Chronique

Le pays dans le sirop

Comment parler du Québec, de ses racines, de son histoire et de ses traditions sans verser dans la quétainerie folklorisante la plus complète et sans non plus exclure les autres qui ne sont pas nés ici ou qui viennent d’arriver ?

Comment aussi parler du pays qui n’a jamais vu le jour, de l’indépendance qui n’a pas été atteinte, d’une quête identitaire éternellement à repenser, sans ennuyer, sans exaspérer et sans diviser ?

Le réalisateur Francis Legault, à qui on doit la très divertissante série radiophonique L’autre midi à la table d’à côté, a trouvé le moyen. Non seulement le moyen, mais la métaphore : celle du sirop d’érable, notre or national, un or blond souvent désavoué par les citadins déracinés, mais qui a repris du galon dernièrement et qui est le sujet central de son documentaire : Le goût d’un pays.

Le film vient de remporter le prix du public aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal et prendra l’affiche dans quelques salles au Québec le 2 décembre.

C’est un film-chorale avec plusieurs acteurs et plusieurs points de vue, dont celui d’un fils prodige – Fred Pellerin – et de son père spirituel – le grand Gilles Vigneault –, les deux réunis dans une érablière pendant le temps des sucres et qui philosophent, avec verve et avec force images, du Québec qu’ils aiment et aussi, parfois, du Québec qui les désespère.

Citant Louis Hémon et sa célèbre phrase « ces gens sont d’une race qui ne sait pas mourir », Fred Pellerin demande à Vigneault : « ils ne veulent pas mourir, mais veulent-ils exister ? », avant d’ajouter : « peut-être qu’ils ne veulent pas exister ». « Oui, peut-être qu’ils ne veulent pas exister », opine Vigneault, avant de devenir songeur et silencieux.

C’est un des moments les plus poignants d’un film autrement plus joyeux, inspirant et rassembleur, qui nous entraîne au cœur du vrai « printemps érable » au temps béni des sucres.

L’idée originale du film est née après l’enregistrement de l’épisode de L’autre midi à la table d’à côté où Pellerin et Vigneault s’étaient rencontrés pour la première fois. Après l’émission, les deux avaient discuté de leurs érablières, semant dans l’esprit de Francis Legault le rêve de les réunir à nouveau, mais cette fois au cinéma.

En même temps, Pellerin et Vigneault n’accaparent pas tout le temps l’écran du Goût d’un pays. Leurs visages se mêlent aux visages et aux témoignages de Boucar Diouf, Kim Thúy, Fabien Cloutier, de l’historien Daniel Turcotte et de la critique de restos Lesley Chesterman. Essentiellement, le film tourne autour des rituels d’authentiques sucriers, notamment la famille Vermette de Mirabel, ceux de l’érablière l’Hermine et Roméo Bouchard et son fils à Kamouraska, qui, tous, entretiennent un réel rapport amoureux avec leurs érables et pour qui le temps des sucres est un moment de travail, de précision, mais aussi de réjouissances.

L’historien Daniel Turcotte raconte à cet effet la jubilation des premiers colons en apprenant des autochtones qu’ils pouvaient extraire le sucre des érables et, par conséquent, qu’ils n’avaient plus besoin d’importer le sucre des Antilles.

Pour le réalisateur Francis Legault, la beauté du sirop d’érable, ce puissant symbole identitaire québécois, c’est qu’il est d’abord le fruit d’un métissage entre la science infuse des autochtones qui avaient découvert la sève d’érable et les chaudrons des colons qui l’ont fait bouillir.

Quant à Martin Picard, le célèbre restaurateur du Pied de cochon, son histoire d’amour avec le sirop d’érable est née dans un petit village en Espagne, où un aubergiste tenait de gros gallons d’huile d’olive provenant de son jardin. Picard a compris ce jour-là que le sirop d’érable, c’était l’huile d’olive du Québec et qu’il méritait autant de respect et de reconnaissance. Ainsi naquit la cabane à sucre Au pied de cochon.

Il y a dans la récolte et la fabrication du sirop d’érable une dimension familiale importante, notamment dans la transmission d’une pratique perpétuée de père en fils. Or, à cet égard, la famille la plus inspirante du film est celle des Tessier-Nault, une famille pur béton montréalaise. Simon, le père, travaille dans le domaine de la santé, sa femme Maëcha est sage-femme. Tous les printemps, Simon, Maëcha et leurs trois enfants partent faire les sucres avec leurs amis dans leur petite érablière à Mansonville. Le rituel dure un mois, pendant lequel les enfants ne vont pas à l’école et, comme le dit si bien la volubile Adèle : « Nos professeurs comprendraient sans doute mieux si on partait un mois en Afrique qu’un mois pour faire les sucres ».

Autant dire que leurs profs se trompent. Car voir ces enfants de la ville suivre leurs parents pour faire des entailles aux érables puis récupérer et charrier les sceaux remplis d’eau d’érable pendant de longues heures dans la neige et le froid, tout cela au nom d’une tradition vieille de 400 ans, fait chaud au cœur et inspire. Cela donne aussi à réfléchir à la fois sur la pérennité des traditions, mais aussi sur la pérennité de la nation québécoise, cette race de gens qui ne savent pas mourir. Qu’en sera-t-il dans 200 ans ? Est-ce qu’il y aura encore des érables à entailler et des sucriers pour en prélever l’eau ? Est-ce que le Québec existera encore ? Autant de questions que pose Le goût d’un pays en laissant à tout un chacun la liberté d’y répondre à sa façon.

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