Tarifs douaniers sur les produits américains

Du ketchup à l’acier, Ottawa riposte à Trump

La tension entre Ottawa et Washington a monté d’un cran, hier, avec la confirmation par le gouvernement Trudeau de nouveaux tarifs douaniers visant une pléiade de produits américains, dont des biens de consommation. Ottawa a aussi annoncé un plan de 2 milliards pour aider les entreprises touchées par le conflit commercial.

Tarifs douaniers sur les produits américains

Un coup de main pour les entreprises canadiennes

Ottawa a levé le voile hier sur les détails de sa stratégie pour riposter aux droits de douane imposés par l’administration de Donald Trump sur l’acier et l’aluminium canadiens. En plus de taxer de façon équivalente certains produits américains, il injectera jusqu’à 2 milliards de dollars pour aider les entreprises et les travailleurs touchés.

jusqu’à 2 milliards

La plus grande part de l’aide annoncée hier par Ottawa transitera par la Banque de développement du Canada (800 millions de dollars) et par Exportation et Développement Canada (900 millions).

Dans les deux cas, l’aide sera essentiellement versée sous forme de financement commercial à des entreprises pouvant faire la démonstration que leur plan d’affaires est viable. Elle vise à leur permettre de percer de nouveaux marchés, d’améliorer leurs opérations, de modifier leur chaîne d’approvisionnement en acier ou en aluminium pour favoriser des fournisseurs canadiens, à combler des problèmes de liquidités, etc.

Une somme de 250 millions est aussi prévue pour le Fonds d’innovation stratégique, qui aidera les entreprises à se procurer de nouveaux équipements et à former leur main-d’œuvre à leur utilisation.

« À première vue, tous les éléments requis pour accompagner les entreprises dans la crise actuelle sont en place. Il faudra maintenant s’assurer qu’il n’y a pas d’entreprise qui passe entre les mailles du filet. Il faut de la souplesse et le gouvernement s’est engagé à le faire. »

— Jean Simard, président de l’Association de l’aluminium du Canada

« Créer des systèmes d’aide comme ça, oui, on s’expose encore une fois. Ils pourraient être considérés comme des subventions illicites par l’ALENA ou l’Organisation mondiale du commerce. Ce ne sont pas toutes les subventions qui sont illégales, mais ici, on cible une branche industrielle en particulier. Mais en même temps, c’est une guerre commerciale, on fait face à des mesures complètement illicites, alors on réagit comme on peut. »

— Geneviève Dufour, professeure à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, responsable de la maîtrise en droit international et politique internationale appliquée

Soutien aux travailleurs

Ottawa modifiera son programme d’assurance-emploi pour faire passer de 38 à 76 semaines la période maximale de travail partagé pendant laquelle des travailleurs dont les heures sont réduites pour éviter des mises à pied sont indemnisés. Selon le gouvernement, cela évitera aussi aux entreprises de perdre leur main-d’œuvre qualifiée. La facture est estimée à 25 millions de dollars.

« Il est vraiment regrettable que nous devions appliquer de telles mesures. Toutefois, les tarifs douaniers imposés par les États-Unis ne laissent aucun autre choix au Canada que celui de défendre nos industries, défendre nos communautés et défendre nos travailleurs, et je peux vous assurer que nous sommes résolus à le faire. La solution à cette dispute sans précédent est simple : c’est que les États-Unis annulent leurs tarifs sur l’acier et l’aluminium canadiens. »

— Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères du Canada

Produits taxés

La liste définitive des produits américains qui feront l’objet de contremesures canadiennes a aussi été publiée hier. On compte peu de changements par rapport à la liste préliminaire, publiée le 31 mai dernier, sinon qu’elle est plus précise. Elle cible des produits d’acier, qui seront taxés à 25 %, d’autres d’aluminium, taxés à 10 %, ainsi que des biens de consommation, eux aussi taxés à 10 %. Tous ces tarifs s’appliqueront aux produits qui franchissent la frontière à compter de demain, le 1er juillet.

