Sports d’endurance

Tous les chemins mènent vers un Ironman

« Tu dois bien peser 250 livres certain. » Yves Perron reçoit la phrase de la bouche de ses frères lors d’un Noël en famille. C’est vrai qu’il ne va plus s’entraîner au gymnase et qu’il n’a pas vraiment adapté son alimentation. Mais il proteste. « Non, non, je dois être à 220-225. »

Le pèse-personne, sorti, se charge du verdict. Il est sans appel : 249 livres. « Mon cadeau de Noël, ç’a été une paire d’espadrilles afin d’aller courir, raconte l’enseignant d’arts plastiques. Au début, je l’ai fait pour perdre du poids, puis finalement, je n’ai plus été capable de m’arrêter. J’ai fait un 5 kilomètres, un 10, un demi-marathon, des marathons, puis je me suis trouvé d’autres défis. »

Le dernier en date le conduit à Mont-Tremblant, où il disputera son premier triathlon Ironman demain. Comme lui, 595 personnes vivront leur baptême du feu sur une distance de 140,6 miles, ou 226,195 km : 3,8 km de natation, 180,2 km de vélo et 42,195 km de course en pied.

« Ironiquement, il y a peu de cas de perte de poids, dit le kinésiologue et président de VO2MATT, Mathieu Sauvé, en parlant des nouveaux triathlètes. Ça demande trop de travail et de rigueur pour aller jusqu’au bout. Certains vont y arriver, mais ils se comptent sur les doigts d’une main. On retrouve des personnes qui cherchent de nouveaux défis, par exemple des gens d’affaires qui veulent se pousser. Il y a aussi des participants qui remplacent leur addiction, c’est-à-dire des gens qui ont des problèmes de drogue, d’alcool ou qui étaient workaholic. Finalement, certains font ça pour une cause : un membre de leur famille ou un ami qui est mort ou malade. »

Des parcours différents

Plusieurs chemins mènent donc jusqu’au départ d’un premier Ironman. Prenez Dany Robitaille, à qui un ami canotier avait dit, en 2015, qu’il ne serait jamais capable de faire un demi-Ironman. Malgré son profil sportif, il ne pratiquait ni le vélo de route ni la natation. Mais cette phrase a sonné comme un électrochoc, voire un défi à relever.

« Je me suis dit que la seule personne qui pouvait décider si j’étais capable de le faire ou non, c’était moi-même. J’ai commencé l’entraînement, mais j’ai surtout eu la piqûre lors de mon premier demi-Ironman à Magog. J’ai vraiment adoré l’expérience avec les transitions et le fait de me retrouver avec autant de gens. J’ai 44 ans et mon objectif était de faire un Ironman avant mes 45 ans. Si je ne réussis pas cette année, je retente ma chance en 2019. »

Comme Perron et Robitaille, Steve Rioux, 42 ans, se remémore l’instant marquant qui l’a incité à s’imaginer dans la peau d’un triathlète. La scène se passe justement à Mont-Tremblant, en 2013, alors qu’il assiste à l’Ironman en compagnie d’un associé.

« Dans la soirée, on est devenus émotifs parce qu’on voyait arriver les pères de famille, les gens qui travaillent et qui ont une vie normale. Je m’étais dit que je voulais vivre ça un jour, raconte le cofondateur d’une entreprise spécialisée dans la création de meubles. Cela faisait 16-17 ans que j’avais mon entreprise et que je faisais des horaires de 70-80 heures par semaine. J’avais perdu mon équilibre personnel, puis j’avais commencé à prendre du poids. Cela dit, c’est beaucoup d’heures d’entraînement. »

L’Ironman nécessite effectivement un investissement important lors des mois qui précèdent le jour J. Même si cela dépend de la condition et du passé de chacun, il faut une bonne année pour être adéquatement préparé. Cette aventure bouleverse les habitudes, bouscule les horaires et demande forcément des ajustements.

Il n’est pas évident d’enchaîner les longues sorties quand on travaille à temps plein et que l’on est à la tête d’une famille. « J’ai une petite fille de 3 ans et je ne voulais pas hypothéquer le temps passé avec elle. Je ne voulais pas revenir du travail, le soir, et être pris pour la faire garder. Je m’entraîne soit à 5 h le matin, soit à 22 h », souligne Steve Rioux.

Mieux vaut donc obtenir l’aval de ses proches avant d’élaborer les premiers plans. Selon les constatations faites par Mathieu Sauvé, les nombreux entraînements empiètent d’abord sur le sommeil, puis sur la vie de couple.

« Si le conjoint ou la conjointe ne comprend pas, cela peut créer des frictions. Des fois, et j’en ai vu pas mal, cela peut même mener à une séparation. Tout est dans le dosage. En faire trop, c’est aussi mauvais que d’en faire pas assez. »

— Mathieu Sauvé, kinésiologue

« Souvent, les livres ne semblent pas considérer que le lecteur est une personne normale avec un travail, un couple, une famille et qu’il ne peut pas investir 20 ou 25 heures chaque semaine, précise celui dont les athlètes s’entraînent de 12 à 15 heures par semaine. Surtout qu’il faut prévoir 25 % de plus de temps pour s’habiller, se changer, préparer son matériel, ses repas… »

« Des sous-objectifs »

Demain, il va falloir plus de huit heures pour que les meilleurs franchissent le fil d’arrivée de l’Ironman Mont-Tremblant. Quand la lumière va commencer va décliner, c’est là que les Robitaille, Rioux ou Fortin vont approcher du but. À moins d’être particulièrement doué, on n’aborde pas un premier Ironman avec une logique de grande performance.

Trop de variables peuvent survenir dans une compétition aussi longue. « Mon but est de le finir, mais j’ai des sous-objectifs. Ce serait bien de finir dans la douzième heure, et si je réussis à avoir le chiffre 11, ce serait une très bonne journée, précise Yves Perron, qui pèse aujourd’hui 175 livres. Mais j’y vais pour moi, pas pour battre qui que ce soit. »

« Il ne faut jamais sous-estimer la bête. C’est une épreuve très exigeante qui mérite d’être respectée », conclut Sauvé en guise d’avertissement. Les petits nouveaux sont prévenus.

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