Ex-espion russe empoisonné

crise sans précédent entre Londres et Moscou

Rien ne va plus entre le Royaume-Uni et la Russie. La première ministre britannique Theresa May a déployé de lourdes représailles contre Moscou, qu’elle croit responsable de l’empoisonnement de l’ex-espion russe Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia, à Salisbury. Le gouvernement russe avait refusé de fournir des explications sur le poison. Londres a-t-il frappé trop vite, trop fort ?

Ex-esion russe empoisonné

May passe de la parole aux actes

C’est l’escalade entre Londres et Moscou. Dix jours après la tentative d’assassinat d’un agent retraité du renseignement russe, Sergueï Skripal, et de sa fille Ioulia, empoisonnés par une substance neurotoxique à Salisbury, en Grande-Bretagne, la première ministre Theresa May, qui attribue la responsabilité de cette attaque à la Russie, a déployé une armada de moyens de représailles contre Moscou.

Ces moyens incluent le renvoi de 23 diplomates russes vers Moscou, la suspension des relations bilatérales entre les deux pays et le refus d’envoyer des représentants officiels à la Coupe du monde de football qui aura lieu l’été prochain en Russie.

La première ministre britannique appelle aussi le Conseil de sécurité de l’ONU à tenir une réunion d’urgence sur ce sujet.

« C’est la pire crise diplomatique entre la Russie et l’Occident depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine », constate Wesley Wark, spécialiste de la sécurité internationale à l’Université d’Ottawa. Selon lui, cette nouvelle explosion de tensions dépasse en intensité celles qui ont été occasionnées par l’annexion de la Crimée, en 2014, et l’appui donné par Moscou au régime syrien de Bachar al-Assad.

« Il n’y a aucune conclusion possible autre que celle de la culpabilité de l’État russe dans la tentative de meurtre de M. Skripal et de sa fille. »

— Theresa May, première ministre britannique

Elle a assimilé cette agression à « un usage de la force par l’État russe contre le Royaume-Uni ». En d’autres mots, une guerre menée activement par la Russie contre le Royaume-Uni.

Londres avait donné jusqu’à minuit, mardi, au gouvernement russe pour qu’il explique comment le Novitchok, agent neurotoxique d’une grande puissance mis au point par l’Union soviétique à l’époque de la guerre froide, s’est retrouvé en territoire britannique. Moscou a rejeté cet ultimatum, réclamant plutôt que le gouvernement britannique lui fournisse un échantillon de l’agent neurotoxique décelé chez Sergueï Skripal et sa fille.

Cette affaire est en train de prendre des proportions de crise internationale. Le Canada s’est joint aux critiques, condamnant « l’utilisation odieuse d’un agent chimique sur le territoire souverain du Royaume-Uni », comme l’a affirmé la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland dans un communiqué, hier.

En visite en Saskatchewan, hier, le premier ministre Justin Trudeau en a rajouté, en parlant d’une attaque « odieuse et inacceptable ».

M. Trudeau a dit s’être entretenu avec Mme May pour lui offrir son soutien, disant que le Canada était au côté de son « ami et allié » dans cette affaire.

Pour Washington, l’implication de la Russie ne fait aucun doute. « Nous pensons que la Russie est responsable », a dit l'ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Nikki Haley, lors d’une réunion du Conseil de sécurité qui a vu son homologue russe Vassily Nebenzia rejeter en bloc les accusations.

Signe d’une éventuelle escalade, l’ambassade de Russie au Royaume-Uni a prévenu mardi que d’éventuelles sanctions ne resteraient pas sans réponse.

Trop vite, trop fort ?

Mais des spécialistes de la Russie se demandent si Londres n’a pas frappé trop vite, trop fort. C’est le cas de Guillaume Sauvé, affilié au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Ce dernier rappelle un autre célèbre assassinat en territoire britannique, celui de l’ancien agent des services secrets russes Alexandre Litvinenko, empoisonné au polonium en 2006.

Une enquête rendue publique il y a deux ans concluait qu’il avait été « probablement » assassiné par des agents russes agissant sous les ordres du Kremlin.

Le principal suspect de ce meurtre, Andreï Lougovoï, siège aujourd’hui comme député au Parlement russe. Il a d’ailleurs fait des déclarations ironiques sur l’attitude affichée par Londres depuis que Sergueï Skripal et sa fille ont été trouvés gisant sur un banc de Salisbury.

« Litvinenko était un opposant politique actif de Vladimir Poutine, ce qui n’était pas le cas de Sergueï Skripal », souligne Guillaume Sauvé. Ce dernier ne voit pas quel intérêt le régime russe aurait eu à tenter d’assassiner cet agent à la retraite, qui a été détenu en Russie pour avoir collaboré avec les services de renseignement britanniques, avant d’être libéré dans le cadre d’un échange de prisonniers.

La rupture des relations diplomatiques lui paraît donc précipitée.

Alexandre Litvinenko était proche d’un ennemi juré de Vladimir Poutine, Boris Berezovski, oligarque réfugié en Grande-Bretagne, où il a été trouvé mort il y a cinq ans. La thèse officiellement retenue pour expliquer sa mort est celle du suicide.

Pourquoi toutes ces turbulences russes surviennent-elles en Grande-Bretagne ? Parce que Londres « constitue la base extérieure de l’élite russe », note Guillaume Sauvé. Les enfants des oligarques russes étudient dans les meilleures universités britanniques. Certains de ces oligarques sont proches de Vladimir Poutine. D’autres s’opposent à lui.

