Vin

La formidable poussée du vin québécois

La production de nectar a crû de 75 % en trois ans et va quintupler d’ici dix ans. Le consommateur répond présent. Les vignerons plantent de la vigne comme jamais en vue de le satisfaire.

UN DOSSIER D’ANDRÉ DUBUC

Production vinicole

« Aujourd’hui, mon problème, c’est d’arriver à fournir »

Histoire à succès sous-estimée, le vin québécois a une occasion à saisir grâce au goût prononcé des Québécois pour le fruit de la vigne et à la libéralisation récente de la vente d’alcools du terroir. La balle est dans le camp des vignerons, qui doivent faire de bons vins en quantité pour répondre à la demande.

« Aujourd’hui, mon problème, c’est d’arriver à fournir. Le consommateur a pris goût à ce que je fais et en redemande », confie Charles-Henri de Coussergues, copropriétaire de L’Orpailleur, l’un des pionniers de la production vinicole et le plus important domaine au Québec avec ses 37 hectares.

De 2013 à 2017, la production annuelle du vignoble québécois est passée de 1 à 2,3 millions de bouteilles, selon le Conseil des vins du Québec. Un peu moins de 3 millions de bouteilles sont attendues cette année.

« L’objectif de 10 millions de bouteilles est à portée de main d’ici à 2030 si le gouvernement met rapidement en place un généreux programme d’aide à la plantation de vignes », avance, enthousiaste, Yvan Quirion, président du Conseil des vins, nouveau nom de l’association représentant les vignerons. M. Quirion est aussi copropriétaire du Domaine St-Jacques, qui produit 121 000 bouteilles et qui fait pousser du raisin sur une superficie de 23,5 hectares à Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie.

Dix millions de bouteilles représentent entre 4 et 5 % des vins vendus par la Société des alcools du Québec (SAQ) en 2017. Actuellement, la production locale occupe un maigre 1 % du marché.

« Je pense que les vignerons vont pouvoir atteindre les 5 % de parts de marché avant 2030, soutient Frédéric Laurin, économiste et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières. M. Laurin est un défenseur de la libéralisation de la distribution d’alcools. « Quand je regarde la croissance incroyable au Québec qu’ont connue tous les produits du terroir, c’était seulement le vin où ça tardait à paraître à cause des lacunes en distribution d’avant la loi 88. »

Mise en vigueur le 14 décembre 2016, la loi 88 (Loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales) permet aux vignerons de vendre leurs crus directement aux épiciers sans passer par la SAQ.

« L’industrie a enfin réglé le problème de mise en marché. Aujourd’hui, la balle est dans le camp des vignerons. À nous de faire de bons vins et de répondre à la demande », résume M. de Coussergues.

Manque de fournitures

Il s’est vendu environ 117 000 bouteilles en épicerie en 2017, selon l’estimation de M. Quirion.

Dix-huit mois après son entrée en vigueur, la loi 88 a eu un impact positif indéniable sur l’industrie, mais moins qu’anticipé par certains.

La raison ? Les vignobles québécois manquent de fournitures. « Je n’avais pas prévu que l’offre aurait de la difficulté à suivre, reconnaît aujourd’hui le professeur Laurin. Si ce n’était pas de ça, en trois ou quatre ans, leur part de marché aurait été de 5 %. »

Le 15 juillet, le réputé vignoble Les Pervenches, de Farnham, a fermé son point de vente à la ferme pour la saison, faute de produits à vendre.

« On a toujours vendu tous nos vins entre trois et six mois après leur embouteillage, indique Véronique Hupin, copropriétaire avec son conjoint Michael Marler du producteur de vin biologique, dont on peut trouver les produits à la carte de restaurants gastronomiques de Montréal et des Cantons-de-l’Est. Mais c’est la première année qu’on doit fermer aussi tôt dans la saison. »

« L’ouverture des épiciers depuis 18 mois a joué un rôle dans cette décision, poursuit-elle. Les caisses qu’on vend dans les épiceries d’aliments naturels ne sont plus disponibles pour la vente au vignoble. » Les Pervenches mettent sur le marché 20 000 bouteilles par an, issues de viniferas et d’hybrides français principalement.

« Comme propriétaires des Pervenches, ajoute Michael Marler, on ne doublera pas la production juste parce qu’il y a de la demande. Mais il faut que l’on grossisse un peu pour ne pas décevoir la clientèle. On discute tout le temps entre nous de ce qu’on va faire avec ça. »

Le couple a planté un hectare de vignes à sa ferme ces deux dernières années. Ses champs s’étendent maintenant sur 4 hectares.

« Ce sont de belles années pour nous »

L’Orpailleur, à Dunham, met les bouchées doubles. Il a planté 9 hectares depuis 2016. M. De Coussergues entend en planter encore l'an prochain. « Il s’en plante de la vigne au Québec, observe-t-il. C’est la galère pour avoir des plants. »

La production est rentable, assure le vigneron, sans dévoiler ses profits. « Ce sont de belles années pour nous », résume le proprio de L’Orpailleur. Il s’attend à voir des gens d’affaires investir dans la vigne comme ça s’est passé en Ontario dans les années 90.

