Droits des grands-parents

Huit ans et 12 000 $ pour deux photos par année

« Aux yeux de ma fille, j’ai bien peur que nous serons toujours les méchants parents à qui elle ne pardonnera jamais de l’avoir poursuivie. Et franchement, nous avons eu tort. On ne voit pas davantage notre petite-fille et nos démêlés judiciaires avec notre fille n’ont fait qu’envenimer notre conflit. »

Cette grand-mère – dont on ne peut révéler le nom parce qu’une mineure est en cause – a voulu raconter son histoire pour que les gens dans sa situation qui envisageraient des recours judiciaires pour obtenir le droit de voir leurs petits-enfants y réfléchissent très sérieusement avant de se lancer. « Dans mon cas, quand j’étais au plus bas, c’est ma médecin qui m’a signalé que les grands-parents ont des droits. On en parle aussi beaucoup dans les médias. Ce que l’on ne dit pas, c’est que ça finit la plupart du temps en queue de poisson et en spirale juridique avec des coûts beaucoup plus élevés que ce qu’on nous annonce. »

Dans ce cas-ci, après huit ans de processus judiciaire et une facture de 12 000 $, les grands-parents ont obtenu ceci : une photographie récente de leur petite-fille deux fois par année et le droit de lui envoyer des cadeaux à son anniversaire, à Noël et à Pâques.

Ces grands-parents racontent que leur fille est restée chez eux jusque dans la vingtaine. Assez aisés, ils l’ont envoyée à l’école privée, ont payé ses études universitaires.

À la naissance de leur seule petite-fille, les grands-parents, de toute évidence, en ont été fous. Ils ne demandaient pas mieux que de la garder et que de donner un gros coup de pouce à leur fille et à leur gendre, qui en étaient contents.

Mais à un moment donné, racontent les grands-parents, leur fille s’est manifestement sentie envahie par eux, dépossédée. « Elle nous a dit un jour : “Ce n’est pas vrai que ma fille va aimer davantage ses grands-parents que sa mère.” »

Quand ses parents sont trop entrés dans sa bulle à la suite d’un déménagement, la fille a fermé la porte à double tour.

« À cette époque, une amie à elle nous a remis un livre annoté par notre fille et qu’elle lui avait prêté, dit le grand-père. C’est sa psy qui lui en avait suggéré la lecture. C’était Parents toxiques – Comment échapper à leur emprise. »

L’étaient-ils, toxiques ? Tout en rappelant aux grands-parents que leur petite-fille ne leur appartient pas et qu’ils ne doivent pas l’« accaparer », la première juge à se pencher sur la cause écrira : « Il est indéniable que les grands-parents sont de bons grands-parents et qu’ils n’ont que l’intérêt de leur fille, de leur gendre et de leur petite-fille à cœur, [tout comme] il est indéniable que les parents sont d’excellents parents. Les grands-parents admettent d’ailleurs que l’enfant ne souffrira jamais d’un manque d’amour ni de sécurité avec ses parents. »

Cette première juge accordera aux grands-parents le droit de voir l’enfant un dimanche par mois pendant trois heures et quelques heures avant Noël. Si elle vivait à l’étranger – les parents envisageaient d’émigrer –, les grands-parents auraient le droit de se rendre la voir trois fois par année, à raison de quelques heures pendant quelques jours.

UN DEUXIÈME RECOURS

« Notre fille n’a pas respecté notre droit d’accès. Nous avons présenté une requête pour outrage au tribunal. Cette fois, nous nous sommes représentés seuls et nous avons été entendus par une autre juge. »

Tout en constatant que les droits d’accès n’ont pas été respectés, cette juge donnera raison aux parents. « Ce sont les parents qui exercent l’autorité parentale et s’ils jugent que la situation est malsaine [pour l’enfant], le dernier mot leur appartient », écrit cette juge en soulignant que cette histoire de droits d’accès est devenue pour les grands-parents une « obsession dévastatrice ».

« Ici, en raison de la situation conflictuelle profonde entre les parents et les grands-parents, les accès […] causent [à l’enfant] plus de tort que de bien. »

« Tout au long du processus, nous sommes passés devant plusieurs juges et, à l’évidence, pas un n’interprète l’article 611 de la même manière », conclut le grand-père.

En vertu de l’article 611 du Code civil, les parents ne peuvent pas, sans motifs graves, faire obstacle aux relations personnelles de l’enfant avec ses grands-parents. Dans la jurisprudence, même des arrière-grands-parents ont invoqué cet article.

Le fardeau de la preuve repose sur les parents, qui doivent prouver qu’il est dans l’intérêt de leur enfant de ne pas voir ses grands-parents.

« Le problème, c’est qu’au bout du compte, si les droits d’accès ne sont pas respectés, les grands-parents doivent démontrer que les parents ont agi de façon délibérée et malveillante. Et ça, ce n’est pas facile à prouver. »

— Le grand-père

Au fil du processus, la situation entre la mère et ses parents s’est envenimée à un point tel que la mère a fini par craindre que ses parents usent de violence contre son conjoint et elle, tout comme ses parents se sont aussi mis à soupçonner leur fille d’être capable de leur faire du mal.

La petite-fille a grandi depuis. « Nous avons raté l’enfance de notre petite-fille, nous avons manqué de belles années, mais je rêve de pouvoir être à ses côtés pendant son adolescence, dit la grand-mère. J’espère tout le temps un coup de téléphone ou un petit mot à la porte. »

UNE QUESTION D’INTERPRÉTATION

Ces grands-parents ont-ils été simplement malchanceux ?

Comme en témoigne la jurisprudence (voir autre texte), le résultat peut aller dans toutes les directions, selon l’interprétation que fait le juge de l’article 611 et selon la lecture qu’il fait du conflit familial.

Parfois, les grands-parents n’obtiennent rien du tout, parfois, de simples photographies, d’autres fois encore, des droits aussi étendus qu’une visite un dimanche par mois.

S’il y a un a priori juridique en faveur des grands-parents, les juges s’assurent qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de les voir et qu’ils ne se retrouveront pas aux prises avec de trop grands conflits de loyauté si des accès sont accordés.

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