mind.me

Une appli pour mieux gérer la dépression ?

La société montréalaise Mind Mental Health Technologies s’apprête à lancer une application mobile intelligente (mind.me) dont l’objectif est de détecter les épisodes dépressifs de ses utilisateurs.

Les symptômes de la dépression commencent à être connus. Difficulté à se concentrer ou à dormir, perte d’appétit (ou tendances boulimiques), manque de motivation, de conversation, faible estime de soi, fatigue généralisée, idées noires, voilà autant d’éléments qui, combinés, peuvent mener à une dépression.

Les fondateurs de mind.me se sont posé la question : parmi toutes les données que nos téléphones intelligents sont capables de recueillir, n’y a-t-il pas moyen de détecter ces signaux et d’avertir l’utilisateur ou les membres de son entourage proche que « ça ne va pas » ?

Sylvain Perron et ses acolytes Jonathan Levitt et Richard Zeidel, de l’agence montréalaise Circle 6, se sont dit que oui.

Si vous activez l’écran de votre téléphone plusieurs fois par nuit, il y a de bonnes chances que vous ne dormiez pas. Si vous annulez des rendez-vous, vous refusez des appels ou vous sortez rarement de chez vous, on pourrait conclure à une forme d’isolement. Des réponses laconiques peuvent aussi traduire une humeur cafardeuse. Le téléphone intelligent peut fournir toutes ces informations.

« En combinant ces données, on est capable de raconter une histoire, nous dit le cofondateur de mind.me, Sylvain Perron. Évidemment, l’utilisation que chacun fait de son téléphone varie d’une personne à l’autre, donc l’analyse des données est toujours fonction de votre comportement habituel. Ce sont les changements qui sont intéressants à noter. »

L’algorithme, qui tient compte de plusieurs données liées aux symptômes de la dépression, a été testé auprès de 700 utilisateurs dans les derniers mois (dans 22 pays et en 4 langues). L’application aurait réussi à détecter des épisodes dépressifs dans une proportion de 91 % – après 14 jours d’utilisation.

recueillir DES DONNÉES

Quelle utilité peut avoir cette application auprès de personnes qui savent déjà qu’elles sont dépressives ?

« Quand on vit un épisode dépressif, notre jugement peut être floué », nous dit l’autre cofondateur Jonathan Levitt, qui vit avec la dépression depuis une quinzaine d’années. « Ça peut prendre du temps avant de réaliser qu’il y a des changements dans notre comportement. L’application peut nous aider à en prendre conscience. »

Les données recueillies par l’application peuvent aussi être utiles pour savoir si un antidépresseur est efficace ou non, croit Jonathan Levitt. Ou si on se dirige vers un mur. Si je prends conscience de mon état, je vais prendre des mesures pour éviter que ça ne dégénère, parce qu’une fois dans la spirale, c’est difficile de s’en sortir. »

Intervenir dès les premiers symptômes de la dépression dans notre quotidien, voilà une des clés du traitement, croit le psychiatre torontois Roger McIntyre, associé au projet de mind.me. « Comme pour toutes les maladies chroniques, plus vite on intervient, plus on a de chances de réduire l’intensité et la durée des épisodes dépressifs. »

ÉVALUER LES CAUSES

« En Amérique du Nord, la dépression est la première cause d’incapacité, en particulier chez les jeunes », note le chef de l’unité de pharmacologie des troubles de l’humeur du Réseau universitaire de santé (UHN) à Toronto.

« Notre plus grand défi est donc d’évaluer rigoureusement les causes de cette maladie pour offrir le meilleur traitement et le meilleur suivi possible. »

— Roger McIntyre, psychiatre

Est-ce que l’utilisation généralisée de cette application mobile pourrait inciter les gens à s’autodiagnostiquer une dépression ?

« Au contraire, je crois qu’on leur donne des outils de mesure précis qui vont réduire les cas de faux diagnostics, répond le Dr McIntyre. La collecte de données utiles exige beaucoup de temps et d’efforts et la vérité, c’est qu’une personne dépressive n’a souvent pas l’énergie et la motivation de faire ce travail d’évaluation. Sa rétroaction est souvent partielle et incomplète. »

Dans tous ces cas, on peut présumer que les futurs utilisateurs de mind.me téléchargeront l’application parce qu’ils sont conscients de leur état dépressif. Mais qu’en est-il des personnes qui ne savent pas encore qu’elles ont des symptômes de dépression ? Il n’y a pratiquement aucune chance qu’elles installent l’application puisqu’elles ignorent encore ce qu’elles ont…

« C’est effectivement notre défi si on veut agir à ce stade primaire de la maladie, convient Sylvain Perron. Je crois que l’entourage de la personne qui présente des symptômes de dépression pourrait l’encourager à installer l’application pour y voir plus clair. Il y a quand même de 10 à 15 % de la population qui a des problèmes de dépression, donc on va commencer par s’intéresser à eux. »

DES DONNÉES RECEVABLES

Le Dr McIntyre est si convaincu de la pertinence du projet de mind.me qu’il a décidé de devenir actionnaire de l’entreprise. Pour autant, il est conscient du défi qu’il doit relever pour que les données recueillies soient recevables par le corps médical.

« Je crois qu’avec les maladies chroniques comme la dépression, le patient doit être au centre de la gestion de sa maladie, il doit être le chef d’orchestre. Dans ce sens-là, l’application peut vraiment l’aider à rassembler les données pertinentes, ce qui le guidera vers des mesures concrètes : mieux dormir, mieux se nourrir, etc., ou, dans des cas plus graves, contacter son médecin ou son psychiatre. »

Prochaine étape : le Dr McIntyre a l’intention de faire des essais cliniques pour s’assurer de la validité des données, afin qu’elles soient le plus objectives possible. Les fondateurs de mind.me, eux, ont l’intention de continuer à améliorer l’algorithme, afin de procéder à une analyse du contenu sémantique des messages, et à ajouter des données comme la musique, qui pourraient être prises en compte.

Mind Mental Health Technologies, qui est actuellement à la recherche d’investisseurs, compte lancer son application mobile mind.me dans trois semaines sur la plateforme Android. La version iOS suivra l’été prochain.

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