SANTÉ REPRODUCTIVE

Planifier ses règles avec sa tablette

Annie-Claude Tousignant utilise l’application Simple Period depuis quatre ans. Chaque mois, elle y inscrit la date où ses règles commencent et celle où elles finissent. En se basant sur les données qu’elle y a consignées, l’application anticipe, tous les mois, le jour où son ovulation devrait avoir lieu et celui où les règles devraient commencer.

La résidante de Terrebonne a accepté sans hésitation de parler de son utilisation de Simple Period. Un portrait d’elle pour accompagner l’article ? Pas de problème. Pour elle, les règles ne sont pas un sujet tabou et ne l’ont jamais été.

« J’ai trois filles et on était trois sœurs à la maison », résume la femme de 37 ans, qui se souvient avoir reçu un gâteau, à la maison, pour célébrer ses premières menstruations. « Et mon père n’était pas si traumatisé que ça ! », rigole Annie-Claude Tousignant, enseignante en réorientation de carrière et blogueuse pour le site TPL Moms.

DES MILLIONS D’UTILISATRICES

Si les femmes ne se bousculent pas au portillon pour parler de leurs règles dans les médias, elles sont assez nombreuses à utiliser, dans l’intimité, une application qui permet de suivre leur cycle menstruel, a-t-on pu constater en faisant un petit appel à tous sur Facebook.

« Je m’en sers pour vérifier mon cycle menstruel ; je suis souvent irrégulière et j’aime ça savoir à peu près quand je vais avoir les prochaines règles », nous a dit Marie-Hélène, 26 ans. « Moi, j’utilise l’application Period Tracker pour savoir quelle journée où je vais me sentir scrap dans le mois », nous a écrit Catherine, 39 ans.

« J’ai fait plusieurs cycles de fécondation in vitro et je dois compiler plusieurs renseignements ; j’utilise l’application Clue. »

— Julie, 33 ans

Selon des données de l’IMS Institute for Healthcare Informatics rapportées dans le New York Times l’an dernier, deux applications pour suivre le cycle menstruel – Period Tracker et Period Calendar – ont été téléchargées ensemble 10 millions de fois sur des appareils Android. Parmi les 15 applications gratuites les plus populaires dans l’Apple Store, catégorie Forme et santé, 3 sont destinées à suivre le cycle menstruel.

Cet engouement n’est pas passé inaperçu chez Apple : dans la plus récente version du système d’exploitation mobile iOS9, l’application Santé propose une nouvelle fonction « médecine de la procréation ». On peut consigner ses dates de menstruations, sa température basale, ses résultats de tests d’ovulation, son activité sexuelle et même l’état de sa glaire cervicale !

UNE APPLI POUR TOMBER ENCEINTE ?

L’application Clue permet elle aussi de consigner une foule de renseignements, dont les résultats de tests d’ovulation et la température basale. Grâce à un « algorithme », l’application prédit, mois après mois, la période la plus propice pour concevoir. La fondatrice de Clue, Ida Tin, affirme même être tombée enceinte de sa deuxième en utilisant sa propre application.

« Plus on y met de renseignements, plus l’application devient précise », explique Lisa Kennelly, directrice du marketing pour Clue, qui compte quelque 2,5 millions d’utilisatrices réparties dans 190 pays.

UN OUTIL POUR SE COMPRENDRE

Les femmes qui utilisent Clue dans l’optique d’avoir un enfant constituent uniquement une minorité des utilisatrices, souligne Lisa Kennelly, que La Presse a jointe à Berlin, où sont situés les bureaux de Clue. Le profil le plus important ? Des adolescentes et les femmes dans la vingtaine. L’application offre d’ailleurs une fonction de rappel pour prendre la pilule anticonceptionnelle. 

« Certaines de nos utilisatrices ont leurs règles pour la première fois et veulent comprendre ce qui se passe, explique Lisa Kennelly, qui précise que l’application contient quelque 100 pages de renseignements. En comprenant ce qui se passe dans leurs corps, les femmes se sentent plus en contrôle et sont plus à même de prendre les bonnes décisions à propos de leur santé reproductive. »

Lorsqu’elle a installé son application sur son téléphone, il y a quatre ans, Annie-Claude Tousignant voulait s’assurer de vérifier que ses règles avaient bien lieu le jour prévu. Un an après la naissance de sa troisième fille, elle venait de se faire poser un stérilet, mais elle avait tout de même un peu peur de tomber enceinte. Elle se savait très fertile (ça a fonctionné du premier coup pour ses trois filles).

Aujourd’hui, son application lui permet de documenter son cycle menstruel, comme le lui a demandé sa gynécologue. Ses règles sont problématiques (« un déluge », résume-t-elle) et sa gynécologue souhaite avoir une vision d’ensemble pour évaluer l’ampleur du problème et déterminer la solution la plus appropriée pour elle.

La fille aînée d’Annie-Claude Tousignant, qui a 10 ans, est à l’aube de la puberté. « Je suis convaincue qu’un jour, sur sa tablette, elle va avoir une application comme ça », conclut sa mère, qui constate que les filles, aujourd’hui, sont beaucoup plus à l’aise de parler de leurs règles que celles des générations qui les ont précédées.

Et, si la tradition se poursuit, son aînée pourrait aussi avoir droit à une petite célébration pour souligner son passage dans le monde des grandes.

Pas magique

Le Dr Jacques Kadoch, directeur médical de la Clinique de procréation assistée du CHUM, n’a jamais croisé de patientes qui lui aient dit utiliser une application pour suivre le cycle menstruel. « Je ne vois pas qu’est-ce qu’il y aurait de magique dans ces nouvelles applications, autrement que d’être plus conviviales qu’une courbe de température classique, dit-il. Je ne pense pas que, scientifiquement, il y ait quelque chose de robuste, en arrière, pour supporter de tels développements et les encourager du jour au lendemain. » La courbe de température permet de déterminer le moment où a eu lieu l’ovulation, mais a posteriori seulement (la hausse de température signifie que l’ovulation a déjà eu lieu), rappelle le Dr Kadoch. « Ce n’est pas parce que la patiente a des cycles parfaitement réguliers qu’elle ovule forcément exactement le même jour d’un mois à l’autre », rappelle-t-il.

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