« Politiquement, c’est très habile. Ils ont ciblé des secteurs très précis où il y a une disponibilité de produits qui ne sont pas américains, de sorte que les consommateurs vont toujours pouvoir se tourner vers des substituts assez facilement. Ils ont aussi ciblé des entreprises américaines qui sont dans des États qui font la différence aux élections. On peut supposer que Heinz, qui a une usine en Ohio par exemple, va faire des pressions politiques. »

— Germain Belzile, maître d’enseignement au département d’économie appliquée de HEC Montréal

« Une surenchère des États-Unis pourrait arriver, si l’on se fie à la manière dont ils ont réagi face à la Chine ou à l’Europe. C’est pour ça qu’on parle de “guerre” commerciale. Plus personne ne tient compte de la prévisibilité juridique, on avance en faisant fi du droit. »

— Geneviève Dufour

« Je ne suis pas très pessimiste. Je ne pense pas que [Donald Trump] essaie de déclencher une guerre commerciale. Je pense qu’il essaie d’arriver à autre chose. […] Ce qu’il est peut-être en train de faire, c’est de nous mettre dans une situation tellement dangereuse que tout le monde va reculer. Le Canada va abandonner la gestion de l’offre, l’Europe va abaisser ses tarifs pour les voitures américaines, la Chine va cesser de “dumper” de l’acier aux États-Unis, etc. »

— Germain Belzile

Secteur automobile

GM met en garde Trump

Les taxes douanières sur le secteur automobile que la Maison-Blanche envisage de mettre en œuvre pourraient conduire General Motors (GM) à supprimer des emplois et augmenter les prix de ses véhicules, a prévenu hier le constructeur automobile américain.

« Augmenter les tarifs douaniers pourrait réduire la taille de GM, réduire la présence sur le plan national et à l’étranger de cette entreprise américaine emblématique et risque de réduire les emplois plutôt que de les augmenter », écrit GM dans des commentaires transmis au département du Commerce dans le cadre d’une période de consultations.

La Maison-Blanche avait annoncé le 23 mai que Donald Trump envisageait d’imposer de nouvelles taxes douanières sur les importations de véhicules aux États-Unis. GM, plus grand constructeur américain, rappelle également qu’il emploie environ 110 000 personnes.

Le constructeur souligne qu’ériger des barrières commerciales pourrait accroître les coûts de l’entreprise, la rendre moins compétitive, car cette politique « promeut un environnement commercial dans lequel [il pourrait] faire l’objet de représailles sur d’autres marchés ».

— Agence France-Presse

Tarifs douaniers sur les produits américains

Les consommateurs feront-ils les frais de la riposte ?

La longue liste officielle des produits américains qui seront surtaxés de 10 % lors de leur entrée au Canada est désormais connue. Comme on s’y attendait, elle comprend divers aliments, des produits d’usage courant comme du détersif pour le lave-vaisselle et de la crème à raser, ainsi que des électroménagers. Huit questions pour comprendre.

Quels sont les aliments visés par la surtaxe ?

• Yogourt

• Café non décaféiné

• Tablettes de chocolat

• Confiture de fraises

• Jus d’orange non congelé

• Sauce soya

• Ketchup aux tomates

• Mayonnaise

• Eaux gazéifiées additionnées de sucre (ou d’édulcorants) ou aromatisées

• Soupes, potages ou bouillons préparés

• Whisky

Quels sont les autres produits américains touchés ?

• Papier hygiénique, mouchoirs et essuie-mains

• Nappes et serviettes de table

• Préparations pour le prérasage, le rasage ou l’après-rasage

• Vaisselle et autres articles pour le service de la table

• Lave-vaisselles, machines à laver

• Tondeuses à gazon

• Certains bois contreplaqués

• Matelas, sacs de couchage, oreillers

• Stylos, crayons à bille, marqueurs

Y a-t-il un risque accru d’inflation ?

Selon la Financière Banque Nationale, les prix de détail n’augmenteront « pas beaucoup, il semble ». D’abord parce qu’il est « improbable que les importateurs refilent les hausses aux consommateurs », a justifié l’économiste Krishen Rangasamy plus tôt cette semaine. Et même s’ils le faisaient, « l’impact serait minime » puisque les produits surtaxés ne comptent que pour 6 % de tout ce que nous importons des États-Unis. Un avis partagé par Sylvain Charlebois, professeur en distribution et politiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie. « Une taxe de 10 % à la douane représenterait une augmentation d’environ 2 % à 3 % sur le prix de détail », avait-il écrit au début du mois de juin. « Les forces de distribution sont telles que les taxes douanières se feront absorber à travers la chaîne d’approvisionnement. »

Comment a été rédigée la liste des produits surtaxés ?

