Chronique

Les absents de Noël

Dans les Noëls de mon enfance, il y avait ma mère, mon père, ma sœur Dominique, mon frère Bertrand et mes tantes Tantôt et Marie-Laure. C’étaient eux, les Noëls en famille. On se voyait à longueur d’année. Beau temps, mauvais temps. De décembre à décembre. En pyjama, en costume de bain et en habit de neige. Mais au temps des Fêtes, on se mettait chic, comme si on se voyait pour la première fois.

Le 24, le 25, le 31 ou le 1er, on ne se regardait pas de la même façon. Comme si on devenait spéciaux à nos yeux. C’est ça, la magie. À 3h de l’après-midi, les membres de ta famille, ce sont les gens avec qui tu dois te débrouiller pour fonctionner, les gens du quotidien, les gens que tu tiens pour acquis, et soudain à 9h du soir, tu réalises que ce sont les gens les plus importants de ta vie. Que ce sont les gens de ta vie.

C’est pour ça que les souvenirs des Fêtes sont si vifs. C’est pour ça qu’ils traversent le temps. Ils mettent en scène les personnages principaux de notre film. Nos héros. À leur plus beau. Le cœur ouvert. Tous réunis pour se souhaiter le meilleur. Pour se remercier d’être ensemble. Le 2 janvier, tout revient à la normale. On recommence à se taper sur les nerfs. Et c’est très bien. Mais durant le temps des Fêtes, on s’apprécie plus. On réalise que, de toutes les personnes qui pourraient, par moments, nous taper sur les nerfs, ce sont elles avec qui ça se vit le mieux. