Gala Québec Cinéma 2019

Ce que les films racontent de nous

Le visionnement des 20 films finalistes au Gala Québec Cinéma a permis à quelques thèmes récurrents de la cinématographie d’ici de nous sauter aux yeux. Voici ceux qui ressortaient du lot, dans les œuvres étudiées par nos quatre journalistes.

Fragile santé mentale

L’adage « les gens heureux n’ont pas d’histoire » semble se confirmer, si on se fie aux récits retenus par le jury du Gala. Dans Sashinka, la jeune protagoniste Sasha (Carla Turcotte), aux prises avec un trouble alimentaire, doit composer avec une mère alcoolique et complètement paumée. Dérive nous présente une mère endeuillée qui ne voit rien aller de la détresse de ses deux filles. Ce n’est guère plus jojo dans le patelin tourmenté de Nous sommes Gold, où l’on prépare le 10e anniversaire de l’effondrement de la mine, qui a coûté la vie à 53 personnes. Dans Allure, le personnage principal de Laura (Evan Rachel Wood) a un sérieux problème d’identité et une sexualité ambiguë après avoir été agressé par son père.

En regardant certains de ces films, on pense d’emblée au mouvement du « réalisme suicidaire », nommé par le cinéaste Matthew Rankin. « Depuis une décennie, le cinéma québécois semble s’enfoncer dans une espèce de Weltschmerz nihiliste et austère que je me plais à nommer le réalisme suicidaire. Un mouvement qui se caractérise par son intérêt pour une forme de mélancolie, morne et inconsolable, doublée d’une préoccupation thématique constante pour le suicide », a écrit Rankin en 2014, dans la revue 24 images. Cinq ans plus tard, les voix se sont multipliées, mais les tonalités sombres semblent encore planer sur le cinéma québécois.

La fascination de l’adolescence

Cette période de transition, grand et difficile passage de l’enfance à la vie adulte, fascine les cinéastes québécois. L’adolescence, ses inconforts, ses rébellions, ses erreurs, mais aussi ses découvertes et ses prises de conscience, sont à la base du scénario d’au moins six films en nomination. Une colonie, La disparition des lucioles, Genèse, La chute de Sparte, Dérive et Avant qu’on explose sont tous des récits initiatiques. Bien qu’elle n’en soit pas le thème principal, l’adolescence est également incarnée par quelques personnages secondaires de films comme Nous sommes Gold, Allure, Eye on Juliet et même Les salopes ou le sucre naturel de la peau. Malgré tous les tourments, les déchirements et les revirements, ces œuvres finissent à peu près toutes sur une note d’espoir. Le cinéma québécois se tournerait-il tranquillement vers la lumière ?

Sortir des villes

On a déjà accusé notre cinéma d’être trop urbain, voire éminemment montréalais. Ce n’est pas le cas avec cette cuvée. La disparition des lucioles, Nous sommes Gold, Avant qu’on explose, Répertoire des villes disparues et Une colonie se déroulent dans des bourgades de région. Le critique Marc-André Lussier a souligné les « superbes images de Jean-François Lord », qui fait plusieurs plans aériens des grandes forêts de conifères de l’Abitibi, dans Nous sommes Gold. La petite ville de région non nommée de La disparition des lucioles est associée à l’ennui, à l’envie d’exil du personnage principal qui veut à tout prix s’enfuir. Souvent mélancoliques, les paysages filmés au Québec ces dernières années ont au moins le mérite d’être variés et de montrer d’autres réalités géographiques, sociales et économiques de notre belle province. Dans La grande noirceur, le personnage québécois de Philippe (Martin Dubreuil) est réfugié dans le Midwest américain pour fuir la conscription durant la Seconde Guerre mondiale. Kim Nguyen nous transporte pour sa part dans le désert du Maroc, dans Eye on Juliet, tandis que nous suivons Ricardo Trogi en Italie dans 1991.

L’homme va-t-il mieux ?

Vous souvenez-vous du cri du cœur d’un groupe de comédiens, dont Luc Picard, qui, en 1998, avaient dénoncé le fait que les hommes étaient mal représentés sur les écrans québécois ? « Mou, perdant, torturé : l’homme dans les téléromans », s’intitulait le reportage d’Enjeux, à Radio-Canada. Vingt ans plus tard, on ne peut pas dire que la situation a beaucoup changé. Dans le film Dérive, Océane (Éléonore Loiselle), 16 ans, s’amourache d’un comédien plus âgé qu’elle, qui finit même par la violer. Scénario semblable dans Genèse. La disparition des lucioles, Nous sommes Gold, La grande noirceur nous présentent également des hommes lâches, sans ambition, déprimés. Heureusement, dans le lot, il y a l’autodérision d’un Ricardo Trogi qui, malgré ses travers, reste drôlement attachant !

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