Santé mentale

La caméra contre les tabous

Fatigue. Découragement. Peur. Fierté et compassion, aussi. Le docuréalité Un vrai selfie présente huit jeunes adultes qui dévoilent, sans filtre, leur vie avec un trouble de santé mentale. En se filmant quotidiennement pendant 10 semaines, ils acceptent de vivre leur thérapie publiquement. Une expérience unique et bouleversante.

UN DOSSIER D’ISABELLE AUDET

Des émotions à l’état pur

C’est tout un pan de leur vie que dévoilent les participants au docuréalité Un vrai selfie, diffusé dès demain sur les ondes d’Unis TV. Une vingtaine de minutes chaque jour pendant 10 semaines, ces jeunes adultes de 18 à 27 ans ont exprimé leurs états d’âme à la caméra. Un moyen pour eux de lever le voile sur ce que peut être le quotidien d’une personne aux prises avec un problème de santé mentale. 

Rien à voir, donc, avec les images souvent aseptisées des réseaux sociaux. Un vrai selfie présente aux téléspectateurs une vision sans retouche des hauts et des bas des participants. Ces derniers ont aussi accepté d’assister chaque semaine à une thérapie de groupe filmée. 

Ce concept nous vient de Norvège, où il a d’ailleurs beaucoup fait parler. « Je trouvais qu’il y avait vraiment quelque chose d’intéressant dans l’idée que les jeunes doivent documenter eux-mêmes leur parcours. C’est une idée qu’on n’avait pas vue ici », explique Nicola Morel, concepteur au développement pour l’entreprise de production Trio Orange.

« Il y a quelque chose de très personnel, très journal intime, et ça part de la façon dont beaucoup de jeunes se confient aujourd’hui. »

— Nicola Morel, concepteur au développement

Il précise toutefois que l’équipe derrière ce docuréalité a surtout voulu mettre l’accent sur les solutions aux problèmes de santé mentale. 

« Ce qui est important, c’est que les gens vont pouvoir se reconnaître, aussi, croit pour sa part Marie-Anne Sergerie, la psychologue qui a accompagné les jeunes à l’occasion des rencontres de groupe. Ce qui semble piquer la curiosité des téléspectateurs, c’est la possibilité de se reconnaître chez certaines personnes ou dans certaines de leurs difficultés. Ou encore un de leurs proches. C’est important. Ça montre que ça peut toucher tout le monde, mais aussi que l’on peut faire quelque chose. On peut aller chercher de l’aide et comprendre ce qui se passe dans notre vie. »

La psychologue a recommandé que tous les participants soient évalués par un psychologue indépendant afin de s’assurer qu’ils puissent vivre cette expérience. 

Une grande fatigue

Dès le départ, dans les extraits retenus pour les deux premiers épisodes, les jeunes expriment toute leur vulnérabilité. « J’ai comme mal au ventre. Tantôt j’avais mal au cœur. Pis je suis brûlé. Je n’ai plus d’énergie… On dirait que je vais faire, genre, un burnout. Maudite marde », raconte entre autres Miguel, 18 ans, couché dans son lit, la caméra dans la main. 

« Le fait d’être plus fatigué, ça t’a amené à être plus anxieux », lui fait remarquer la psychologue à l’occasion de la rencontre hebdomadaire. 

« Oui, ça augmente. C’est ça… », acquiesce Miguel.

La discussion se poursuit, et la plupart des participants racontent qu’eux aussi, ils éprouvent un grand besoin de dormir. « Comme toi, j’étais hyper fatiguée. J’ai dormi… j’ai trop dormi cette semaine. Je faisais des siestes chaque jour. C’est un moyen… c’est comme du gros évitement aussi. Si je suis fatiguée, je vais être plus anxieuse, et je sais qu’en allant dormir, je mets tout ça sur pause », résume Camille, 19 ans.

Une ouverture

L’expression des états d’âme devant la caméra, dans leur intimité, puis dans une thérapie de groupe semble plaire à la majorité des participants. « J’ai hâte de revoir les autres. Je suis comme un enfant ; je compte les dodos. Je compte les dodos ! », s’est exclamé Jérémie, 25 ans. Isolé entre autres par un trouble obsessionnel-compulsif (TOC), par un trouble anxieux et par l’hypocondrie, il s’ouvre, devant l’objectif. 

Le jeune homme entraîne les téléspectateurs devant une de ses portes, chez lui. Il tourne la poignée. La porte est manifestement verrouillée. Jérémie sait qu’elle est bel et bien fermée à clé, mais l’inquiétude le gagne : « Là, ça a fait “toc toc”. Elle était-tu vraiment barrée ou si c’était le début d’un mouvement […] pour l’ouvrir ? », demande-t-il à l’écran, conscient de son trouble. 

« Je comprends la mécanique du TOC, mais il y a comme un sentiment qui ne se détache pas que ça me protège. Pis je l’sais que c’est niaiseux ! », lance-t-il.

