Attentat à Paris Éditorial

Charlie, vraiment ?

Il était très émouvant de voir plus d’un million de Français rassemblés hier, à Paris, pour manifester contre le terrorisme et pour la liberté d’expression. Tout comme a fait chaud au coeur l’immense mouvement de solidarité auquel on a assisté au cours des derniers jours autour du slogan « Je suis Charlie ». Aux terroristes, le monde, de la France au Mali en passant par la Palestine et Israël, a répondu par une immense vague de solidarité.

Le plus difficile reste à faire, toutefois. D’abord pour les États concernés, au premier plan la France, confrontés à d’énormes défis de sécurité et, surtout, d’intégration. Et aussi pour nous tous, journalistes, intellectuels et citoyens, qui avons affirmé haut et fort notre foi dans la liberté d’opinion. Car, en France comme ailleurs, le principe est plus facile à défendre en théorie que dans la réalité. Le premier test viendra lorsqu’un chroniqueur, un artiste ou un conférencier dira des choses qui choquent la majorité de la population, plutôt qu’une minorité.

À cet égard, la France n’est pas le paradis de la liberté d’opinion qu’on a décrit depuis les attentats. À cet égard, les tribunaux français se sont fait taper sur les doigts à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a notamment donné raison à un homme condamné pour « offense au président de la République » après avoir brandi, au passage de Nicolas Sarkozy, une pancarte sur laquelle on pouvait lire « Casse-toi pov’con. » « Sanctionner pénalement des comportements comme celui-là est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur des interventions satiriques qui peuvent contribuer au débat sur des questions d’intérêt général », concluait la Cour, en mars 2013.

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Il y a un an, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, a demandé aux municipalités, puis aux tribunaux d’interdire un spectacle de l’antisémite Dieudonné. Lorsque le Conseil d’État lui a donné raison, M. Valls a déclaré : « C’est une victoire pour la République ! » Paradoxalement, c’est la même République qu’il invoque aujourd’hui pour défendre la campagne satirique de Charlie Hebdo contre les religions.

Le bilan du Québec en la matière n’est pas sans taches. Si on a le droit de dénoncer et de ridiculiser les religions, pourquoi serait-il interdit aux croyants d’exprimer leur foi en public, par exemple en portant un signe religieux ? C’est pourtant ce que réclamaient un grand nombre de Québécois au cours du débat sur la « charte des valeurs ».

« Oui mais, ce n’est pas la même chose », répondront les partisans de la « charte ». Les violations de la liberté d’expression commencent toujours par un « oui mais… ». De ces « oui mais... » il faudra désormais se méfier, du moins si nous restons vraiment « Charlie ».

En 2013, le gouvernement du Québec a demandé à Ottawa d’interdire l’entrée d’imams connus pour leurs propos sexistes. « Ces prédicateurs véhiculent des valeurs qui vont totalement à l’encontre des principes d’égalité entre les hommes et les femmes défendus au Québec », expliquait la ministre de la Condition féminine, Agnès Maltais. Ainsi, telle que comprise au Québec, la liberté d’expression protège les dessins qui heurtent les musulmans mais pas les déclarations offensantes sur les femmes. Selon quelle logique ?

Croire en la liberté d’expression, c’est faire confiance au jugement des citoyens, qui sont parfaitement capables de distinguer ce qui est sensé de ce qui ne l’est pas, ce qui correspond à leurs valeurs et ce qui s’y oppose. Sauf en cas d’incitation à la haine ou à la violence, la censure des opinions, quelles qu’elles soient, va à l’encontre de l’essence de la démocratie.

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