Opinion

Le temps de glace des femmes

Andrew Shaw est un sympathique joueur d’énergie, (peut-être) un peu plus talentueux que les autres joueurs de sa catégorie. L’impassible Andrei Markov a quitté Montréal pour sa Russie natale sans effusions, malgré ses 16 saisons avec le CH.

Charles Hudon et Artturi Lehkonen apportent fougue et espoir à l’organisation du Canadien de Montréal, mais n’ont, pour le moment, rien accompli de remarquable, sur la glace ou ailleurs. Même mon préféré, l’infatigable Brendan Gallagher, demeure, au final, un simple bon joueur de hockey capable de fouetter son équipe grâce à son acharnement.

À eux seuls, les « hommes de hockey » gravitant autour de notre cher Bleu-blanc-rouge occupent quelque 30 positions sur les 50 qui constituent le palmarès des personnalités les plus médiatisées de l’année 2017 publié mardi par Influence Communication. Vous avez bien lu ! Même Charlie Lindgren, jusqu’à tout récemment troisième gardien de l’équipe, y trouve sa place, bien au chaud entre Alexei Emelin et Marc-André Fleury (car oui, en plus des joueurs du CH, on trouve çà et là des membres d’autres clubs, comme Fleury et un certain P.K. Subban).

Depuis 24 heures, malgré mon amour sincère pour notre sport national et notre équipe locale, cette donnée me trouble profondément. Cette domination fracassante soulève chez moi de nombreuses questions : qu’est-ce qui compte réellement pour mes concitoyens ? Où se situent les enjeux sociaux comme la pauvreté, l’inclusion sociale, la culture dans l’échelle de valeurs des Québécois ? Quelles sont nos priorités collectives, en tant que société instruite et privilégiée ?

Une deuxième donnée, tirée de ce classement, me trouble tout aussi profondément. Sur les 50 personnalités figurant sur la liste, DEUX sont des femmes. Deux ! En 2017.

En cette année de dénonciation, de prise de parole, de soulèvement populaire. En cette année où le dictionnaire Merriam-Webster consacre le mot feminism « Word of the Year ». En cette année où, on aurait pu le croire, nous avons choisi d’être une société où jamais plus les femmes victimes de violence, d’agressions et de harcèlement sexuels n’auraient à se taire. En cette année où une marche historique a réuni des centaines de milliers de femmes à Washington et ailleurs afin de promouvoir les droits des femmes. En fait, il faut attendre la 28e position pour voir apparaître le nom d’Hillary Clinton et la 41e place pour repérer celui de Valérie Plante (la première mairesse de Montréal est positionnée derrière Jordie Benn !).

Examen de conscience

Québec. 2017. Deux femmes. Plus de 30 hommes de hockey. Comment justifier un tel état des lieux ?

Oui, les médias ont leur part de responsabilité. Détenir de l’influence sur une société exige qu’on en fasse une utilisation fine et pertinente. Certains en abusent, on peut en convenir. Mais ce serait oublier que les médias répondent aux envies et intérêts de leurs lecteurs, s’ajustent quotidiennement à leurs préoccupations, recadrent leur plan de match en fonction de NOS réactions, des enjeux qui NOUS interpellent. Un examen de conscience collectif s’impose.

À Montréal, 45 % des femmes occupant un emploi gagnent moins de 20 000 $ par année. L’âge moyen du recrutement des jeunes filles par l’industrie du sexe est de 14,7 ans. Plus de 85 % des victimes de violence sexuelle déclarées sont des femmes et plus de 60 % des victimes ont moins de 18 ans.

De temps à autre, une affirmation revient dans l’espace public : le féminisme n’aurait plus sa raison d’être, ce serait un combat d’une autre époque, l’égalité hommes-femmes serait atteinte, le dossier, réglé. Après l’analyse de ce palmarès, je serais plutôt portée à croire que le féminisme n’est pas mort, mais que les femmes et leurs conditions de vie laissent les Québécois de glace.

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