« Moi, j’ai pas de la misère avec la réalité ; j’ai de la misère avec ce qui est imaginaire… ce qui n’est pas là. »

— Jérémie, 25 ans

« C’est difficile de mesurer quel sera l’impact réel de [ce processus], mais je pense que les bénéfices seront plus grands que les inconvénients, affirme Marie-Anne Sergerie lorsqu’on aborde la question de l’intimité des participants. On a eu des discussions avec l’Ordre des psychologues pour discuter de tout ça, et c’est ce qui ressortait : quand on met tout dans la balance, en s’assurant que les jeunes soient accompagnés même encore aujourd’hui s’ils en éprouvent le besoin, on minimise le plus possible les inconvénients pour maximiser les avantages. » 

Un travail

Une fois l’expérience terminée, Noémie, 18 ans, explique que la possibilité de mettre des mots sur ses émotions à la caméra, et de filmer sa réflexion, a un effet positif sur sa lutte contre l’anxiété. N’empêche, elle souligne qu’à la télévision ou pas, tout processus thérapeutique implique un travail parfois laborieux. « On dit qu’il faut aller chercher de l’aide, oui, mais c’est un travail. Dans la vie, on montre ça souvent comme quelque chose qui est facile comme processus, mais c’est tough. Il y a des hauts et des bas dans une thérapie. »

Marie-Anne Sergerie abonde dans le même sens : non, il n’y a pas de miracle. « Ils ont tous cheminé, progressé, mais chacun a un parcours qui est unique, précise-t-elle. Je vois la thérapie comme un jardin où l’on sème des graines. Parfois on va récolter des choses plus rapidement. Ça reste un processus, une démarche qu’ils ont à poursuivre. »

Noémie et la pression du bonheur

« Pourquoi je me sens si nulle que ça  ? »

« Oh my God, je sens que je réussis dans rien ! J’arrive pas à être bonne dans quelque chose ! Je suis juste… argh ! » 

« J’ai l’air fake ! J’ai l’air fucking fake ! »

Noémie n’a que 18 ans, mais, on le voit dès les premiers épisodes d’Un vrai selfie, elle semble porter tout le poids du monde sur ses épaules. Elle raconte de manière déchirante à quel point elle a l’impression de ne jamais en faire assez. « En plus, j’ai arrêté le cégep parce que c’est l’été, et je suis toute seule chez moi, explique-t-elle au groupe de jeunes participants. Être toute seule, c’est comme… tu fais rien ! Tu lis… c’est tellement pas productif ! Ça me détruit… », énumère-t-elle, avant de s’arrêter, le regard profondément triste.

Un message à passer 

En entrevue au téléphone, la jeune femme nous explique ce qui l’a incitée à participer au docuréalité. « Quand quelqu’un m’a présenté cette série-là, je me suis dit : “Oh mon Dieu, je veux participer ! Les problèmes de santé mentale, je vis avec ça depuis longtemps, et je veux que ça ne soit plus un tabou.” On n’en parle pas de ces choses-là, parce que ça rend les autres tristes », explique-t-elle. Noémie a souffert de troubles alimentaires, et elle explique toujours éprouver un constant désir de plaire. « Il y a beaucoup de pression pour être heureux. Beaucoup de pression pour aller bien. Beaucoup de pression à performer. Tout ça… », nous fait-elle remarquer. Dans le cadre de la série télédiffusée sur Unis TV, la cégépienne s’est notamment filmée après avoir manqué l’autobus. Bouleversée, elle a expliqué, le souffle court, à quel point elle déteste lorsque le stress s’empare d’elle. « J’ai jamais été assez bonne pour ce que le monde demande de moi », confiera-t-elle plus tard.

La bataille du poids

Plus jeune, Noémie a souffert d’un trouble alimentaire qui l’a menée jusqu’à l’hospitalisation. Elle avait perdu « 60 lb en deux ou trois mois ». « Ça ne me dérangerait pas de prendre du poids… tant que c’est moi qui le contrôle », a-t-elle raconté lors d’une thérapie de groupe, en réalisant par cette simple affirmation qu’elle n’est pas sortie du bois. « Il y a encore des petites choses qui sont présentes », a alors souligné la psychologue Marie-Anne Sergerie en esquissant un sourire entendu. « Même si j’étais à mon poids santé, je voudrais le contrôler. Je ne sais pas pourquoi je suis en train de parler de ça, sérieux, s’il y a des gens dans mon entourage qui entendent ça, ils vont être comme : “Oh my God, elle est tellement fuckée !” », a alors répliqué Noémie. « Le jugement des autres revient rapidement, hein ? », a aussitôt ajouté la psychologue. Noémie n’a pas répondu, mais une larme a coulé sur sa joue. « J’ai l’impression que c’est peut-être toi, la plus sévère aussi là-dedans… par rapport à toi-même… », lui a fait remarquer la psychologue.

