De Pyongyang à PyeongChang... en passant par Montréal

Deux Québécois sont derrière l’étonnante qualification de patineurs artistiques nord-coréens aux Jeux olympiques

L’histoire a fait le tour du monde le week- end dernier : les patineurs nord-coréens Ryom Tae-ok et Kim Ju-sik sont devenus les premiers athlètes de leur pays à se qualifier pour les Jeux de PyeongChang (en Corée du Sud) en patinant sur l’air d’une chanson de… Ginette Reno !

L’explication ? Deux spécialistes québécois, l’entraîneur Bruno Marcotte et la chorégraphe Julie Marcotte (sa sœur), ont travaillé avec les patineurs l’été dernier à Montréal, et leurs conseils les ont guidés jusqu’à cette sixième position au Trophée Nebelhorn, en Allemagne, qui leur assure une place dans la compétition olympique.

La présence du couple à PyeongChang est encore loin d’être acquise, la Corée du Nord n’ayant pas confirmé sa participation, mais c’est à un détour au Québec qu’ils la devront, s’ils y vont. Laissons Bruno et Julie démêler cette histoire…

« J’avais vu Tae-ok et Ju-sik l’année dernière en compétition, mais nous n’avions eu aucun contact », raconte Bruno Marcotte, entraîneur québécois réputé notamment pour son travail avec les doubles champions du monde Meaghan Duhamel (sa femme) et Eric Radford. « Je les ai revus aux Championnats d’Asie, où je supervisais un couple sud-coréen, puis encore aux Mondiaux, où ils s’étaient beaucoup améliorés [15es]. C’est là que nous avons commencé à échanger.

« Ils aiment beaucoup Meaghan et Eric et souhaitaient travailler avec nous. Nous avons convenu qu’ils pourraient venir s’entraîner au Québec et j’ai commencé à préparer les choses. »

« Ce n’est jamais simple avec la Corée du Nord… Au-delà de la barrière linguistique, il fallait régler une tonne de formalités, et les dates du séjour restaient imprécises. Puis, tout à coup, on a reçu un message qui annonçait leur arrivée ! »

— L’entraîneur Bruno Marcotte

« Moi, je ne les avais jamais rencontrés, explique Julie Marcotte. Je ne les connaissais pas du tout et là, ils arrivaient un mois plus tard que prévu alors que je partais en vacances. Je leur ai d’abord dit que c’était dommage, mais que ce ne serait pas possible pour moi de travailler avec eux… Je voyais toutefois bien qu’ils étaient déçus… Ils ont fini par me convaincre en expliquant qu’ils avaient mis tous leurs espoirs dans ce voyage.

« Encore fallait-il trouver une musique, concevoir un programme long. Je ne les connaissais pas, je ne savais pas ce qu’ils aimaient. Avec la langue, c’était difficile d’en savoir beaucoup, mais j’ai compris qu’ils voulaient quelque chose avec de la puissance et de l’émotion. Je leur ai donc fait écouter plusieurs airs, sans obtenir de bonnes réactions d’abord. »

Puissance et émotion

« J’ai alors pensé : on est au Québec et qui, au Québec, chante avec plus de puissance et d’émotion que Ginette Reno ? Dès qu’ils ont entendu Je ne suis qu’une chanson, ils sont devenus très émus, les larmes aux yeux. Ils ont voulu comprendre les paroles – je les ai vus se servir de Google Translation – et j’ai dû leur expliquer qu’il fallait interpréter ça au deuxième niveau. Ils étaient toutefois déjà tombés en amour avec cette chanson. »

« Nous avons eu quelques jours pour placer la chorégraphie, avant mes vacances écourtées à l’extérieur du pays, poursuit Julie Marcotte Je ne savais pas trop comment communiquer. Je n’étais pas sûre que je pouvais les toucher, pour les guider dans un geste, par exemple, mais leur entraîneur m’a rassurée, et il n’y a pas vraiment eu de barrière entre nous.

« Ils [Ryom et Kim] sont tellement dédiés à leur sport et ils montrent une telle gratitude à ceux qui les aident. En tout, ils sont restés au Québec environ un mois et demi, et je les ai revus avant leur départ, quand ils ont pris part aux Championnats québécois d’été à Pierrefonds. Il s’agissait de leur première compétition avec le nouveau programme long, et c’était vraiment émouvant. »

« La langue va toujours rester un problème, mais ce sont des athlètes chaleureux et passionnés », assure Bruno Marcotte, qui était à leurs côtés à Oberstdorf, le week-end dernier, quand ils ont assuré leur qualification olympique. 

« C’est vraiment agréable de travailler avec eux, d’autant plus qu’ils sont tellement reconnaissants, continuellement. Leur programme long a été très bien reçu par le public allemand et, après leur qualification, tout le monde était heureux pour eux. On ne sait pas s’ils iront aux Jeux, la décision ne leur appartient pas, mais c’est déjà remarquable qu’ils aient pu faire si bien dans un contexte où ils subissaient beaucoup de pression. »

« Le patinage artistique est un sport exigeant, rappelle Julie Marcotte. On travaille de longues heures dans un environnement pas toujours confortable avec une chance aux quatre ans d’aller aux Jeux. Les résultats peuvent être cruels, et il faut vraiment être passionné. Mais ce sont des histoires comme celle de ces patineurs nord-coréens qui sont nos plus belles récompenses. »

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