Histoire à succès sous-estimée, le vin québécois a une occasion à saisir grâce au goût prononcé des Québécois pour le fruit de la vigne et à la libéralisation récente de la vente d’alcools du terroir. La balle est dans le camp des vignerons, qui doivent faire de bons vins en quantité pour répondre à la demande.
« Aujourd’hui, mon problème, c’est d’arriver à fournir. Le consommateur a pris goût à ce que je fais et en redemande », confie Charles-Henri de Coussergues, copropriétaire de L’Orpailleur, l’un des pionniers de la production vinicole et le plus important domaine au Québec avec ses 37 hectares.
De 2013 à 2017, la production annuelle du vignoble québécois est passée de 1 à 2,3 millions de bouteilles, selon le Conseil des vins du Québec. Un peu moins de 3 millions de bouteilles sont attendues cette année.
« L’objectif de 10 millions de bouteilles est à portée de main d’ici à 2030 si le gouvernement met rapidement en place un généreux programme d’aide à la plantation de vignes », avance, enthousiaste, Yvan Quirion, président du Conseil des vins, nouveau nom de l’association représentant les vignerons. M. Quirion est aussi copropriétaire du Domaine St-Jacques, qui produit 121 000 bouteilles et qui fait pousser du raisin sur une superficie de 23,5 hectares à Saint-Jacques-le-Mineur, en Montérégie.
Dix millions de bouteilles représentent entre 4 et 5 % des vins vendus par la Société des alcools du Québec (SAQ) en 2017. Actuellement, la production locale occupe un maigre 1 % du marché.
« Je pense que les vignerons vont pouvoir atteindre les 5 % de parts de marché avant 2030, soutient Frédéric Laurin, économiste et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières. M. Laurin est un défenseur de la libéralisation de la distribution d’alcools. « Quand je regarde la croissance incroyable au Québec qu’ont connue tous les produits du terroir, c’était seulement le vin où ça tardait à paraître à cause des lacunes en distribution d’avant la loi 88. »
Mise en vigueur le 14 décembre 2016, la loi 88 (Loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales) permet aux vignerons de vendre leurs crus directement aux épiciers sans passer par la SAQ.
« L’industrie a enfin réglé le problème de mise en marché. Aujourd’hui, la balle est dans le camp des vignerons. À nous de faire de bons vins et de répondre à la demande », résume M. de Coussergues.
Manque de fournitures
Il s’est vendu environ 117 000 bouteilles en épicerie en 2017, selon l’estimation de M. Quirion.
Dix-huit mois après son entrée en vigueur, la loi 88 a eu un impact positif indéniable sur l’industrie, mais moins qu’anticipé par certains.
La raison ? Les vignobles québécois manquent de fournitures. « Je n’avais pas prévu que l’offre aurait de la difficulté à suivre, reconnaît aujourd’hui le professeur Laurin. Si ce n’était pas de ça, en trois ou quatre ans, leur part de marché aurait été de 5 %. »
Le 15 juillet, le réputé vignoble Les Pervenches, de Farnham, a fermé son point de vente à la ferme pour la saison, faute de produits à vendre.
« On a toujours vendu tous nos vins entre trois et six mois après leur embouteillage, indique Véronique Hupin, copropriétaire avec son conjoint Michael Marler du producteur de vin biologique, dont on peut trouver les produits à la carte de restaurants gastronomiques de Montréal et des Cantons-de-l’Est. Mais c’est la première année qu’on doit fermer aussi tôt dans la saison. »
« L’ouverture des épiciers depuis 18 mois a joué un rôle dans cette décision, poursuit-elle. Les caisses qu’on vend dans les épiceries d’aliments naturels ne sont plus disponibles pour la vente au vignoble. » Les Pervenches mettent sur le marché 20 000 bouteilles par an, issues de viniferas et d’hybrides français principalement.
« Comme propriétaires des Pervenches, ajoute Michael Marler, on ne doublera pas la production juste parce qu’il y a de la demande. Mais il faut que l’on grossisse un peu pour ne pas décevoir la clientèle. On discute tout le temps entre nous de ce qu’on va faire avec ça. »
Le couple a planté un hectare de vignes à sa ferme ces deux dernières années. Ses champs s’étendent maintenant sur 4 hectares.
« Ce sont de belles années pour nous »
L’Orpailleur, à Dunham, met les bouchées doubles. Il a planté 9 hectares depuis 2016. M. De Coussergues entend en planter encore l'an prochain. « Il s’en plante de la vigne au Québec, observe-t-il. C’est la galère pour avoir des plants. »
La production est rentable, assure le vigneron, sans dévoiler ses profits. « Ce sont de belles années pour nous », résume le proprio de L’Orpailleur. Il s’attend à voir des gens d’affaires investir dans la vigne comme ça s’est passé en Ontario dans les années 90.
Pour le président du Conseil des vins, les autres vignerons doivent emboîter le pas à Charles-Henri de Coussergues.
« On demande et on est en attente d’un programme d’aide à la plantation comme les autres provinces canadiennes en appliquent, explique son président Yvan Quirion. On demande une aide équivalente de 50 à 70 % du coût de plantation pour donner vraiment une impulsion de départ et pour que les banques suivent. »
La demande est plus forte que l’offre, insiste-t-il. « Les milléniaux sont déjà vendus au vin du Québec. Si rien ne se passe, on va être en rupture de stock pour 30 ans », déplore-t-il.
Yvan Quirion a saisi la balle au bond. Dans les dernières années, son domaine a planté de la vigne sur plus de 8 hectares. Dans les trois dernières années, il a investi 5 millions pour augmenter sa capacité de production et améliorer ses installations agrotouristiques. La boutique, adjacente à la maison familiale, est du dernier chic.