DÉCRYPTAGE

Les démons de l’antisémitisme

De Paris à Washington en passant par Londres, les manifestations et les accusations de haine se multiplient

Ça vient de partout. De France, notamment, où quelques gilets jaunes ont profité de leur dernière manifestation hebdomadaire pour insulter le philosophe Alain Finkielkraut, le traitant de « sale sioniste de merde » qui, selon eux, méritait de mourir. De Grande-Bretagne, aussi, où sept députés travaillistes ont claqué la porte de leur parti, invoquant comme motif l’antisémitisme de leur chef James Corbyn.

De Washington, également, où la représentante démocrate Ilhan Omar a dû s’excuser après avoir suggéré que l’appui des États-Unis à Israël « se résume à une question d’argent », perpétuant ainsi un vieux stéréotype antisémite. Et, finalement, de Jérusalem, où le nouveau ministre des Affaires étrangères Israel Katz s’est lancé dans une diatribe accusant les Polonais d’avoir « sucé l’antisémitisme avec le lait de leur mère » – faisant ainsi déraper un sommet qui devait réunir quatre pays d’Europe de l’Est en Israël.

Chacun de ces quatre événements récents s’inscrit dans un contexte propre. Mais dans chaque cas, une expression ou une accusation d’antisémitisme s’est retrouvée au cœur du débat politique, ce qui en dit long sur le climat de notre époque.

Le débat a été particulièrement vif en France, où les attaques contre Alain Finkielkraut ont été précédées et suivies par une série d’actes de vandalisme prenant pour cible la communauté juive.

Profanations de tombes, croix gammée sur un portrait de Simone Veil, ancienne ministre rescapée des camps de la mort, et des dizaines d’autres gestes haineux de même acabit.

« Relents de nazisme »

Le phénomène a soulevé un haut-le-cœur collectif et mardi, des milliers de manifestants ont protesté à Paris et ailleurs en France contre la vague d’antisémitisme.

Cette nouvelle vague, version française, se nourrit « d’anciens relents de nazisme, de courants complotistes et d’islamisme », souligne Marie Lamensch, coordonnatrice de l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne. Et elle se propage à la faveur des réseaux sociaux qui ont banalisé les discours haineux.

La multiplication d’actes antisémites ne survient pas dans le vide, renchérit Daniel Amar, directeur général du Musée de l’Holocauste de Montréal. 

« Partout dans le monde, nous assistons à une montée du populisme, une montée de l’intolérance, une montée des discours identitaires. La planète est de plus en plus clivée et toutes les minorités en font les frais. »

— Daniel Amar

Et l’internet a libéré cette parole de haine, faisant disparaître les anciens « filtres ».

Sans être les seuls, les Juifs sont particulièrement visés par cette nouvelle vague de haine.

Selon une enquête conduite par l’Agence de l’Union européenne pour les droits fondamentaux dans les communautés juives de 13 pays de l’UE, 89 % des répondants estiment que l’antisémitisme s’est accentué dans leur pays depuis cinq ans, et 85 % jugent qu’il s’agit d’un problème grave. Plus d’un répondant sur quatre affirme avoir subi du harcèlement antisémite au moins une fois au cours des 12 derniers mois. Chez ceux qui s’affichent comme Juifs, en portant une kippa, par exemple, ce pourcentage monte à 37 %.

Enfin, une forte majorité (72 %) des personnes interrogées dans le cadre de cette vaste recherche étaient également préoccupées par la montée de l’intolérance à l’égard des musulmans.

Que faire face à cette vague de haine ?

Cette semaine, le président Emmanuel Macron a dénoncé « une résurgence de l’antisémitisme inédite depuis la Seconde Guerre mondiale ». Du même souffle, il a annoncé que la France considérerait dorénavant l’antisionisme comme une manifestation d’antisémitisme.

Dans la sphère politique

Ce qui a propulsé le débat dans une nouvelle sphère : celle d’une confrontation politique. D’un côté, des députés français réclamant d’aller encore plus loin et d’adopter une loi pénalisant l’antisionisme. De l’autre, des commentateurs et politiciens protestant contre ce qu’ils perçoivent comme une contrainte abusive.

Aux yeux des premiers, le manifestant qui hurle « sale sioniste de merde » veut en réalité dire : « sale Juif ». Aux yeux des seconds, l’antisionisme est d’abord et avant tout l’expression d’un point de vue politique que partagent, entre autres, certains Juifs.

Considérer l’antisionisme comme une expression raciste équivaut à une « erreur historique », écrit le journaliste René Backmann dans Mediapart, site français d’information indépendant.

« L’antisionisme a été et demeure la position de nombreux Juifs qui ne jugent pas que leur place est en Israël, et qui ne peuvent pas pour autant être accusés d’antisémitisme. »

— René Backmann, dans Mediapart

Tout dépend, finalement, du sens que l’on donne à ce concept, et du contexte dans lequel il est utilisé. Pour certains, comme Daniel Amar, « le sionisme a été un mouvement de libération du peuple juif » – et le condamner équivaudrait à rejeter cette libération.

D’autres y voient plutôt le prétexte brandi par Israël pour justifier la politique d’occupation des territoires palestiniens. Et dans ce contexte, interdire toute expression d’antisionisme risquerait de bâillonner ceux qui veulent critiquer cette politique… pour le plus grand bonheur de la droite israélienne.

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