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YouTube a-t-il avalé vos enfants ?

Les ados et quantité de préados ont les yeux rivés sur YouTube. Comment avoir l’œil sur le contenu d’une aussi gigantesque vidéothèque où le meilleur côtoie le pire ?

« La télé a débarqué de leur vie depuis que YouTube y est entré », dit François Richer, en parlant de son fils de 16 ans et de sa fille de 10 ans. Ses enfants, comme de nombreux autres ados et préados, ont les yeux rivés sur la populaire plateforme. Qu’est-ce qu’ils regardent ? Allez savoir. Il cite d’emblée Cyprien, youtubeur que sa fille adore. Pour le reste, il doit s’informer… auprès de ses enfants.

Que ce père de famille ne sache pas ce que ses enfants regardent en ligne n’est pas si étonnant. YouTube est accessible en tout temps sur de multiples appareils, mobiles ou non. Et on ne passe pas notre temps à regarder par-dessus l’épaule de nos enfants quand ils ont un téléphone ou une tablette à la main…

« YouTube prend une place grandissante, en particulier chez les 12-15 ans », a constaté Christine Thoër, professeure au département de communication sociale et publique de l’UQAM, qui dirige une recherche sur le visionnement connecté chez les adolescents. Qu’est-ce que les jeunes y regardent ? Des vidéos drôles. Ou encore des tutoriels pour apprendre des choses utiles… ou pas.

Surtout, ils regardent des youtubeurs, c’est-à-dire des gens qui se filment et diffusent des vidéos où, face à la caméra, ils font part de leurs observations, jouent à des jeux vidéo ou parlent tout simplement de leur vie. Souvent en cherchant à faire rire. Parfois, c’est inspiré ; parfois, ce l’est moins… Parfois, c’est juste vulgaire.

Guider son enfant

Ce qui inquiète bien des parents, c’est l’absence de repères. Alors que, à la télévision, des indicateurs comme l’heure de diffusion, la chaîne et l’âge recommandé permettent de pressentir si le contenu d’une émission est approprié ou non pour les enfants ou les ados, il n’existe rien de tel sur YouTube.

« On est loin de Télé-Québec qu’on éteint à 9 h parce qu’il n’y a plus de petits bonshommes. »

— Anne B. Godbout, maman d’enfants de 9 et 7 ans

Elle connaît Cyprien et juge ses vidéos « correctes ». Ce qui ne la rassure qu’à moitié. « Je ne peux pas savoir s’il va faire une vidéo inappropriée la semaine prochaine », dit-elle. Caroline Simard, mère d’un garçon de 12 ans, trouve que Norman – un autre youtubeur français très suivi – « va un peu trop dans les relations hommes-femmes ». Elle est toutefois à l’aise avec la majorité des choix de son fils. « Si ça rentre trop dans la sexualité, si c’est cru, si c’est sexiste, ça ne passe pas », précise-t-elle toutefois.

Craindre que son enfant n’aboutisse sur du matériel trop vieux pour son âge – une peur répandue parmi les parents – n’a rien de farfelu. Puisque l’utilisateur passe d’une vidéo à l’autre en faisant des recherches par mot-clé ou en suivant les recommandations automatisées, le risque de s’égarer sur YouTube est bien réel. C’est arrivé à la toute jeune fille d’Anne B. Godbout, qui est tombée par hasard sur un documentaire portant sur des écoles à vocation particulière, dont la prostitution…

Inquiet de voir ses enfants aboutir à des images extrêmes (porno, violence, etc.), François Richer a installé des contrôles parentaux sur ses appareils et il gère aussi les heures où le signal WiFi est disponible dans sa maison. Son fils de 16 ans a trouvé un moyen technique de contourner l’interdiction. « J’essaie de contrôler ce qu’ils regardent, mais je perds le contrôle », admet le père de famille.

Suivre son enfant

Normand Landry, professeur à la TÉLUQ et spécialiste de l’éducation aux médias, croit qu’il est trop tard pour espérer superviser les activités en ligne par des moyens techniques. « Si c’est bloqué à la maison, c’est ouvert à l’école ou chez les amis, sur les cellulaires, sur les tablettes, fait-il valoir. Il est plus facile de suivre les jeunes dans leur cheminement médiatique que d’essayer de les empêcher d’y accéder. »

Or, pour accompagner ses enfants dans leurs choix, il faut s’intéresser à ce qu’ils regardent sur YouTube.

