Chronique

Qui paiera la facture additionnelle ?

Si je suis surpris ? Pas du tout. Les rumeurs couraient depuis un certain temps déjà : l’ingénierie du projet serait bien plus coûteuse que prévu.

Selon ces rumeurs, ce n’est pas 6 milliards que coûterait le train de la Caisse de dépôt et placement du Québec, mais 8 milliards. Attention, ce chiffre qui circule n’est qu’une rumeur, qui n’a jamais été confirmée, puisque le processus d’appels d’offres est très étanche. Les offres des consortiums sont probablement beaucoup plus basses.

Néanmoins, ce qui n’est pas une rumeur, c’est la grande complexité technique du projet, une complexité qui comporte des risques et qui oblige les firmes de génie-conseil à soumettre des offres probablement plus élevées que le budget.

Les défis du futur Réseau électrique métropolitain (REM) sont très grands : construction d’une station sous l’eau (bassin Peel), station incrustée dans la montagne (Édouard-Montpetit), espaces restreints dans le tunnel du mont Royal, délais serrés, etc.

Le communiqué publié par la Caisse de dépôt, hier, n’est donc pas une surprise : les discussions avec les deux consortiums en lice se poursuivront jusqu’à la fin de janvier, afin d’« atteindre un meilleur rapport qualité/prix ». Dit autrement, les prix obtenus pour les paramètres du projet ne répondent pas aux objectifs de la Caisse.

À l’origine, les deux proposants (consortium mené par SNC-Lavalin, d’une part, et Kiewit, d’autre part) devaient être fixés il y a trois semaines déjà, après avoir remis leurs offres finales il y a cinq semaines, le 27 octobre. Le projet devait être mis en branle cet automne et la Caisse parle maintenant du printemps prochain, soit dans quelque six mois.

Si le volet ingénierie-construction demeure en discussion, celui pour la confection du matériel roulant est terminé, indique la Caisse. Il faut donc comprendre que les offres permettent à la Caisse de trancher en faveur d’un des trois groupes soumissionnaires (Bombardier ou Hyundai-RATP ou Alstom-SNC), bien qu’aucun n’ait encore été choisi par la Caisse.

Au départ, la Caisse s’attendait à consacrer les trois quarts du budget au volet ingénierie-construction et le reste au matériel roulant.

Qui paiera ?

Cela dit, une question délicate se pose maintenant : qui paiera l’éventuelle somme qui dépasserait les 6 milliards du projet d’origine ? Est-ce Québec, Ottawa ou la Caisse de dépôt ?

Bien sûr, la Caisse répétera que le budget reste à 6 milliards pour l’instant, mais il faut être réaliste : à moins que certains aspects du projet soient mis au rancart, il est bien possible qu’il faille ajouter quelques centaines de millions pour voir naître le REM, en plus de délais additionnels de quelques mois.

Dans l’état actuel des choses, seuls Québec et la Caisse sont actionnaires du projet, puisque les fonds d’Ottawa (1,3 milliard) sont encore sous forme de subventions (ils pourraient se transformer en capital de participation si la nouvelle Banque d’infrastructure du fédéral décidait d’y participer).

L’injection proposée par la Caisse (2,7 milliards) et le gouvernement du Québec (1,3 milliard) leur donne donc une participation respective au capital de 67,5 % et 32,5 %1.

Trois scénarios sont possibles advenant un gonflement de la facture. Premièrement, les deux partenaires actuels pourraient se partager les coûts additionnels à parts égales. Dans un tel cas, si les coûts gonflent de 1 milliard, par exemple, Québec devrait allonger 325 millions de plus et la Caisse, 675 millions.

Deuxième scénario : la Caisse pourrait entièrement absorber la note. Dans un tel cas, sa participation au projet augmenterait en proportion, ce qui augmenterait son risque, mais également sa part des profits éventuels.

Par exemple, si le projet coûte 1 milliard de plus, la participation de la Caisse passerait à 74 % et celle du Québec serait diluée à 26 %.

Dans le plan d’affaires, il est précisé que le gouvernement du Québec ne commencera pas à empocher des profits tant que la Caisse n’aura pas atteint son rendement de 8 %. Or, ces profits sont fonction de l’achalandage. L’investissement plus élevé de la Caisse impliquerait donc que le Québec doive compter sur un achalandage plus élevé que prévu dans le plan pour toucher son premier sou de profit.

Troisième scénario : le gouvernement fédéral accepterait d’assumer une partie de l’éventuelle facture additionnelle, soit comme subventionnaire, soit comme actionnaire. Enfin, il se pourrait qu’il y ait un amalgame des trois scénarios, bien sûr.

Si je suis surpris ? Pas du tout. Dans le monde, 9 mégaprojets sur 10 coûtent plus cher que prévu. Et dans le secteur du rail, les dépassements moyens atteignent 45 %, tandis que la surestimation du nombre d’utilisateurs excède 50 %.

