Droits des grands-parents

Des juristes réclament un changement à la loi

« Imaginez le lavage de linge sale que ça donne, dans une audience, quand les parents sont tenus de démontrer qu’ils ont des motifs graves de vouloir empêcher la relation entre leur enfant et ses grands-parents », dit Me Marie-Josée Brodeur, avocate en droit familial.

Me Brodeur représente des clients qui se retrouvent dans les deux cas de figure : des grands-parents qui veulent revoir leur petit-enfant (souvent après le divorce des parents) et des hommes ou des femmes qui, pour toutes sortes de raisons, ne veulent absolument pas de leur parent dans la vie de leur enfant.

Dans les causes de divorce, l’heure n’est plus à la recherche du coupable. Dans ces causes impliquant les grands-parents, oui. C’est qu’en raison de cette présomption légale en faveur des grands-parents, les parents ont le fardeau de démontrer qu’il existe des motifs graves pour empêcher toute relation avec les grands-parents.

L’ennui, c’est que la loi ne précise pas quels peuvent être ces motifs graves, qui varient donc d’un juge à l’autre, notent les avocats consultés.

« C’est quand même particulier qu’actuellement, la loi suppose a priori que toute relation personnelle entre les petits-enfants et les grands-parents est dans le meilleur intérêt de l’enfant et que ceux qui détiennent pourtant l’autorité parentale aient un tel fardeau sur eux. »

— Marie-Josée Brodeur, avocate en droit familial

L’idéal, à son avis, serait que la loi soit modifiée, comme le recommandait entre autres choses le comité consultatif fait de 17 juristes qui a publié, en juin dernier, un rapport en vue d’une réforme du droit de la famille. Le comité suggérait de « reformuler la présomption de l’article 611 dont bénéficient actuellement les grands-parents de manière à en faire un droit de l’enfant subordonné au principe de l’intérêt de l’enfant », sans cette histoire de motifs graves à prouver.

Me Dominique Goubau, professeur de droit à l’Université Laval, espère lui aussi des changements. « Les séances gratuites de médiation, financées par l’État, marchent très bien dans les cas de séparation. Il faudrait que ce service gratuit soit élargi pour l’offrir aussi dans les cas de conflit avec les grands-parents. »

Ce serait d’autant plus une bonne idée, selon lui, que le vieillissement de la population risque de voir se multiplier ce genre de recours qui coûte cher et qui, à l’heure actuelle, ne peut être intenté que par les grands-parents plus fortunés.

VIEILLISSEMENT

Me Luc Trudeau, qui se spécialise dans ce type de cause, croit, quant à lui, que la loi ne doit pas être modifiée. « Le système fonctionne bien. »

Oui, ce sont souvent des causes pénibles, dit-il, « mais quand ça se rend jusque-là, c’est habituellement que les parents ont décidé de mettre une croix sur leur [propre] enfant, mais qu’ils ne veulent pas mettre une croix sur leur petit-enfant ».

Lui aussi prédit qu’on verra de plus en plus de ces cas, avec toutes ces personnes dans la soixantaine « qui ont de l’argent, du temps et qui ont envie de profiter de leurs petits-enfants ».

« L’exercice d’un droit comporte une portion de conflit en soi. Raison de plus pour favoriser la médiation dans ce genre de situation », estime pour sa part Me Alain Roy, professeur à l’Université de Montréal.

Mais pour que cela marche, dit-il, il faut de la maturité, « ce qui n’est pas donné à tout le monde », souligne-t-il.

« L’enfant est un sujet de droit à part entière. Les grands-parents n’ont pas de “droit” sur lui, pas plus qu’il n’est le bien de ses parents. »

— Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal

« Ce que dit la loi, c’est que quand il est dans l’intérêt de l’enfant de maintenir un lien avec ses grands-parents, il faut que cela se fasse, souligne Me Roy. Une personne peut avoir une très mauvaise relation avec sa propre fille et avoir une excellente relation avec ses petits-enfants. »

Me Roy, qui a présidé le rapport du comité consultatif sur la réforme du droit de la famille, est aussi d’avis qu’il faut reformuler l’article 611 pour insister surtout sur l’intérêt de l’enfant plutôt que sur les obstacles à la relation à démontrer.

Dans cette même logique de l’intérêt de l’enfant, Me Roy plaide aussi pour que la loi reconnaisse à l’enfant le droit d’entretenir des relations personnelles avec l’ex-conjoint de son parent « afin de maintenir les liens significatifs qui l’unissent à lui ».

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