Luc Courchesne

L’explorateur de la connectivité

Luc Courchesne, pionnier de l’art numérique, de l’immersion et de l’interactivité, vient d’obtenir le prix Paul-Émile-Borduas, récompense la plus prestigieuse en arts visuels au Québec. Le professeur de design à l’Université de Montréal et collaborateur de la première heure à la Société des arts technologiques (SAT) est le premier artiste numérique à remporter ce prix.

Quand le musée InterCommunication Center, consacré à l’art numérique, a ouvert ses portes en 1997, à Tokyo, il a décerné sa plus haute récompense à Luc Courchesne, pour Paysage n1. L’installation interactive panoramique qui représentait une partie du parc du mont Royal a été acquise par le musée qui a ensuite accordé une bourse de 60 000 $ à l’artiste montréalais. Cette œuvre associant des personnes réelles et des acteurs virtuels a, depuis, fait le tour du monde. 

Génie de la science et de l’art qui a forgé sa voie artistique en y associant le spectateur, Luc Courchesne aurait pu choisir la poésie pour tenter de saisir le monde. Il a préféré la piste technologique en allant étudier au Nova Scotia College of Art and Design dans les années 70, puis au MIT, à Cambridge, dans un centre voué à la rencontre entre les arts et les technologies. 

Ses horizons se sont alors ouverts. Grâce à deux mentors, l’artiste canadien Michael Snow et le réalisateur américain Hollis Frampton, et à une atmosphère stimulante, avec la création du MIT Media Lab, consacré dès 1985 à la recherche, au design et aux nouvelles technologies devenues accessibles aux non-programmeurs. 

Mais c’est à Halifax, en 1974, qu’il a créé sa première œuvre immersive, Bananas Ripen in the Dark, avec des morceaux de films de l’ONF. Une œuvre dans laquelle on lit sa fascination pour l’obscurité qui inspirera d’autres créations, comme The Center Is Dark, une installation de 1982 réalisée au MIT avec deux espaces séparés par un sas, l’un plongé dans le noir et l’autre lumineux. Un travail sur les relations entre espace et temps. 

« C’était aussi un commentaire critique sur ce qu’on faisait au MIT, dit-il. Car je suis né avec la technique du vidéodisque interactif avec lequel je pouvais faire une banque d’images, de textes et de sons. Ça a donné naissance au concept de vidéo polylinéaire, ça a fragmenté le récit et permis au spectateur de devenir un acteur. » 

Luc Courchesne a alors imaginé Portrait no 1 (1990), une expérience qui permet au spectateur de rencontrer un personnage et de lui poser des questions. « L’œuvre m’a ouvert les portes de l’international, au Japon, en Australie, en Europe et aux États-Unis », dit-il. 

Par la suite, il crée Portrait de famille, en 1993, à Marseille, puis son installation interactive Salon des ombres, avec notamment Marc Béland et Alexis Martin, au MAC en 1996. Une année importante puisqu’il se greffe alors à l’aventure de la Société des arts technologiques, fondée par Monique Savoie. 

Luc Courchesne va favoriser le développement de la SAT, faisant la promotion de la culture numérique tout en créant en parallèle. Son œuvre Rendez-vous sur les bancs publics, en 1999, a connecté, pendant deux mois, les gens de Québec et Montréal. « Une œuvre de téléprésence qui a réorienté mon travail, dit-il. Avec Monique, on s’était dit qu’au lieu de scénariser un dialogue entre un personnage et un spectateur, on pouvait laisser les gens parler entre eux. »

L’année 2000 voit le lancement de son Panoscope, dispositif de projection panoramique considéré en 2005 par le magazine Wired comme « l’une des 100 inventions qui changeront le monde ». L’équipe du film Star Trek de 2009 s’inspire de ce dispositif après l’avoir vu lors d’une expo à Chicago. 

« Dans une scène du film, on voit des centaines de Panoscopes avec des jeunes qui se pratiquent », dit Luc Courchesne. L’Agence spatiale canadienne s’est même penchée sur cet équipement lors d’un projet avec la SAT. 

« La SAT a été la famille idéale pour moi. J’y ai trouvé une masse critique d’étudiants et l’organisme est devenu un centre de recherches en 2002. » De ces recherches est né le dôme, la fameuse Satosphère. 

« J’étais obsédé par l’immersion, dit-il. J’avais créé le Panoscope, qui est finalement un dôme inversé. Monique Savoie m’avait dit : “C’est ben beau ton Panoscope, mais si on le retournait à l’envers, au lieu d’avoir une personne, on pourrait en avoir 20 qui partagent la même expérience”. C’est devenu la Satosphère, en 2008, qui permet à des artistes de partout de venir y construire des mondes immersifs. » 

Il a beau être un artiste du numérique, Luc Courchesne a toujours été immergé dans les beaux-arts. « Le déjeuner sur l’herbe, de Manet, a inspiré Paysage no 1 et la Mona Lisa de Vinci, mon Portrait no 1 », dit-il. 

Il est donc touché et fier d’avoir reçu ce prix Paul-Émile Borduas. « Léonard de Vinci, Leon Battista Alberti, c’étaient des artistes, mais aussi des chercheurs, dit-il. Le prix Paul-Émile Borduas est maintenant donné à des gens qui font évoluer notre modernité. » 

Les amateurs d’art auront l’occasion d’apprécier son travail à la galerie Pierre-François Ouellette à partir du 9 novembre. Nu au paradis est une plongée immersive au cœur de la vie de cet explorateur de la connectivité qui, à 67 ans, pense déjà à demain et invite étudiants et artistes à poursuivre les recherches de leurs aînés. 

« Montréal a le plus beau laboratoire au monde avec ses universités, sa jeunesse, ses créateurs, ses laboratoires structurés et le navire amiral qu’est la SAT, dit-il. Et gardons à l’esprit de toujours viser la scène internationale… »

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