Institut de la statistique du Québec

Des chercheurs dénoncent l’abolition d’une banque de données

Invoquant les contraintes budgétaires imposées par Québec, l’Institut de la statistique du Québec met la hache dans une importante banque de données qui regroupe une multitude d’indicateurs sur la société québécoise. Cette disparition est jugée « ironique » par des chercheurs, au moment où Québec s’est engagé à devenir un « gouvernement ouvert ».

L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) a annoncé sur son site web que la banque de données des statistiques officielles sur le Québec, souvent appelée BDSO par ses utilisateurs, n’a pas été mise à jour depuis près d’un mois. Sa mort officielle est annoncée pour le 19 août.

« Comme tous les organismes publics, nous faisons face à des contraintes budgétaires, et ça nous oblige à faire des choix », a expliqué Patricia Caris, directrice générale adjointe aux statistiques et à l’analyse sociales à l’ISQ.

La BDSO regroupe les données et statistiques de 28 ministères et organismes publics du Québec. On y retrouve autant les grands indicateurs économiques que des données sur la qualité de l’air, les dépenses en culture des ménages ou le développement des enfants.

Ce guichet unique est utilisé autant par les chercheurs que par les gens du gouvernement et les journalistes. Selon l’ISQ, la BDSO entraîne des coûts de 1 million de dollars par année, qu’il était devenu impossible d’assumer.

« Ça me préoccupe.  La BDSO simplifie l’accès à plein de données. On avait déjà eu les coupes à Statistique Canada, on n’avait pas besoin de ça. »

— Pierre-Olivier Pineau, expert en politiques énergétiques à HEC Montréal, qui dit se servir régulièrement de l’outil

Selon l’ISQ, la plupart des données publiées dans la BDSO continueront d’être recueillies par les différents ministères, qui pourront décider de les publier eux-mêmes sur leur site internet. Le hic, c’est que les données ne seront plus harmonisées dans un même format ni disponibles au même endroit.

« Ça va nous obliger à fouiller, à gratter beaucoup, ce qui va se traduire par d’importantes pertes de temps », déplore Pierre-Olivier Pineau.

Jean Poirier, directeur adjoint du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales, a une autre inquiétude : celle que certaines données disparaissent complètement des radars.

« La grande question, c’est de savoir si les ministères qui participaient à la BDSO vont maintenant publier les données eux-mêmes. On peut penser que les grands ministères vont le faire. Mais pour les plus petits organismes, qui font face à la même conjoncture budgétaire que l’ISQ, on peut penser que ça va créer un problème d’accès pour les chercheurs. »

Selon lui, la disparition de la BDSO n’aura cependant pas un impact aussi important que l’abolition du caractère obligatoire du formulaire long de recensement de Statistique Canada. Cette décision, prise par le fédéral en 2010, avait suscité un tollé parmi la communauté scientifique.

MANQUE D'INFORMATIONS

Pierre-Olivier Pineau, de HEC Montréal, affirme que l’accès aux informations est de plus en plus difficile tant au provincial qu’au fédéral. Lui-même se dit par exemple incapable aujourd’hui de chiffrer la proportion de l’énergie produite par la biomasse au Québec. Et il soupçonne d’importantes incohérences dans le bilan de gaz à effet de serre de la province, des données pourtant utilisées pour diriger les efforts de réduction.

« Le manque d’information touche les décideurs qui font les politiques publiques, mais aussi les investisseurs. Quand on veut investir dans un secteur, que ce soit la biomasse ou le gaz naturel, il faut avoir des données pour comprendre les tendances et les marchés », illustre-t-il.

L’ISQ affirme que certains services pourront être maintenus… mais à condition de payer pour les obtenir.

« Quand les gens nous le demandent – et pour être honnête, qu’ils acceptent de payer pour – on va continuer à préparer les données, à les formater et à les diffuser. »

— Patricia Caris, directrice générale adjointe aux statistiques et à l’analyse sociales à l’ISQ

Jean Poirier, du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales, rappelle que la disparition de la BSDO survient alors que le gouvernement du Québec a pris l’engagement de devenir un « gouvernement ouvert ».

« Un gouvernement ouvert, c’est un gouvernement transparent, qui offre un accès libre, facile et gratuit à l’information gouvernementale », peut-on lire sur le site du gouvernement.

« Il me semble qu’on agit en contradiction avec les grands principes qu’on annonce », dit M. Poirier.

« C’est ironique, renchérit Pierre-Olivier Pineau. Évidemment, moins on a de données à divulguer, plus il est facile d’être ouvert… »

L’ISQ FRAPPÉ DES DEUX CÔTÉS

Les contraintes budgétaires imposées par le gouvernement Couillard ont un double effet sur l’Institut de la statistique du Québec. D’abord, la subvention allouée par le ministère des Finances a été réduite. Mais il y a aussi le fait qu’environ la moitié du budget de l’ISQ provient d’études réalisées pour d’autres ministères. Or, ceux-ci ayant aussi moins d’argent, ils commandent moins d’études. Résultat : en trois ans, les revenus totaux de l’ISQ ont chuté de 14 %.

REVENUS TOTAUX DE L’ISQ (EN MILLIONS DE DOLLARS)

2009-2010 : 27,1

2010-2011 : 29,4

2011-2012 : 29

2012-2013 : 28,3

2013-2014 : 25,3

RESSOURCES HUMAINES (ÉQUIVALENTS TEMPS PLEIN)

2009-2010 : 309

2010-2011 : 348

2011-2012 : 337

2012-2013 : 319

2013-2014 : 294

Source : Rapport annuel de l’ISQ

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