Environnement

L’empêcheur de danser en rond

Depuis deux ans, Mikaël Rioux partage son temps entre Montréal et son Trois-Pistoles natal. Pas idéal pour cet amoureux du grand air – il est guide de kayak l’été – qui ne cache pas qu’il étouffe un peu dans la grande ville. Mais la vie dans la métropole a au moins un bon côté : « J’apprécie le fait d’être anonyme », dit-il.

Il a beau être au seuil de la quarantaine et avoir de plus en plus de cheveux blancs, cet « activiste indépendant », vétéran des luttes contre les projets de centrale thermique du Suroît et de port pétrolier à Cacouna, est encore vu dans le Bas-du-Fleuve comme le jeune militant qui s’est battu avec succès contre l’implantation d’une minicentrale sur la rivière Trois-Pistoles, à compter de 2002. Un combat d’une décennie qui ne lui a pas valu que des amis dans la région, où il a aussi fondé Échofête, premier festival environnemental québécois. La Presse l’a rencontré.

Y a-t-il des défis particuliers quand on est un écologiste en région ?

Tu n’as pas l’anonymat que tu peux avoir en ville. Le monde te reconnaît et il peut y avoir des représailles. Je suis devenu le bouc émissaire d’un animateur de radio-poubelle à Rivière-du-Loup pendant des années. J’étais le représentant du Plateau Mont-Royal en région, un « bloqueux » de projets.

Ç’a eu des conséquences pour vous ?

La saga de la minicentrale a duré 10 ans. La MRC revenait constamment avec le projet, comme si on grattait toujours le même bobo. [Elle a définitivement tourné la page en 2013.] J’étais le porte-parole des opposants, alors que les instruments de développement, la MRC, les élus locaux y étaient majoritairement favorables. Je me retrouvais à être l’empêcheur de danser en rond. Publiquement, toute l’attention était tournée vers moi et vers un couple d’Amis de la rivière. Leur enfant a été intimidé à l’école à cause de ça. La bijouterie de mon père a aussi été boycottée, même si mes parents étaient des gens super aimés à Trois-Pistoles.

Comment avez-vous vécu ça ?

Pour moi, ce n’était pas si pire, mais la famille en subissait les conséquences. Je me souviens de ma mère qui pleurait après avoir entendu les commentaires à mon égard lors d’une soirée d’information. Et j’étais privilégié, parce que je suis un Rioux « des deux côtés » dans une ville où les Rioux sont présents depuis des générations. Si j’étais venu d’en dehors de la région, oublie ça.

Il faut dire que vous aviez trouvé un bon moyen pour faire parler de vous en « occupant » pendant 40 jours la rivière Trois Pistoles et en vous installant au-dessus de la rivière grâce à une tyrolienne…

Je suis devenu activiste à 26 ans. Ç’a créé un clivage dans la population. Certains m’appuyaient, mais d’autres étaient fâchés. La région était en déclin depuis des années et enfin on avait un investisseur qui voulait développer ! Ils étaient gênés de l’image que je donnais de Trois-Pistoles. Mais on aurait sacrifié la rivière pour des retombées de 25 000 $ par année.

Avez-vous parfois l’impression d’être seul dans votre camp ?

Il y a du monde qui pense comme nous autres, mais publiquement, c’est toi qui dois faire le job. Le monde a peur. Il y a une espèce d’omerta. Pour le monde qui a une vision du développement opposée à celle des élus, des instances économiques locales et des chambres de commerce, c’est très difficile d’aller poser des questions au conseil municipal. Moi, je suis habitué, mais j’ai encore le cœur qui débat quand je le fais, parce que je sais que même si c’est pour poser une question neutre, eux autres, ils n’aiment pas ça. Ce n’est pas très sain pour une démocratie quand tu es gêné d’exercer le droit légitime du citoyen de poser une question.

Vous arrive-t-il de douter ?

Il y a des moments où j’ai eu juste envie de reprendre ma vie d’avant et de partir en voyage, de dire « arrangez-vous avec vos troubles » ! Mais j’ai vécu beaucoup de moments enrichissants, j’ai appris énormément. J’en ressors grandi. Et je suis rendu à un stade de ma vie où je suis encore plus motivé que jamais à continuer. L’avantage que j’ai peut-être par rapport à d’autres militants, c’est que les dossiers que j’ai menés – la rivière Trois-Pistoles, les coupes forestières dans l’île René-Levasseur, dans le nord du Québec, la centrale du Suroît, Cacouna, où j’ai organisé des vigiles et deux manifs, Échofête, dont l’objectif était de montrer qu’on pouvait développer une région de façon différente –, on les a presque tous gagnés. Si je les avais tous perdus, je serais peut-être plus découragé.

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