Pour le président du Conseil des vins, les autres vignerons doivent emboîter le pas à Charles-Henri de Coussergues.

« On demande et on est en attente d’un programme d’aide à la plantation comme les autres provinces canadiennes en appliquent, explique son président Yvan Quirion. On demande une aide équivalente de 50 à 70 % du coût de plantation pour donner vraiment une impulsion de départ et pour que les banques suivent. »

La demande est plus forte que l’offre, insiste-t-il. « Les milléniaux sont déjà vendus au vin du Québec. Si rien ne se passe, on va être en rupture de stock pour 30 ans », déplore-t-il.

Yvan Quirion a saisi la balle au bond. Dans les dernières années, son domaine a planté de la vigne sur plus de 8 hectares. Dans les trois dernières années, il a investi 5 millions pour augmenter sa capacité de production et améliorer ses installations agrotouristiques. La boutique, adjacente à la maison familiale, est du dernier chic.

Cinq facteurs de succès

De grands amateurs de vin

En affaires, on souhaite toujours que le consommateur s’entiche de son produit. Or, les Québécois ingurgitent en moyenne 23 L de vin par an, la moyenne canadienne étant de 13,5 L. L’an dernier, la SAQ a vendu 173,1 millions de litres de vin, en hausse de près de 6 %.

Amélioration continue

Un virage qualité a été pris avec « Vin du Québec certifié » en 2009, une certification émanant de l’industrie : comité d’agrément, déclaration de rendement, audit annuel par Écocert et dégustation. À l’automne, la certification sera vraisemblablement transformée en Indication géographique protégée (IGP), gérée par le ministère de l’Agriculture.

Retour aux vignerons

En 2013, le gouvernement instaure le Programme d’appui au positionnement des alcools québécois dans le réseau de la SAQ (PAPAQ). Par celui-ci, le ministère des Finances retourne aux vignerons une portion de la marge que la SAQ a prélevée sur la vente des bouteilles. L’argent est réinvesti par le producteur dans la commercialisation.

Origine Québec

Depuis 2014, la SAQ accueille sur ses tablettes les vins locaux avec la planographie bleue Origine Québec. De plus, la SAQ fait la promotion des produits québécois trois fois par an en offrant un rabais de 10 %, à ses frais. Les ventes sont passées de 4,6 millions, en 2014, à 9,6 millions, en 2018.

Loi 88

Depuis le 14 décembre 2016, la loi permet aux titulaires d’un permis d’alcool d’épicier de vendre des vins québécois sans passer par la SAQ. « Avant, la majorité des Québécois n’avait pas accès aux vins d’ici, dit Frédéric Laurin, économiste. La loi est venue régler ça en grande partie. C’est une très bonne chose. »

— André Dubuc, La Presse

Production vinicole

Bon ou pas, le vin québécois ?

Snobé par les connaisseurs et les baby-boomers, le fruit de la vigne québécoise a déjà gagné à sa cause les papilles des plus jeunes, soutient le président du Conseil des vins du Québec.

« Les milléniaux sont très chauvins. Ils aiment nos vins québécois, nos cépages québécois, ils aiment la typicité de nos vins et ils sont de bons ambassadeurs avec les réseaux sociaux », dit Yvan Quirion, copropriétaire du Domaine St-Jacques.

La Presse a demandé un avis au chroniqueur Marc André Gagnon, rédacteur en chef du site internet VinQuébec. En général, il n’est pas impressionné par la qualité du liquide qui sort des cuveries locales.

« Les connaisseurs n’aiment pas beaucoup les vins québécois », soutient-il.

« Il y a un peu de snobisme, c’est vrai. Mais, pour un connaisseur, le problème des vins québécois, c’est qu’ils sont trop acides. »

— Marc André Gagnon, rédacteur en chef du site internet VinQuébec

Un problème de fond, selon lui, c’est que les vitiviniculteurs devraient se concentrer sur le blanc, le rosé et le mousseux, le terroir québécois convenant mieux à ces produits. Mais, ils s’entêtent à faire du rouge parce que c’est ce que boit le consommateur dans une proportion de 62 %, selon les données de la Société des alcools du Québec.

« Personnellement, je n’ai jamais bu un bon vin rouge québécois », laisse tomber le professeur Frédéric Laurin, œnophile.

Multiplication des cépages

Autre problème de fond, d’après M.Gagnon, c’est la multiplication des cépages. Les vendangeurs devraient se spécialiser et devenir excellents avec un ou deux cépages tout au plus, comme on voit dans les domaines européens. « Pour beaucoup de producteurs, le gros des ventes se fait à la ferme. En proposant plusieurs cépages aux clients, ils espèrent vendre deux ou trois bouteilles au lieu d’une seule », dit-il, avant de reconnaître que la production s’améliore d’année en année.