« Les ados ont le sentiment que leurs parents ne comprennent pas ce média et ne s’y intéressent pas non plus. »

— Christine Thoër, professeure au département de communication sociale et publique de l’UQAM

« Peut-être que si les parents s’intéressaient plus à YouTube, ils comprendraient mieux ce que les jeunes y trouvent », soulève Christine Thoër.

Les ados ne cliquent pas sur n’importe quoi. Ils choisissent des youtubeurs qu’ils trouvent drôles, intéressants et avec lesquels ils se sentent des affinités. À l’inverse, ils évitent aussi les vidéos dont les thèmes ne les branchent pas. Ce qu’ils recherchent, c’est de l’authenticité. Même dans une vidéo consacrée au maquillage, ce sont les moments où la youtubeuse parle de sa vie ou de l’école qui accrochent le plus les jeunes, selon les recherches menées par Christine Thoër.

Regarder YouTube, même seul, aurait même quelque chose de social : les jeunes ont l’impression de faire partie d’un groupe d’amis. Plusieurs youtubeurs proposent en effet à leurs fans de leur écrire et réagissent ponctuellement dans leurs vidéos aux messages reçus. « Ça, c’est vraiment important, souligne la professeure de communication. Le fait de savoir que ce lien existe, que ce dialogue est possible, ça donne aux jeunes un sentiment de proximité. »

La superstar

PewDiePie (Suède)

57 millions d’abonnés

Top français

Cyprien

11 millions d’abonnés

Norman

10 millions d’abonnés

Squeezie

9 millions d’abonnés

Première au Québec

Emma Verde

718 000 abonnés

Conseils aux parents

Regardez YouTube avec vos enfants

Caroline Simard, mère d’un garçon de 12 ans, a justement développé une relation de confiance avec son fils en s’intéressant à ce qu’il regardait. « Il m’a toujours montré les youtubeurs qu’il suit, dit-elle. Comme il verbalise beaucoup et qu’il rit, ça me va. Il est souvent dans la cuisine quand il regarde YouTube. Je suis bien avec ça. » S’il s’enfermait dans sa chambre, elle admet qu’elle ne serait pas aussi zen.

Encouragez vos enfants à s’abonner

Inciter ses enfants à s’abonner à leurs youtubeurs préférés est une bonne façon d’encadrer leur utilisation de la plateforme de diffusion, estime le site américain Common Sense Media, qui fait de l’éducation aux médias. En s’abonnant, l’enfant risque moins de fouiner de manière plus ou moins aléatoire dans l’immense vidéothèque et de tomber sur du contenu qui n’est pas de son âge.

Surveillez les suggestions

Les propositions listées à la droite de l’écran ont une certaine parenté avec le contenu visionné précédemment et donnent une idée de ce que notre enfant regarde. Un fan de Cyprien ou de ThreadBanger se fera suggérer d’autres vidéos au propos semblable. Jeter un coup d’œil à l’historique donne le même genre d’information.

Investiguez

Common Sense Media suggère de faire quelques recherches sur les youtubeurs ou les chaînes favorites de ses enfants. Il est aussi conseillé de lire les commentaires qui suivent les vidéos pour avoir une idée du genre de communauté qui s’est formée autour d’un créateur. Une section de commentaires soignés est un signe positif, selon le site américain.

Parlez-en avec vos enfants

Pourquoi tel youtubeur ? Qu’est-ce qui les attire ? Y a-t-il des chaînes qu’ils évitent ? Si les manières de l’un ou l’autre heurtent vos valeurs, engagez la conversation. Dire « non » ne suffit pas. « Les jeunes sont intelligents, ils sont capables de comprendre, mais ils ont leur propre logique, leur propre échelle de valeurs, souligne Normand Landry, spécialiste de l’éducation aux médias à la TÉLUQ. Si on n’en tient pas compte, on n’arrive pas à entrer en contact avec eux et nos interventions s’en trouvent diminuées. »

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