Chronique

Coupable d’un crime inexistant

Dans l’analyse d’une plainte criminelle, un procureur doit franchir trois étapes avant d’accuser quelqu’un.

Premièrement, y a-t-il eu un crime ? Deuxièmement, a-t-on identifié le bon suspect ? Et troisièmement, est-on « raisonnablement convaincu » de pouvoir établir sa culpabilité ?

Dans le cas de Gerry Sklavounos, l’analyse s’est arrêtée à la première étape. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) « conclut qu’aucun acte criminel n’a été commis ».

Ce n’est donc pas un de ces cas, troublants, où le procureur est moralement convaincu qu’une infraction a été commise mais qu’il ne sera probablement pas capable de le prouver.

C’est un cas où le procureur conclut qu’il n’y a tout simplement pas eu d’agression sexuelle.

Hier, la députée Manon Massé a répété sa solidarité avec la plaignante. « Vous ne me ferez jamais dire qu’Alice a menti », a-t-elle déclaré aux journalistes à Québec.

La solidarité avec les victimes d’agression sexuelle est une belle chose. Sauf qu’ici, ce n’est pas parce que le ministère public n’avait pas de « preuves suffisantes », comme elle a supposé. C’est parce qu’on a conclu à une absence totale de crime.

Autrement dit, on n’est pas dans les eaux troubles des versions équivoques qui s’entrechoquent et qui rendent impossible une condamnation pour cause de doute raisonnable. Même pas. On est sur le terrain de l’absence même d’infraction.

Qu’importe, Mme Massé « croit » la version d’Alice Paquet.

Mais… quelle version, exactement ?

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Seulement dans les versions données dans les médias par la plaignante, il y avait quantité de contradictions.

Je rappelle comment cette affaire a été révélée. L’automne dernier, deux jeunes hommes se sont introduits dans la résidence des étudiantes de l’Université Laval et auraient commis des attouchements aux dépens de plusieurs d’entre elles.

L’événement a entraîné la tenue d’un rassemblement aux chandelles au cours duquel plusieurs ont pris la parole pour dénoncer la « culture du viol ». Parmi elles, une jeune femme a dit qu’elle avait été agressée, mais qu’on avait voulu « protéger l’agresseur parce qu’il a un siège à l’Assemblée nationale ».

Dès le lendemain, on identifie le député Sklavounos comme le suspect. Il est exclu du caucus libéral.

Alice Paquet va aussitôt se confier à divers médias et sur Facebook. On apprend que les événements seraient survenus à l’été 2014, mais qu’elle n’a porté plainte qu’en mars 2016. La police ne l’a nullement dissuadée de porter plainte, comme on croyait : c’est plutôt son entourage qui l’a mise en garde. En fait, après sa plainte, c’est elle, a-t-elle admis, qui n’a pas donné suite aux appels téléphoniques de l’enquêteuse.

Elle a cependant déclaré avoir fait faire une « trousse médicolégale » après l’agression. Il s’agit d’un examen médical et de prélèvements qui doivent servir de preuve dans une affaire de viol.

D’après TVA, cette trousse n’a jamais existé.

Après trois jours d’entrevues, la jeune femme n’avait toujours pas rappelé la police. Elle l’a finalement fait et l’enquête a connu sa conclusion en décembre. On sait aujourd’hui l’analyse qu’en a faite le DPCP : pas de crime.

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Je reviens donc à ma question : « on croit » quelle version, exactement ? On ne connaît pas le contenu de la déposition qu’elle a livrée à la police de Québec ni ce que l’enquête a révélé ensuite.

A-t-elle « menti » pour autant ?

Pas nécessairement. Ça se peut, ne plus être certaine. Ne plus savoir jusqu’où on a dit oui. Dans une de ses versions, d’ailleurs, Alice Paquet disait qu’elle était consentante au début.

Elle n’a pas nécessairement menti, d’accord. Mais savez-vous quoi ? C’est plate à dire, elle a peut-être menti.

Eh oui, il est arrivé dans l’histoire de l’humanité qu’un être humain sympathique mente. Je propose une visite guidée du palais de justice à ceux que cette affirmation audacieuse choque.

Ou alors… elle a menti juste un peu ? Ou elle est mêlée ? Ou elle a exagéré, dans l’espèce de tourbillon médiatique irrésistible où elle a été entraînée ? Cette sorte de show qu’elle n’a pas choisi et où elle est devenue un symbole de toutes celles, innombrables, qui souffrent en silence ? Piégée par le personnage qu’on voulait lui faire jouer ? Pensez donc : victime d’un député ! Et libéral ! Et une odeur de cover-up

Je ne sais pas.

Ce que je sais, c’est qu’on ne répare pas des milliers d’agressions non dénoncées en déclarant par avance et imprudemment « je te crois » à quiconque viendra lancer une accusation. Quand tout s’écrase, ça ne fait que décourager les victimes silencieuses.

Pour combattre l’impunité, il faut de bonnes enquêtes, une bonne preuve. Faut commencer par aller voir la police et donner suite aux appels de l’enquêteuse avant ceux des recherchistes des bulletins d’information.

À la fin, on a condamné publiquement un homme contre qui il n’y avait que du vent. Injuste, sans doute. Il restera dans l’esprit de bien des gens coupable d’un crime qui n’a pas existé.

Ça ne donne pas pour autant un billet de retour dans le caucus du PLQ, qui a le droit d’analyser l’ensemble de son comportement et de sa moralité.

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