Élections provinciales Opinion

Repenser la conquête de notre souveraineté

Lendemain de veille électorale dans la vie du Québécois que je suis. Je le ressens comme une gastrite : un malaise général et lancinant doublé d’une impression vague de néant mental. 

Le résultat est sans équivoque : le Parti québécois est en voie de devenir un tiers parti. La question nationale ne polarise plus l’électorat. Chez les idéologues de la gauche sociale et de la droite économique qui sévissent chez Québec solidaire, à la Coalition avenir Québec, au Parti conservateur du Québec et au Parti libéral du Québec, on jubile. Enfin, les vraies affaires ! Je devrais me réjouir. L’avenir, me dit-on, est radieux. Fini les funestes querelles, fini la haine déraisonnable du grand Autre grâce auquel s’ouvre à nous le monde.

Tant d’efforts de survivance consentis par le peuple québécois désormais abandonnés au profit de la gestion de l’intendance et d’obsessions comptables insipides me crèvent pourtant la tête.

Ça n’est pas la fin du douloureux cycle avorté d’émancipation politique du Québec entamé avec la Révolution tranquille qui marque le jour 1 du règne de ce nouveau gouvernement. C’est l’installation officielle, au Québec, de l’empire du bien, de l’hégémonie libérale et de ses morbides symptômes.

L’empire du bien, c’est le mal qui ronge aujourd’hui l’Occident tout entier. Il dévore l’Europe depuis quelques décennies maintenant. Il a traversé l’Atlantique. Nul ne peut désormais le nier.

Il s’affaire à diluer les identités nationales dans un grand bouillon universel indifférencié. Au Québec, cela signifie la valorisation de l’anglicisation de l’espace public. L’anglais, langue universelle des affaires, est un gage d’ouverture au monde. Cela signifie aussi le déploiement d’un amour dévot envers l’idéal fédéral canadien, symbole même de réussite des plus ambitieuses aspirations postnationales. Y a-t-il plus noble que de communier tous ensemble au sein d’une grande mosaïque multiculturelle où toutes les différences seraient, dit-on, célébrées ?

Il culpabilise aussi les sociétés blanches d’héritage catholique d’exister et les plonge dans une obligation de repentir permanente face à la misère du monde. Cela signifie, pour nous, l’impossibilité grandissante de faire respecter nos frontières, de trier avec parcimonie les candidats à l’immigration selon des critères serrés, d’expulser ceux qui violent notre citoyenneté, la vidant de toute valeur, en restant au pays illégalement.

Cela veut aussi dire, pour le Québec, le fait de ne plus pouvoir réellement réfléchir sans rougir à un aspect fondamental de l’indépendance politique : le contrôle de nos frontières.

Il tente d’atomiser les collectivités sous prétexte de libérer les individus par le biais de leurs droits individuels en prétendant que les droits collectifs sont synonymes de tyrannie de la majorité sur les minorités. Il désengage les citoyens du politique et confie le pouvoir à des élites supposément éclairées tout en noyant la population dans le cirque de la politique de l’image.

Petits dossiers gestionnaires

La chute populaire du porte-étendard de l’indépendantisme consacre cette installation officielle de l’empire du bien au Québec. Le discours politique est appelé à changer radicalement au cours des prochaines années. Les questions existentielles ne seront plus abordées. Le politique deviendra non plus le fait, pour un peuple, de tracer son avenir dans le monde, mais un amoncellement de petits dossiers gestionnaires peu fédérateurs pour la collectivité et dont la gestion totalement rationnelle ne sera l’affaire que de technocrates.

C’est dans ce contexte d’apparence désespérée que j’appelle tous mes concitoyens partageant mon impression de lendemain de veille à écouter mon appel. Refonder notre mouvement d’émancipation nationale est plus que possible, c’est un devoir que nous dictent l’honneur et le respect de nos ancêtres.

Il faut repenser la conquête de notre souveraineté d’une façon nouvelle, adaptée à l’époque et aux défis qu’elle propose. Il faut l’inscrire comme une lutte à finir entre le droit des peuples à exister et à se gouverner et le puissant agent anesthésiant qu’est l’empire du bien libéral. Il faut la définir comme la grande cause du peuple d’ici, comme l’occasion de reconnecter les Québécois, rendus impuissants, au pouvoir politique.

Il faut proposer de cesser de perdre et d’enfin gagner. De rompre par mandat électoral avec le régime canadien, de forcer le jeu au lieu de se plier aux exigences du maître duquel on souhaite s’affranchir.

Il faut renouer avec les passions populaires, abandonner les faux-semblants dont font la promotion les « communicants ».

Le discours des indépendantistes doit impérativement changer, sous peine d’être relégué à brève échéance aux marges de notre univers politique. Plus il irritera les bien-pensants, plus il s’approchera de la victoire. Le défi est immense et risqué, mais la révolte naturelle des peuples contre l’anesthésiant empire du bien offre une occasion qu’on serait fous de ne pas tenter de saisir.

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