Pisciculture

Des truites végétariennes et plus nutritives

À la pisciculture du professeur Pierre Blier dans Chaudière-Appalaches, on se croirait dans un élevage d’ombles chevaliers comme les autres. Pourtant, les truites qui s’y trouvent sont soumises à une diète stricte. Exit les protéines animales. On fait de plus en plus de place à des protéines végétales. Ses truites, loin d’en pâtir, sont même en meilleure santé.

Le problème

Le professeur de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) ne s’amuse pas à varier l’alimentation des truites pour le plaisir. Il se doute que l’industrie de la pêche telle qu’on la connaît tire à sa fin.

Habituellement, en pisciculture, la farine de poisson constitue la base de leur menu. Pour produire un kilogramme de poisson, il faut donc jusqu’à cinq kilogrammes de poissons. À ce rythme, pas surprenant que les stocks de pêche fondent comme neige au soleil. Une aberration pour le professeur en écophysiologie et en physiologie évolutive : « Le poisson qui est pêché, on veut qu’il soit consommé par des humains, pas par d’autres poissons », lance Pierre Blier.

Pour éviter de mettre une pression accrue sur les ressources, il s’applique donc à rendre ses ombles chevaliers végétariens. De plus en plus, il remplace la farine de poisson par une farine faite à partir de protéines végétales comme le soya.

Le transformateur d’huiles

Ce poisson d’eau douce est reconnu pour sa chair riche en oméga-3, acides gras associés à une diminution du risque de maladies cardiovasculaires en plus de présenter des propriétés anti-inflammatoires. Habituellement, l’omble chevalier trouve ces acides gras dans les poissons et les invertébrés qu’il consomme. Pierre Blier a donc tenté de remplacer l’huile qui provenait de son alimentation par une huile végétale, l’huile de lin.

Il a été épaté par les capacités du poisson : grâce à des enzymes dans son foie, il a réussi à transformer l’huile de lin en acides gras. « Si on prend un filet de poisson nourri avec de l’huile de lin et un filet de poisson nourri avec de l’huile de poisson, on n’est pas capable de détecter la différence en termes de contenu en acides gras oméga-3 », se réjouit le chercheur de l’UQAR.

Un « super » poisson

Il lui est alors venu une idée : pourquoi ne pas développer un super-poisson avec une quantité supérieure d’acides gras oméga-3 ? « En travaillant sur la sélection des poissons, on peut augmenter leur capacité à transformer l’huile végétale en huile de poisson. Notre objectif, c’est de dépasser les concentrations en oméga-3 qu’on retrouve dans les élevages traditionnels. Ça devient intéressant pour le consommateur, mais aussi sur le plan de la santé publique. »

Son équipe de recherche a d’ailleurs développé une collaboration avec l’Institut de cardiologie de Montréal pour la suite du projet.

Un poisson « sain et heureux »

Les poissons ont conservé leurs propriétés bénéfiques pour la santé, mais à quel prix ? On dénonce souvent les conditions d’élevage dans l’industrie du porc et du poulet, mais certains élevages de poissons ne font pas mieux. « Beaucoup de saumons d’élevage vont avoir une belle croissance et une belle qualité nutritionnelle, mais puisqu’on les a sélectionnés, ils vont être très fragiles aux infections, aux maladies, au stress », déplore Pierre Blier.

Pour ses truites biologiques, il s’est assuré que ce changement dans leur alimentation n’entraînerait pas de dysfonctions à long terme. Jusqu’ici, cette nouvelle diète ne semble pas les rendre malheureuses. « Non seulement il n’y a pas d’augmentation de stress, mais dans certains cas, il y a moins de stress », remarque-t-il. « On veut produire un poisson sain et heureux. Les gens commencent à se soucier des conditions d’élevage, et ce n’est pas juste dans un souci de qualité nutritionnelle. »

Un produit moins coûteux

Le consommateur devrait être le grand gagnant de ce changement puisqu’on vise un produit moins cher que ce qui est sur le marché, l’huile de lin étant moins dispendieuse. « Ultimement, ça devrait être un produit moins cher à produire et plus nutritif. En plus, on a un contrôle plus facile sur la qualité et c’est une huile où il y a moins d’accumulation de contaminants. »

Des pourparlers sont déjà en cours avec certaines entreprises pour mettre sur le marché cet omble chevalier nourri à l’huile de lin. L’équipe de Pierre Blier doit encore travailler à augmenter son contenu en oméga-3. D’ici deux ou trois ans, ce super-poisson pourrait donc faire son apparition dans les poissonneries.

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