Dans une lettre ouverte publiée peu après la divulgation de la liste préliminaire des aliments visés (presque identique à la liste définitive), le professeur en distribution et politiques agroalimentaires de l’Université Dalhousie Sylvain Charlebois a souligné qu’Ottawa avait bien fait ses choix. « En analysant la liste publiée, l’approche est visiblement calculée, bien ciblée et surtout stratégique. » D’une part parce que les produits choisis ne font pas partie de ce que nous importons le plus : les fruits, les légumes, les noix et les mets préparés. D’autre part, parce que dans la majorité des cas, « il existe un produit canadien concurrentiel offrant un substitut aux consommateurs qui veulent bouder la marchandise américaine pour une raison ou une autre ». Le jus d’orange est l’une des exceptions.

Et si les prix grimpaient ?

Si les prix de détail venaient à bondir, Geneviève Dufour, experte en commerce international et en sécurité alimentaire à l’Université de Sherbrooke, ne croit pas que les Canadiens se tourneraient vers des substituts locaux. « Ce que l’on voit beaucoup chez les consommateurs, c’est l’attachement à certains produits. Ce n’est pas évident qu’ils vont décider d’aller ailleurs pour chacun d’entre eux, d’autant plus que 10 %, c’est un montant relativement petit. » Le professeur Sylvain Charlebois note pour sa part que les condiments canadiens sont 1 $ moins chers que leurs équivalents américains en ce moment. « Donc, peu importe ce qui arrive [hausses de prix ou non], ça ne changera rien ! » Les Canadiens feront-ils preuve de plus de patriotisme ? « On vient de faire un sondage et pour 59 % des répondants, le plus important, c’est le prix », répond l’universitaire.

Quels détaillants risquent d’être touchés ?

De nombreux types de commerçants devront sans doute devoir composer avec des augmentations de prix au cours des prochaines semaines et établir une stratégie.

• Les quincailleries (Rona, Home Depot, Canadian Tire)

• Les supermarchés (Metro, IGA, Provigo, Maxi, Super C)

• Les grands magasins (Walmart, Costco)

• Les détaillants de meubles et d’électroménagers (Brault et Martineau, Tanguay, Léon, Brick, Corbeil)

• Les commerces qui vendent de la literie et du linge de table (La Baie d’Hudson, Linen Chest, Bouclair)

• Les commerces qui vendent de la papeterie (Bureau en gros, Hamster, Dollarama)

• Les pharmacies (Jean Coutu, Pharmaprix, Uniprix)

Comment les commerçants se préparent-ils ?

Jeudi, le grand patron d’Empire, qui exploite les enseignes IGA et Rachelle-Béry au Québec, a expliqué qu’il préférait « ne pas voir [ses] consommateurs payer plus ».

« Donc, notre première réponse, lorsque les fabricants tentent de retransmettre leurs augmentations de coûts tarifaires, sera de leur résister et de ne pas les accepter », a indiqué Michael Medline. Si l’épicier est incapable de le faire, les prix de détail risquent d’être modifiés. « Nous croyons devoir trouver des solutions de rechange et nous n’allons pas refiler facilement les hausses tarifaires à nos clients. » Metro a préféré ne pas nous accorder d’entrevue sur le sujet puisqu’il s’agit d’« un dossier d’industrie ». Du côté de Rona, « il est trop tôt pour commenter les impacts potentiels des nouveaux tarifs imposés par le Canada », nous a-t-on écrit.

Quel État américain sera le plus touché ?

Ça risque d’être l’Ohio, qui a exporté pour environ 1,3 milliard de dollars de marchandises au Canada en 2017, précise La Presse canadienne. Cet État est le « principal exportateur d’une grande variété de produits au Canada », dont les machines à laver (131 millions), le papier hygiénique (91 millions), les nettoyants pour le visage (100 millions), les tondeuses à gazon (83 millions), les bougies (40 millions), les désodorisants d’air ambiant (27,5 millions) et la colle (23 millions). Mais la Floride, grand producteur d’agrumes, sera également touchée, car le Canada a importé pour quelque 158 millions de jus d’orange en 2017, ajoute La Presse canadienne. L’État de Washington ne sera pas épargné, on lui a acheté pour 200 millions de dollars de café. Et la Pennsylvanie domine les exportations de ketchup (81 millions en 2017).

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