Chronique

Les prix modérés ont meilleur goût

Tout a commencé par un incident dans un restaurant. Une histoire de chianti classico à 100 $ commandé les yeux fermés, pour le trouver ensuite bien médiocre, retourner la bouteille en réclamant autre chose de mieux et réaliser qu’il s’agissait en fait d’un produit vendu 24 $ à la SAQ !

Imaginez.

Quatre fois le prix.

Déraisonnable avez-vous dit ?

Le restaurant a récemment fermé ses portes et inutile de vous dire que je n’y serais jamais retournée. Mais une telle découverte déconcerte.

Combien de fois est-ce arrivé ?

Combien de fois ai-je été trop naïve ? Est-ce impossible de faire confiance aux restaurants ? Doit-on faire des recherches sur le site de la SAQ ou wine-searcher.com chaque fois qu’on commande une bouteille ?

Est-on, si on ne s’y connaît pas immensément et professionnellement en vin, constamment à la merci de restaurateurs peu scrupuleux ?

Coup de fil à un collègue, ancien sommelier, journaliste spécialisé.

La norme dans l’industrie est de facturer le double, parfois un petit peu plus, que le prix du vin vendu à la SAQ, rappelle-t-il. Une bouteille de 30 $ devient une bouteille à 60 $ ou 65 $. Généralement, dans ce cas-là, personne ne rouspète. On est habitué. Il est normal de payer une marge sur des produits quand ils sont servis par d’autres, ailleurs que chez soi.

« Oui, on paie pour du vin, mais on paie aussi pour la personne qui le trouve, qui le choisit, qui nous en parle, qui nous le verse », explique Bill Zacharkiw, l’ancien sommelier de l’Eau à la bouche et spécialiste du vin à The Gazette. Et on pourrait aussi ajouter qu’on paie pour les verres – qu’on n’aura pas à laver soi-même ! – pour le lieu, la déco, pour l’entreposage en cave, si ce sont des vins qu’on a soigneusement laissés vieillir…

Donc la majoration du prix est tout à fait normale.

Là où on bondit, c’est quand on constate que les restaurateurs gonflent les factures de trois ou quatre fois.

Un vin de 24 $ à 100 $, est-ce même légal ?

La triste réponse, c’est que oui.

La SAQ, m’a répondu le porte-parole Renaud Dugas, laisse les restaurateurs majorer comme ils le veulent les prix des vins qu’ils vendent à leurs clients.

Et ces vins, ils les achètent de la SAQ à un prix un peu moindre que celui payé par la population en général. « La taxe spécifique sur les produits vendus aux titulaires de permis a été harmonisée le 1er août 2014 de sorte que celle-ci est maintenant égale à celle appliquée sur les produits destinés aux particuliers, a-t-il expliqué dans un courriel. Les restaurateurs bénéficient également d’un crédit de taxe sur intrant [fédéral] et d’un remboursement de taxe sur intrant [provincial] leur permettant de réduire leurs coûts.… À titre d’exemple, pour un vin [format 750 ml] dont le prix de détail est de 16,50 $ pour un particulier, le coût net du restaurateur une fois les crédits et remboursements appliqués est de 15,13 $, soit un avantage de 1,37 $, ou 8 %. »

Bref, il revient au consommateur de surveiller ses affaires. De vérifier. Et de près.

Souvent, ce n’est pas simple parce que le vin que l’on choisit n’est pas un produit régulier de notre monopole. Donc on n’a pas d’outil internet simple – comme le moteur de recherche de SAQ.com – pour savoir combien le restaurateur l’a payé. On peut avoir une idée de grandeur en faisant une recherche sur d’autres sites, mais comme les prix au Québec sont au départ solidement plus élevés, à cause de nos taxes, que les prix américains ou européens – qui ne sont pas obligés d’intégrer les frais de transport notamment –, il est difficile de trouver un point de référence parfait.

Cela dit, il vaut la peine de la faire, cette recherche, pour avoir une idée de l’honnêteté et de l’attitude de nos restaurants préférés.

Et l’exercice peut être absolument hallucinant.

Par exemple, une bouteille de Cerasuolo de la maison sicilienne COS était 105 $ sur la carte du restaurant fermé dont je parlais plus tôt. Il est 16 euros – environ 22 $ – en Europe selon les sites de prix de vins européens que j’ai consultés et 36 $ à la SAQ.

Un soave classico 2015 de la maison Gini : 75 $ sur la carte dudit resto. Et selon wine-searcher.com si on le cherche chez différents marchands de vins américains ? Entre 13 $ et 17 $.

L’analyse pourrait continuer longtemps et est totalement déprimante.

Évidemment, ce restaurant était particulièrement – pour ne pas dire démesurément – gourmand. Et tous ne sont pas comme ça, Dieu merci. Mais l’exercice démontre à quel point, comme consommateur, il faut être vigilant. Et à quel point le fait qu’on ait un monopole d’État ne nous protège pas des lois parfois cruelles du marché. Certains disent même que cela peut nous desservir comme consommateurs parce que contrairement à tous les autres produits qu’ils achètent, les restaurateurs ne profitent à peu près pas de prix de gros. Ils ne sont pas des détaillants de vin, mais des revendeurs…

Le conseil que donne la SAQ pour le moment, pour savoir si on paie le juste prix pour un produit en importation privée qui ne se retrace pas sur le site de la société d’État, c’est de demander directement au restaurateur quelle agence représente le vin qu’on veut commander et quel est son prix. Pas toujours idéal en plein milieu d’un repas avec son amoureux ou un client. Mais effectivement, cela peut être une bonne idée.

Mais tant qu’à avoir un monopole d’État, la SAQ pourrait peut-être en profiter pour se donner parmi ses missions de faire un peu plus de protection des droits des consommateurs ? On jase…

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