Un autre élément des offres qui pourrait être en discussion est justement la garantie exigée par la Caisse que le consortium choisi prendra à sa charge les dépassements de coûts liés à l’exécution du projet. De telles garanties comportent des risques pour les consortiums, ce qui augmente le prix offert.

D’une façon ou d’une autre, les Québécois seront mis à contribution pour cette probable hausse du budget du REM, à moins que certains éléments soient abandonnés.

1 Le montant de capital-actions du projet de 6,04 milliards est de 5,24 milliards en incluant le fédéral, le reste du financement venant d’Hydro-Québec (295 millions) et d’une subvention du gouvernement du Québec (512 millions) pour la plus-value foncière du projet.

Réseau électrique métropolitain

La Caisse de dépôt veut « un meilleur rapport qualité-prix »

La Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) n’attribuera pas avant février 2018 les contrats pour la construction et la fourniture du matériel roulant du futur Réseau électrique métropolitain (REM), un projet de train électrique de plus de 6 milliards de dollars.

La filiale de la Caisse responsable du grand projet de transport collectif, CDPQ Infra, affirme dans un communiqué que « des discussions supplémentaires sont nécessaires pour atteindre un meilleur rapport qualité-prix » pour le contrat principal d’ingénierie et de construction du REM.

Cela tend à accréditer la rumeur voulant que ce projet de train électrique de 67 kilomètres, tel que présenté par CDPQ Infra, coûtera beaucoup plus cher que les 6 milliards prévus.

Par conséquent, CDPQ Infra lance « une période de discussions soutenues avec les consortiums qualifiés pour ce volet ». Deux consortiums ont déposé une proposition pour la réalisation du projet : le Groupe NouvLR, formé de SNC-Lavalin, Dragados, Pomerleau et plusieurs autres partenaires, et le consortium Kiewit-Eurovia, formé par ces deux géants des grands travaux d’infrastructures et de transport, qui ont leur siège aux États-Unis et en France.

Les discussions se poursuivront jusqu’à la fin de janvier, après quoi « les consortiums privilégiés seront sélectionnés d’ici la mi-février ».

En ce qui concerne le matériel roulant et l’exploitation, le communiqué affirme qu’il n’est pas prévu d’avoir des discussions supplémentaires, parce que les propositions reçues « concordent avec les grands principes établis par CDPQ Infra ».

Les travaux qui devaient commencer au printemps, puis à l’été, puis à l’automne de cette année, ne débuteront finalement pas avant le printemps 2018.

« Quelques semaines de plus »

Le porte-parole de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Maxime Chagnon, a tenu hier à minimiser l’importance ou la signification de cette prolongation du processus visant l’attribution du contrat principal, qui pourrait s’élever à plus de 4 milliards.

« Nous allons réaliser le REM en respectant tous nos engagements envers les parties prenantes, les usagers, le gouvernement et les Québécois. »

— Maxime Chagnon

« Mais cela doit absolument reposer sur un meilleur rapport qualité-prix. Depuis le début du projet, on a dit que nos principes fondamentaux sont la rigueur et le rapport qualité-prix. C’est comme cela que la Caisse fait des affaires partout dans le monde. »

Ce nouveau délai avant le début des travaux de construction, qui devaient commencer à l’origine dès le printemps 2017, rend l’échéancier de mise en service pour la fin de 2020 de moins en moins vraisemblable.

En supposant que les travaux débutent au printemps 2018, le groupe choisi n’aurait que 30 mois pour concevoir et construire un réseau de train de 67 kilomètres dont la moitié du tracé dans des emprises encore inexistantes, comportant des kilomètres de sections aériennes et deux tunnels – un sous les pistes de l’aéroport de Dorval et l’autre sous le canal de Lachine, aux portes du centre-ville de Montréal.

« Au niveau de l’échéancier, nous n’avons rien de nouveau à annoncer, a dit le porte-parole de la Caisse. Tout cela va se décider quand on aura terminé le processus d’appel d’offres. Franchement, quelques semaines de plus pour obtenir un meilleur rapport qualité-prix sur un projet de cette ampleur, ce n’est rien. »

Complexité

Au printemps 2016, la Caisse de dépôt a proposé au gouvernement du Québec de réaliser le plus grand projet de transports en commun depuis la construction du métro, en 1966.

Le REM est un réseau de train électrique de 67 kilomètres qui comptera 27 stations, 14 terminus d’autobus et 15 stationnements incitatifs. Il reliera le centre-ville de la métropole à la Rive-Sud, à Laval, à la banlieue nord ainsi qu’à l’ouest de l’île de Montréal, jusqu’à Sainte-Anne-de-Bellevue. Une antenne desservira l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau.

Le coût de ce projet, modifié et peaufiné à maintes reprises depuis un an et demi, est aujourd’hui estimé à 6 milliards. Sa mise en service est toujours prévue à la fin de 2020.

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