Un coffre à outils

N’est-ce pas difficile de passer par toute la gamme des émotions à la télévision, surtout lorsque l’on aspire ainsi à la perfection ? « Mon père avait vraiment beaucoup de doutes au début. Il disait : “Oh non, un docuréalité… ils vont faire un show avec vous”, raconte Noémie. Mais maintenant, il est content que j’aie participé. Il est vraiment fier de moi. » La jeune femme ajoute qu’au fil des semaines, elle a bonifié son « coffre à outils ». « Ça m’a vraiment aidée à grandir, constate-t-elle. Ce qui m’aide beaucoup, c’est de savoir que même si je sens que c’est la fin du monde, eh bien, c’est temporaire. Ça va passer. Avant, il fallait que j’aille bien tout le temps, et aujourd’hui, on dirait que je suis plus OK de vivre des émotions vues comme négatives. »

Et si ça ne va pas ? Tant pis. « C’est comme si, enfin, je pouvais dire que je ne vais pas bien sans dire à la fin : “Ça va aller.” On dirait que maintenant je peux dire que ça ne va pas bien, et que ben… c’est ça pour le moment. Juste ça. »

Le parcours sinueux de Kevin

Kevin n’avait que 12 ans lorsqu’il a commencé à consommer du cannabis. Les années ont filé, et l’habitude s’est installée. Tant et si bien qu’il se trouve aujourd’hui dans un cercle vicieux : il fume pour calmer son anxiété, mais la drogue mine sa motivation. 

« J’ai un problème, mais en même temps, je ne sais pas c’est quoi, a-t-il expliqué dans le deuxième épisode de la série. Si je prends les devants pour savoir c’est quoi, mon problème, on me dit que c’est à cause du cannabis. Ça m’énerve, parce que j’ai l’impression que ça m’aide, intérieurement. Je suis comme pris entre deux feux : je veux aller bien, mais en même temps, je ne veux pas m’enlever ces petits moments de bonheur que je réussis à avoir chaque jour en fumant du pot. »

« La moitié de ma vie… »

Kevin fait le calcul : il consomme du pot depuis plus de la moitié de sa vie. Sa première « pipe » pour fumer, il l’a fabriquée avant même l’adolescence avec le tube en plastique d’un crayon-feutre.

« J’ai quasiment été élevé par une télé… pis quand j’étais pas en train d’écouter la télé, ben… je me cachais. Je me cachais souvent dans un gros coffre en plastique Fisher Price, avec le couvercle vert. Je m’enfermais dedans. En fait, je me cachais parce que j’espérais qu’on me trouve, peut-être », a-t-il raconté d’un trait, seul devant l’objectif.

Malgré son jeune âge, Kevin a ainsi pu fumer comme il l’entendait à la maison. « Ça ne m’a pas aidé d’avoir autant de liberté, a-t-il confié à La Presse. J’étais tellement jeune… Je ne veux pas jeter le blâme à mes parents. Ils ont essayé de faire du mieux qu’ils pouvaient. »

Défaire les préjugés

C’est d’abord la curiosité pour le monde télévisuel qui a amené Kevin à poser sa candidature pour la série Un vrai selfie. Puis, l’envie de faire œuvre utile a pris le dessus. « J’ai encore la frousse d’avoir de la misère à me trouver une job à cause de ça, si jamais un employeur voit un épisode, mais je me dis que tout ce qui est maladie mentale, c’est quand même assez tabou. Je voulais défaire les préjugés qu’on a envers les poteux », explique-t-il.

La première semaine, tout juste avant la rencontre de groupe, Kevin a fumé un joint parce qu’il se sentait « suffisamment nerveux ». Il s’est ensuite engagé à participer aux rencontres subséquentes sans consommer de drogue. 

L’expérience derrière lui, à la veille de la diffusion du premier épisode, il croit avoir cheminé. Il fume toujours, mais il comprend le rôle que joue la marijuana sur son manque de motivation. « Au début, je trouvais ça bizarre, une thérapie filmée, et j’étais vraiment sceptique. Je me demandais si ça allait donner un genre de Loft Story. Mais c’est loin de là ! », s’exclame-t-il.

Des projets

« Ça serait le moment d’arrêter de fumer, mais je suis stressé parce que je n’ai pas de job. Mais je fume parce que je n’ai pas de job… c’est comme un cercle vicieux. Je ne sais pas comment débarquer de ça, nous confie-t-il. On dirait que j’ai toujours des raisons pour ne pas m’en sortir. »

Comme les autres participants, Kevin a quitté le groupe avec le contact vers des ressources afin d’obtenir de l’aide pour « faire les pas et avancer ».

« J’ai une idée de partir un projet de transformation alimentaire, ou peut-être suivre un cours en hygiène et salubrité. J’ai l’impression que je dois me remettre sur pieds avant. Je veux arrêter de fumer si je veux être capable de me concentrer. Je ne veux pas rester là à stagner. »

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