des eaux, mais aussi le retour de certains poissons de fond, dont le redoutable sébaste.

1990

Au début des années 90, les années d’eau très froides ont favorisé l’effondrement du stock de poissons de fond, déjà sous pression avec la surpêche. La situation a profité aux crustacées, particulièrement à la crevette.

2004

Année record pour la crevette, selon les relevés de biomasse de Pêches et Océans Canada

Chute

« Durant les 10 dernières années, la biomasse de crevettes nordiques dans le golfe du Saint-Laurent a diminué de 50 % », confirme le biologiste Hugo Bourdages, de Pêches et Océans Canada. Entre 2015 et 2016, les spécialistes du Ministère ont calculé une baisse de 30 %. La chute est donc draconienne. Et rapide. Malgré cela, les stocks de crevettes nordiques sont toujours considérés comme « sains ».

La réaction

Les quotas de pêche à la crevette ont été réduits : durant les années les plus fastes, les pêcheurs pouvaient recueillir 37 000 tonnes de crevettes dans le golfe. Cette année, la limite a été établie à 27 000 tonnes. La saison a commencé il y a deux semaines en Gaspésie. Mauvaise nouvelle : moins de crevettes pêchées va faire monter le prix à la poissonnerie…

Plus chaud !

Le réchauffement général des eaux des zones côtières de l’est du Canada et des États-Unis que l’on observe maintenant provoque le déplacement de l’habitat pour certaines espèces qui migrent vers le nord, incluant dans le golfe du Saint-Laurent. Le mouvement est assez rapide, explique le professeur Dominique Robert, de l’Institut des sciences de la mer de l’Université du Québec à Rimouski.

Quatre poissons de fond se multiplient

Le flétan du Groenland

Le flétan atlantique

La morue

Le sébaste

Une situation exceptionnelle

Le phénomène observé avec le sébaste est exceptionnel et en partie inexplicable, dit Marie-Claude Côté-Laurin, biologiste chez Merinov, centre de recherche en pêche et en aquaculture. « Une importante cohorte de 2011 a eu un taux de survie au-delà de la normale », dit-elle. Toutes les conditions positives étaient réunies. Les deux années suivantes ont aussi été favorables à la survie du sébaste.

6 degrés

Les eaux du golfe du Saint-Laurent se divisent en plusieurs couches. C’est dans celle du fond que vivent le sébaste et la crevette. Et depuis 2009, la température de cette eau, située à plus de 250 m de profondeur, ne cesse de se réchauffer, explique le physicien Peter Galbraith, de l’institut Maurice-Lamontagne. « Chaque année, on bat le record de l’année précédente », explique ce scientifique. Les dernières données calculent une température moyenne de 6,1 et 6,2 °C pour l’ensemble des eaux profondes du golfe, ce qui comprend donc des pics de 7 °C, du jamais vu depuis 100 ans que l’on fait ces relevés, s’étonne encore Peter Galbraith. Pour le sébaste, c’est une excellente nouvelle. Pour la crevette, beaucoup moins.

Le sébaste…

est un poisson rouge qui se pêche peu, puisqu’il y a un moratoire depuis 1995

a une chair blanche, un peu rosée, assez tendre

est un poisson qui vit très longtemps, plus de 50 ans et même jusqu’à 75 ans pour les plus vieilles femelles

met une dizaine d’années avant de devenir adulte

mange des crevettes, environ 10 % de son alimentation – avec le nombre qu’il y a présentement, cela devient très préoccupant

est cannibale, car adulte, il mange aussi des petits sébastes…

« C’est une marrée rouge dans le golfe du Saint-Laurent. Il y a présentement 80 fois plus de sébastes juvéniles qu’une situation normale. »

— Dominique Robert, professeur à l’Institut des sciences de la mer de l’Université du Québec à Rimouski

2000 tonnes

Les pêcheurs ont droit à 2000 tonnes de sébastes pour tout le golfe du Saint-Laurent, aujourd’hui. Avant le moratoire, lorsque les stocks étaient en santé, les quotas oscillaient entre 40 000 et 100 000 tonnes.

revirement de situation

C’est en 2018 que les premiers sébastes de la cohorte miraculeuse de 2011 auront atteint la taille commerciale. Pêches et Océans Canada va évaluer l’hiver prochain si oui ou non il y aura augmentation des quotas dès l’année prochaine. On peut toutefois s’attendre à une reprise de la pêche commerciale au sébaste dans les années à venir. C’est tout un revirement pour ce poisson que l’on songeait à inscrire sur la liste des espèces menacées de disparition.

bonne nouvelle, mais...

Selon Marie-Claude Coté-Laurin, c’est une bonne nouvelle, car ça apporte une nouvelle protéine marine locale dans l’assiette des Québécois. « Et c’est délicieux », précise la biologiste. Il faut toutefois que la pêche soit faite de façon durable, dit-elle, avec des chaluts qui n’endommagent pas les fonds marins et des filets qui limitent les prises accidentelles.

ailleurs dans le golfe

La situation des renouvellements des stocks de poissons est différente dans le nord et le sud du golfe du Saint-Laurent, selon les espèces. Dans le nord, de Tadoussac jusqu’à Terre-Neuve, les stocks de morue s’améliorent rapidement (et elle aime aussi la crevette…), alors que ce n’est pas le cas dans le secteur des îles de la Madeleine, où les phoques, particulièrement le phoque gris, se régalent… de petites morues !

Qu’est ce qu’on pêche au Québec ?

Crevettes nordiques : 16 529 tonnes

Crabe des neiges : 14 538 tonnes

Homard : 5182 tonnes

Flétan du Groenland : 2969 tonnes

Flétan de l’Atlantique : 543 tonnes

Morue de l’Atlantique : 473 tonnes

Sources : MAPAQ, 2016, d’après les données de Pêches et océans Canada

916

Nombre de permis de pêche commerciale en eau marine, pour le Québec

Et le crabe ?

La pêche au crabe des neiges est commencée depuis la fin du mois de mars au Québec. Dans le nord du golfe, dans le secteur de Gaspé et de Rivière-aux-Renard, les pêcheurs ont une baisse de quotas, de 7 %. Ceux des secteurs d’Anticosti ont une baisse autrement plus importante, 44 %, mais à la hauteur de Rimouski, Tadoussac, jusqu’à Sainte-Anne-des-Monts et aux îles de la Madeleine, la pêche est en hausse, car deux cohortes de crabes muent en même temps, un phénomène exceptionnel. Dans la zone 12, de la baie des Chaleurs jusqu’à Gaspé, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard, la saison de pêche commence la semaine prochaine.

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