RECONSTRUCTION MAMMAIRE

Une journée en salle d’opération

Plus important centre de reconstruction mammaire au Québec, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) nous a reçus à l’Hôpital Notre-Dame, il y a quelques jours. Récit de notre journée.

8 h 30

Bonnet de chirurgien sur la tête et sourire aux lèvres, le Dr Joseph Bou-Merhi nous accueille dans une salle de consultation, prêt à nous accorder une entrevue. « C’est important pour nous. J’ai préparé des notes », dit-il en déposant sur la table une pile de feuilles manuscrites. Visiblement, le Dr Bou-Merhi, directeur de l’unité de reconstruction du sein du CHUM, s’apprête à parler d’un sujet qui l’anime.

Après avoir souligné à quel point le cancer du sein est prévalent et à quel point la reconstruction peut être bénéfique pour l’estime et le bien-être des femmes qui doivent subir une mastectomie, Joseph Bou-Merhi s’arrête, et dit : « Malgré tous ces bénéfices, on sait que moins d’une femme sur 10 a une reconstruction du sein après mastectomie au Québec. Nous, on estime ce taux entre 7 % et 15 %. »

Le Québec traîne la patte derrière les États-Unis, où le taux de reconstruction peut atteindre 45 à 50 %, souligne le Dr Bou-Merhi. Il faut dire qu’en 2012, le Congrès américain a voté une loi pour obliger les médecins traitants à discuter de reconstruction avec les patientes.

Pourquoi le taux de reconstruction est-il si bas au Québec ? Comme c’était le cas aux États-Unis avant l’adoption de la loi, les femmes sont mal informées, estime le Dr Bou-Merhi. Pourtant, croit-il, elles sont en droit de savoir que la reconstruction existe et qu’elle est entièrement couverte par le Régime d’assurance maladie du Québec (RAMQ).

« Elles ont le droit d’avoir une référence en chirurgie plastique pour discuter de la reconstruction tout en respectant le pronostic des patientes – s’il n’y a pas de contre-indication oncologique. […] Encore aujourd’hui, dans des centres de Montréal, des chirurgiens-oncologues parlent d’ablation complète du sein, sans même parler de reconstruction. »

— Le Dr Joseph Bou-Merhi

Selon Joseph Bou-Merhi, d’autres facteurs expliqueraient le faible taux de reconstruction au Québec, dont un problème de connaissance et d’éducation chez les professionnels de la santé et un problème d’accès aux salles d’opération.

9 h 30

Le temps file, et il faut bientôt se rendre à la salle d’opération. Le Dr Bou-Merhi a un programme chargé aujourd’hui : une patiente subit une double mastectomie suivie d’une reconstruction mammaire microchirurgicale par lambeaux DIEP.

« Au lieu de mettre des implants, qui ne durent pas pour la vie, on enlève le tablier abdominal – la peau, la graisse avec les vaisseaux – et on reconstruit les seins, explique Joseph Bou-Merhi. C’est une chirurgie d’à peu près 10 à 12 heures, parce qu’on fait les deux seins. Ça dure six à huit heures quand on fait juste un seul côté. »

De 10 à 12 heures ? C’est long, non ? « On a des résidents, on a des fellows », nuance Joseph Bou-Merhi, qui convient tout de même avoir avisé sa femme qu’il ne reviendrait pas avant 22 h ce soir.

10 h

Après avoir enfilé des vêtements appropriés, un bonnet, un masque et des couvre-chaussures, on s’engouffre dans la salle d’opération. De la musique populaire joue en sourdine. L’ambiance est agréable, mais l’équipe qui s’active autour de la patiente est concentrée.

L’intervention a débuté il y a une trentaine de minutes. Charles Maalouf, plasticien, a commencé à retirer le tablier abdominal de la patiente, qui servira à reconstruire ses seins. Simultanément, Rami Younan, chirurgien-oncologue, s’apprête à effectuer l’ablation du premier de deux seins – le gauche, qui est enlevé en prévention. « On commence par le sein qui n’a pas le cancer pour s’assurer de ne pas le contaminer », explique le Dr Younan.

« C’est une patiente qui illustre bien ce qu’on peut voir : elle a d’abord été opérée dans un hôpital régional sur l’île de Montréal, raconte Rami Younan. Elle avait eu l’option de la mastectomie totale, mais on ne lui a même pas parlé de la reconstruction immédiate. C’est son médecin de famille qui a lui appris qu’au CHUM, la reconstruction pouvait être faite et qui nous l’a référée. »

12 h 30

Le Dr Younan a maintenant terminé l’ablation des seins de la patiente. Lampe sur le front, il arrive en coup de vent dans la pièce où nous l’attendons. Il a quelques minutes à nous consacrer : son horaire sera plus chargé que prévu aujourd’hui.

Au CHUM, dit-il, 80 % des reconstructions mammaires sont « immédiates », soit réalisées le jour même de la mastectomie. Pourquoi d’autres centres médicaux ne l’offrent-ils pas ?

Outre la question d’accès aux plasticiens, certains chirurgiens ont encore des réserves envers la reconstruction immédiate, souligne le Dr Younan, qui rappelle qu’il y a quelques décennies, on enlevait tout, même la peau.

« On avait remarqué que 25 % des chirurgiens au Québec craignaient que la reconstruction immédiate puisse causer une inquiétude au niveau de la récidive du cancer du sein, mais c’est historique, folklorique. […] Maintenant, la majorité du temps, pour des tumeurs qui sont opérables, si on reconstruit immédiatement, on sait qu’il n’y a aucune inquiétude, aucun danger pour une récidive de cancer à cause de la reconstruction. »

— Le Dr Rami Younan

CONTRE-INDICATIONS

Il existe des contre-indications à la reconstruction immédiate : dans certains cas, note le Dr Younan, la tumeur est trop volumineuse ou trop agressive. Le risque de récidive est alors trop élevé, et on préfère attendre avant de reconstruire. Contrairement à d’autres centres médicaux, le CHUM offre la reconstruction immédiate aux femmes qui ont subi de la chimiothérapie préopératoire ou qui subiront des traitements de radiothérapie après l’opération.

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