De leur côté, les vignerons à qui nous avons parlé sont persuadés de la qualité de leurs produits. Ceux-ci gagnent leur part de prix et de médailles. Certains se démarquent dans des dégustations à l’aveugle. Pour eux, leurs bouteilles n’ont absolument rien à envier aux vins européens.

Sur ce point, M. Gagnon est d’accord avec eux.

« Les vignerons n’ont pas à convaincre les connaisseurs. Ils doivent convaincre ceux qui achètent des vins chiliens, des vins australiens. Qu’ils aillent chercher la clientèle plus jeune, qui va trouver une facilité à l’acheter au dépanneur ou à l’épicerie.

« Il faut que les Québécois deviennent chauvins et qu’ils veuillent acheter du vin québécois, comme ils achètent du fromage québécois, enchaîne M. Gagnon. Comme partout ailleurs. Comme les Suisses qui boivent du vin suisse, qui est correct, mais qui est le double du prix des vins français. »

Évolution des ventes dans le réseau SAQ

(Nombre de bouteilles, exercice financier clos le 31 mars)

231 997 : 2014 

423 772 : 2015 

532 201 : 2016 

567 092 : 2017 

585 101 (préliminiaire) : 2018

Source : SAQ

Vin

Vers un réseau de boutiques privées

Les clients de la boutique le Bièrologue, à Montréal, qui étaient habitués à ne voir que des bières de microbrasseries sur les tablettes ont eu toute une surprise quand, du jour au lendemain, leur épicier préféré s'est mis à vendre du vin. 

« Le jour même où la loi 88 est entrée en vigueur, le 14 décembre 2016, j’avais quelques vignobles sur les étagères », dit Yves Deschênes, propriétaire de la boutique Le Bièrologue, devenue depuis Le Bièrologue-Le Vinologue, rue Ontario, près du marché Maisonneuve, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

En effet, la vente de vin québécois aux épiciers, sans passer par la SAQ, est maintenant possible. Récemment, le premier ministre Philippe Couillard a même ouvert la porte à une plus grande libéralisation de la vente d’alcools.

Les premières semaines, toutefois, les clients de l'échoppe étaient davantage surpris qu’enthousiastes. Pour contourner les préjugés vivaces qui accablent le vin québécois, M. Deschênes préfère utiliser les expressions « vins du terroir » ou « vins d’ici ».

« Je vois une progression significative quant à la réaction des clients, assure l’homme d’affaires de 46 ans. Depuis l’ouverture officielle du Vinologue, en septembre 2017, la réaction change en mieux de mois en mois. Les consommateurs sont beaucoup plus confiants et moins hésitants. »

La part des vins dans le chiffre d’affaires de la boutique de 1000 pi2 est passée de 3 % en septembre 2017 à 7 % en juin 2018, soutient-il. Outre le vin et la bière, l’épicerie fine vend des produits du terroir comme des saucisses de loup marin ou du sirop d’érable.

besoin de découvertes et d’information

Si cet exemple était imité, on assisterait à la naissance d’un premier réseau de cavistes de propriété privée, comme le réclame publiquement l’économiste Frédéric Laurin. Selon lui, la présence de cavistes viendrait combler un besoin de découvertes et d’information, bien réel chez les œnophiles.

Selon le Guide des vins et des vignes de France, un caviste est une personne chargée de l’achat, de la conservation et du conseil des vins. Il exerce dans une boutique ou « cave » sur rue ou bien sur l’internet.

« Il faut contextualiser les vins québécois, il faut les expliquer à la clientèle, il faut les faire découvrir », soutient l’auteur de plaquettes exposant les lacunes du modèle actuel de la distribution des vins dans la province comme Monopole inc. et Où sont les vins ?.

Par contextualiser, le professeur Laurin souhaite qu’on explique aux consommateurs ce qu’ils sont sur le point d’acheter. Selon lui, ce réflexe de vulgariser et de faire découvrir les produits en magasin donne de bons résultats pour ce qui est des bières de microbrasseries.

« On a besoin d’un lien entre le producteur et le consommateur, insiste le professeur d’économie à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ça ne se fait pas suffisamment ni à la SAQ, ni dans les supermarchés, ni dans les dépanneurs. Par contre, les petites boutiques de bières de microbrasseries commencent à distribuer des vins québécois. Ça commence. »

Le Vinologue propose environ 80 vins en provenance de 20 vignobles. Les artisans y viennent faire des dégustations. Chaque mois, un vignoble est à l’honneur. En juillet, c’est le tour du Chat Botté, d’Hemmingford, en Montérégie. En juin, c’était le producteur de vins bios Négondos, de Mirabel.

Trois sommeliers conseillent les 10 employés. Ceux-ci ont suivi deux formations jusqu’à présent, et une troisième portant sur les cépages locaux suivra incessamment. « On est des experts en bière ; pour le vin, on est en mode “éponge”, on absorbe toutes les informations », dit M. Deschênes, qui avoue avoir un faible pour les mousseux bios du Domaine Bergeville, du canton de Hatley.

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