Centres jeunesse

La santé physique négligée

« En prison, tous les détenus qui arrivent sont vus par un médecin à l’intérieur d’une semaine. Et on n’est pas capables de faire ça avec nos jeunes ! C’est gênant ! »

Celui qui parle est chargé de veiller à la santé physique de la clientèle d’un centre jeunesse que nous avons choisi de ne pas identifier. Mais il soulève un problème important. L’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec a d’ailleurs passé plusieurs semaines, au printemps, à enquêter sur la façon dont on s’occupe de la santé des jeunes hébergés en centre jeunesse.

Et ce que les enquêteurs de l’Ordre ont vu dans plusieurs centres jeunesse les a parfois grandement surpris, nous disent plusieurs sources. Non seulement les jeunes hébergés ne sont pas systématiquement examinés sur le plan physique à leur arrivée, mais cet examen ne va pas non plus de soi après une fugue, alors que certains jeunes se placent dans des situations très risquées sur le plan sexuel.

« Ils ont des relations sexuelles non protégées pendant leur fugue, et moi, je ne suis même pas interpellé ! Pour les trousses médicolégales utilisées en cas d’agression sexuelle, c’est la même chose ! Parfois, les intervenants se réveillent après une semaine. Oups, on n’y avait pas pensé… »

— Un employé du secteur santé d’un CJ

On se soucie si peu de la santé physique des jeunes, nous dit un autre intervenant, que certains problèmes physiques sont, à tort, interprétés comme des problèmes de comportement par les éducateurs.

« Un jeune qui fait pipi au lit, l’éducateur pense qu’il fait ça pour le faire enrager. Et nous, on leur dit : “Non ! C’est un vrai problème de santé ! Vous le punissez pour quelque chose sur lequel il n’a pas du tout de contrôle !” Les problématiques physiques sont gérées comme des problèmes sociaux. »

PROBLÈMES MINIMISÉS

Les éducateurs minimisent souvent les problèmes des jeunes, se plaint un autre employé. « Une fois, l’éducateur disait que le jeune avait une gastro. C’était une appendicite aiguë. Le jeune a été opéré d’urgence. Dans une autre situation, un jeune avait ingurgité des médicaments. L’éducateur n’a rien dit jusqu’au lendemain matin. On est chanceux de ne pas avoir fait la une des journaux… »

Ce constat de négligence de la santé physique n’est pas nouveau. « Les jeunes doivent être évalués à l’admission. Tous. Point barre. Moi, je suis le seul médecin de la Montérégie pour 400 jeunes hébergés. Ça n’a pas d’allure », dit franchement le docteur Yves Lambert, l’un des rares médecins qui œuvrent en CJ, qui a réalisé l’an dernier une étude sur la santé physique des jeunes hébergés avec le pédiatre Jean-Yves Frappier.

Le portrait qu’ils ont dressé de la clientèle est accablant. La majorité des jeunes présentent un problème de santé et la moitié en présentent quatre ou plus. La moitié des filles et le quart des garçons ont un diagnostic de trouble de santé mentale. La moitié des jeunes sont médicamentés. Et malgré ces problèmes, moins de la moitié des problèmes de santé sont pris en charge. Le tiers des jeunes ne sont même pas suivis par un médecin.

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