À la veille de la présidentielle de dimanche prochain, qu’il est sûr de remporter, Vladimir Poutine espère-t-il tirer profit d’une confrontation avec l’Occident ? On sait qu’il est sûr de gagner ce scrutin, mais qu’il mise sur le plus grand nombre de votes possible.

Quant à Theresa May, certains membres de son gouvernement étaient présents au moment de l’affaire Litvinenko, rappelle Wesley Wark. « Ils ont payé politiquement pour la manière dont ils ont traité le cas d’Alexandre Litvinenko. » D’où leur appui à la méthode dure aujourd’hui.

Sergueï Skripal et sa fille sont toujours dans un état critique dans un hôpital de Salisbury.

Nouvelle-Zélande

La police enquête sur des accusations d’empoisonnement d’un ex-espion russe

La police néo-zélandaise a annoncé aujourd’hui qu’elle enquêtait sur les accusations d’un ancien agent double russe qui affirme qu’un inconnu a tenté de l’empoisonner dans une rue d’Auckland en 2006. Boris Karpitchkov a raconté l’incident à la télévision britannique cette semaine à la suite de l’empoisonnement d’un ex-espion et de sa fille, en Angleterre. À l’époque, M. Karpitchkov tentait de faire profil bas en Nouvelle-Zélande. Il avait fait défection en Grande-Bretagne après une brouille avec ses supérieurs à Moscou. Il a expliqué qu’il avait remarqué qu’il était suivi sur Queen Street, un grand axe d’Auckland, puis qu’il avait été approché par un clochard. « Ensuite, j’ai senti qu’une sorte de poussière m’avait été projetée au visage. Et [le clochard] s’est tout simplement éloigné à pied », a-t-il dit sur Good Morning Britain. L’ancien espion a dit que sa tête avait rapidement commencé à tourner et que le soir même, une éruption cutanée s’était déclarée. Il a affirmé avoir ensuite subi des problèmes de santé, perdant 30 kg dans les deux mois qui avaient suivi. La police néo-zélandaise a annoncé avoir ouvert une enquête sur M. Karpitchkov, qui avait joué les services de renseignement russe et lituanien l’un contre l’autre avant de fuir en Grande-Bretagne à la fin des années 90. L’ancien espion a également affirmé avoir été averti avant l’attaque contre Sergueï Skripal qu’ils se trouvaient tous les deux sur une liste noire de huit hommes à abattre dressée par les services secrets russes.

— Agence France-Presse

Novitchok

Un puissant poison de l’ère soviétique

La première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, a annoncé lundi que le poison utilisé dans l’attentat contre l’agent double Sergueï Skripal et sa fille Ioulia était une substance appelée le Novitchok. Détails sur ce puissant venin.

Comment agit le Novitchok ?

« Le Novitchok fonctionne de la même manière que les autres agents innervants, comme le gaz sarin ou le VX, sauf qu’il est beaucoup plus toxique », explique Stan Brown, professeur de chimie à l’Université Queen’s et spécialiste des armes chimiques. Ce poison agit en perturbant la transmission de signaux nerveux vers les muscles, ce qui entraîne une paralysie chez la victime. Elle peut alors succomber à un arrêt cardiaque ou à une incapacité à respirer. Même quand la victime est sauvée (des antidotes existent), elle peut ensuite souffrir de dommages neurologiques irréversibles.

Comment est-il utilisé ?

Le Novitchok devient actif lorsque deux substances inoffensives sont mélangées, de sorte que ce poison est plus facile à manipuler pour les assassins. Le Novitchok existe sous forme liquide ou en poudre, et son action est très rapide (entre 30 secondes et 2 minutes).

Quand et par qui a-t-il été développé ?

Le Novitchok (« nouveau venu », en russe) a été développé en URSS au cours des années 70 et 80 en tant qu’arme chimique pour la guerre. Le Novitchok est un composé organophosphoré très semblable à plusieurs pesticides et engrais. Le lieu de sa fabrication pouvait être dissimulé sous les apparences d’une usine de chimie agricole. Son existence a été dévoilée au public en 1992 par les chimistes russes Vil Mirzaïanov et Lev Fedorov. Aujourd’hui encore, les substances élémentaires qui entrent dans la fabrication du Novitchok ne sont pas interdites par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques. « Ce poison aurait même été conçu afin de contourner ces traités », indique Stan Brown.

Est-ce une piste directe vers la Russie ?

Bien que concocter du Novitchok ne soit pas à la portée de n’importe quel chimiste amateur, ce n’est pas non plus une substance particulièrement difficile à synthétiser, selon Stan Brown. Les experts s’entendent pour dire que plusieurs laboratoires dans le monde auraient pu y arriver. « Cependant, je ne crois pas qu’il sera possible de trouver un marqueur dans le poison qui permettrait de remonter jusqu’à sa source », indique le professeur de Queen’s.

Pour l’un de ses inventeurs, l’origine du poison ne toutefois fait aucun doute. « C’est forcément les Russes », clame Vil Mirzaïanov. Même s’il ne travaille plus pour les laboratoires russes depuis plus de 25 ans, le chimiste âgé de 83 ans en est certain : les Russes sont « les seuls » à avoir pu utiliser le Novitchok pour empoisonner l’ex-espion. Mirzaïanov, de sa maison d’un quartier boisé de Princeton, dans le New Jersey, où il vit avec sa femme américaine, leurs deux chiens et un perroquet, est convaincu que Moscou a agi pour « intimider ».

— Avec l’Agence France-Presse

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