Opinion : Enfance

L’écolier à la découverte de son esprit

À la différence de l’enfant dont le cerveau du bas est enclin à se déréguler, l’adulte moyen sait faire appel à ses ressources corticales du haut pour intégrer ses débordements émotifs à la logique des choses.

Mardi dernier, à la cafétéria du CHU Sainte-Justine : 

« Lasagne ou macaroni ?

— Hier, on a eu droit à de la lasagne, me semble ?

— De la végétarienne, docteur. Aujourd’hui, elle est… à la viande ! »

Dévasté par la prévisibilité intolérable des menus hospitaliers quand on la contextualise à notre trop court passage sur terre, au lieu de piquer une crise, je me connecte à la partie de moi qui n’est pas contrariée. En pareilles circonstances, l’adulte mature peut exercer sa capacité de choisir le comptoir à salades ou, mieux, plonger dans le sourire de Céline, la préposée aux plats chauds qui prend si bien soin de ses affamés : 

« Il y a de petits brocolis dans le macaroni, Dr Chicoine, c’est nouveau, ça va vous faire du bien. »

Pour que le cerveau du bas donne intégralement le relais au cerveau du haut, il faut compter 25 ans de développement cérébral tributaire de l’expérience parentale et de tout un écosystème sensible, disponible et profondément entraînant.

Alors, attention avant de jouer les Cassandre, d’en appeler d’un diagnostic trop hâtif devant l’enfant qui dérange, se replie ou s’étiole, à défaut d’atterrir à l’école.

À 7 ou 8 ans, un cerveau n’arrive pas à pleinement dompter son attention, sa motivation et sa disposition à se mettre à la tâche, c’est naturel.

Le surévaluer avant de l’outiller, comme c’est devenu l’effroyable propension au Québec, c’est rendre vite pathologiques les rapports de l’enseigné avec l’instruction.

Le plus souvent, le cancre qui dit non à son professeur n’est atteint ni d’un TDAH, ni de dyslexie, ni d’autisme, ni d’un sauf-conduit pour la drogue, il est à se construire un discours intérieur apte à lui permettre de mieux se réguler pour s’épanouir dans une conscience grandissante.

Youhou, p’tit homme, t’es là ou sur la nouvelle planète ?

La liste aux origines de l’impermanence est éclectique à explorer : le manque de sommeil, le sentiment d’infériorité, le trop peu d’heures de sport et de jeux libres, son crayon tenu n’importe comment. Aussi, des souffrances expliquant le décalage émotionnel, Le tambour de Günter Grass pour symbolique.

On devrait plus souvent inférer au déficit d’intention que d’attention, rappelle pragmatiquement ma collègue orthopédagogue Marie-Claude Béliveau.

En niant la régulation progressive du cerveau de l’enfant au profit d’évaluations présomptueuses et coûteuses, on séquence le développement de l’écolier, on l’empêche d’aller à la découverte de son propre esprit. Des tests en neuropsychologie sont souvent parlants, et parfois salvateurs – comme pédiatre, je ne saurais plus m’en passer – mais il ne faut les commander qu’après avoir saisi le portrait fonctionnel de l’apprenant.

Quels sont les besoins de la fillette, les stratégies à instaurer pour lui donner envie de son sac d’école ?

Pas surprenant qu’en surmédicalisant et en surneuropsychologisant, on se retrouve actuellement avec des milliers d’étiquettes chez les adolescents parvenus sur les fesses aux études supérieures avec, à revoir leurs trajectoires rompues, trop peu d’aide experte, que des béquilles diagnostiques.

Étapismes

Tôt, un passage accompagné du bébé aquatique au bébé aérien, son observation attentive par sa famille, le dépistage des déficits auditifs, les visites du CLSC, ces fondations permettent déjà de moduler les apprentissages futurs. Ses parents sauront-ils alterner présence et absence pour individualiser leur tout-petit et l’autoriser un jour à se passer d’eux ?

Durant la première enfance, ses parents, les médecins, ses éducatrices, des infirmières, sont les mieux placés pour dépister les travers développementaux à contenir en CPE, au besoin par des ateliers adaptés ou de l’ergothérapie. L’enfant au petit poids de naissance, forgé à l’anxiété parentale ou aux multiples recompositions familiales pourrait révéler une expérience relationnelle fragilisée, accablante pour sa scolarité. Dort-il encore avec sa mère ? Lui parle-t-on de son père qu’il ne voit plus ?

Enfin, on en est certain, l’apport précoce des orthophonistes sur le langage et la parole est en lien direct avec la prévention des troubles de la lecture ou de l’écriture à l’origine d’incohérences relationnelles anticipées avec l’enseignant.

Autour de la maternelle, le blocage de nombreux enfants sur le terrain des apprentissages s’explique également par la pauvreté des expériences positives qu’ils auront eues avec des adultes insuffisamment apaisants ou occupés ailleurs. Leurs manières d’attachement et leurs conflits de loyauté retrouveront leur triste continuité sur les bancs d’école.

Ainsi, l’agressivité d’un enfant de 4 ou 5 ans est une véritable urgence à adresser à un psychoéducateur ou à une travailleuse sociale.

Au primaire, les maths ou l’orthographe n’arrivent pas à faire le poids avec la terreur intérieure qui mobilise ces écoliers qui ont peur d’être « perdus à l’esprit ». Sans la présence directe d’une technicienne en éducation spécialisée ou d’une enseignante avec laquelle ils exercent une communication privilégiée, ces enfants insécurisés ou blessés flippent ou désespèrent, sans sentir les choses exister autour d’eux, et pour eux. Ici, retarder leur première année aurait été plus soulageant.

L’investissement total d’un professeur aidé de l’expertise incontournable d’un orthopédagogue ou d’un psychologue scolaire reconnectent nombre d’enfants morcelés ou mal alignés. Dans l’impossibilité d’y arriver, on parlera alors, non plus de difficulté d’apprentissage, mais de trouble d’apprentissage, justifiant ici parfaitement l’investigation psychométrique, psycho, neuropsychologique ou autre.

Frais alternatifs

Le pétage de bretelles autour de la cessation des frais accessoires est de la poudre aux yeux du point de vue des services nécessaires au bon entretien des apprentissages scolaires.

Une maigre disponibilité des expertises pour les familles pauvres, des coûts prohibitifs pour les classes moyennes, l’évanescence du ministère de l’Éducation, l’intransigeance du ministère de la Santé, bref, sans le privé, il est dorénavant devenu impossible de bien servir les enfants et leurs droits.

Abracadabrantesque, qu’il disait.

La solution ? Se déréguler publiquement ?

Même comme adulte, mais au nom des enfants.

Mais comment concocter une mutinerie quand il n’y a plus de capitaine ?

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