Réforme fiscale

Ottawa offre une baisse d’impôt aux PME

Ottawa — Alors qu’il affronte la pire tempête politique de son mandat en raison de sa réforme fiscale controversée, le gouvernement Trudeau tente de calmer la grogne en annonçant qu’il réduira le taux d’imposition des petites entreprises au cours des deux prochaines années.

Ce taux d’imposition, qui s’élève présentement à 10,5 %, passera donc à 10 % dès le 1er janvier 2018 et à 9 % à compter du 1er janvier 2019. Cette réduction s’appliquera à la première tranche de 500 000 $ du revenu tiré d’une entreprise qui brasse des affaires, entraînant ainsi des économies de 7500 $ en impôts. Au cours des cinq prochaines années, cette mesure privera le trésor fédéral de 2,9 milliards de dollars en revenus, même si le gouvernement fédéral continue d’engranger des déficits.

En campagne électorale, les libéraux avaient promis de réduire le fardeau fiscal des petites entreprises pour le ramener à 9 %, mais cette mesure avait été mise de côté lors du premier budget du ministre des Finances Bill Morneau en 2016.

Le premier ministre Justin Trudeau et le ministre Morneau ont confirmé cette mesure, qui n’apparaissait nullement sur le radar politique à Ottawa ces jours-ci, au cours d’une conférence de presse tenue dans un petit restaurant à Stouffville, en Ontario.

« Nous respectons notre promesse de baisser les impôts des petites entreprises. [...] Cette réduction d’impôts va soutenir les propriétaires de petites entreprises du Canada de manière à ce qu’ils puissent garder un peu plus de l’argent qu’ils gagnent durement », a déclaré le premier ministre. 

« Ils pourront utiliser cet argent pour réinvestir dans leurs entreprises, dans leurs employés et leurs communautés. »

— Justin Trudeau

La réforme modifiée

M. Trudeau a par ailleurs aussi indiqué que son gouvernement apportera des modifications à sa fameuse réforme fiscale qui a été dévoilée en juillet et qui soulève la colère des contribuables affectés et des provinces, de même que l’inquiétude dans les rangs libéraux.

Ainsi, le gouvernement abandonne l’idée de modifier l’accès à l’exonération cumulative des gains en capital, comme il prévoyait le faire dans la première mouture de sa réforme. Cette mesure risquait de rendre difficile le transfert intergénérationnel d’une entreprise familiale comme une ferme, entre autres choses.

Toutefois, il maintient le cap sur son intention de limiter l’utilisation de sociétés privées par des entrepreneurs et certains professionnels comme des médecins ou des dentistes, qui ont recours à cette mesure dans le but de fractionner leurs revenus entre les membres de leur famille, même si ceux-ci ne travaillent pas pour eux, pour économiser de l’impôt.

Selon les estimations d’Ottawa, il y aurait environ 50 000 entreprises privées familiales qui ont recours à la répartition du revenu, soit environ 3 % des petites entreprises au pays. Le ministère des Finances affirme que les sociétés formées de membres d’une même famille qui apportent une contribution notable à l’entreprise ne seront pas touchées.

Le gouvernement Trudeau entend dévoiler les détails des modifications qui seront apportées à la réforme fiscale demain et jeudi.

L’opposition peu impressionnée

Le Parti conservateur et le Nouveau Parti démocratique se sont montrés peu impressionnés par cette annonce, accusant le gouvernement Trudeau d’offrir ce répit fiscal pour mettre fin à la tempête politique qui sévit depuis plusieurs semaines. « La première chose qu’a faite le premier ministre dans son premier budget, ç’a été d’annuler la baisse d’impôt aux entreprises que nous avions instaurée, a dit le chef du Parti conservateur Andrew Scheer. Aujourd’hui, il voudrait nous faire croire que c’était le plan depuis le début. Je n’en crois rien. »

Des PME ou des sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC) ?

Il n’y a pas de PME dans le langage de la réforme fiscale d’Ottawa, mais des sociétés privées sous contrôle canadien. Les SPCC sont des entreprises canadiennes qui ne sont pas inscrites en Bourse, ni contrôlées par une société publique, une entreprise inscrite en Bourse ou une société étrangère. Dans les faits, ça correspond à la définition d’une PME. Le taux réduit d’imposition des petites entreprises annoncé hier s’adresse aux entreprises dont le revenu imposable ne dépasse pas 500 000 $ et dont le capital n’excède pas 15 millions.

— Hélène Baril, La Presse

Pas si simple

« Il faut se réjouir de la réduction du taux d’imposition des petites entreprises, qu’on n’attendait plus depuis le dernier budget fédéral. Pour la réforme fiscale, le gouvernement propose une définition claire et simple de la contribution des membres de la famille dans l’entreprise, mais ce n’est pas aussi simple que ça. Est-ce que passer des soirées à classer des factures devant la télévision, comme on l’a fait dans ma famille, en fait partie ? On sent une certaine ouverture de la part du gouvernement, mais il faut rester vigilant. »

— Martine Hébert, vice-présidente principale de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante

Et les grandes entreprises ?

« La réduction de l’impôt des PME est une très bonne nouvelle pour les entrepreneurs, mais le Conseil du patronat se préoccupe de l’écart ainsi créé avec le taux exigé des grandes entreprises qui doivent, elles aussi, rester compétitives face à l’international. Le CPQ retient l’ouverture du gouvernement à modifier certains aspects de la réforme fiscale et répète qu’il faut prendre le temps de bien analyser les conséquences économiques des modifications proposées. »

— Yves-Thomas Dorval, président-directeur général du Conseil du patronat du Québec

D’autres correctifs à venir

« Ce qu’on comprend, c’est que le gouvernement a admis qu’il y aurait des correctifs à la réforme qu’il a proposée. Il en annonce un, sur l’exonération des gains en capital. Il faudra voir les autres, sur les revenus passifs par exemple, qui ne sont pas des REER illimités, mais un moyen pour les entrepreneurs de mettre des sous de côté. Les entrepreneurs sont différents des professionnels, et le gouvernement les a mis dans la même case. Mais on prend aussi ce qui passe, et la réduction du taux d’imposition des petites entreprises est une très bonne nouvelle. »

— Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Un début

« Les propositions de mesures fiscales révisées du gouvernement, bien qu’elles ne soient toujours pas parfaites, sont plus équilibrées et répondent à un certain nombre de préoccupations soulevées au cours des dernières semaines. Mais le travail ne fait que commencer. Les entreprises du pays ont des suggestions sur les mesures susceptibles d’améliorer la compétitivité du régime fiscal du Canada, et la diminution du taux d’imposition des PME va aider. »

— Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada

Politique d’abord

« C’est clair que c’est politique, ce qui a été annoncé aujourd’hui [hier]. En réduisant le taux d’imposition des petites entreprises, le gouvernement fédéral se prépare à la baisse des impôts annoncée aux États-Unis. Ça aide aussi à faire passer sa réforme, qu’il maintient. Mais il semble reculer sur son intention de limiter l’accès à l’exonération cumulative des gains en capital, ce qui n’est pas clair, il faudra attendre le projet de loi. »

— André Lareau, fiscaliste et professeur à l’Université Laval

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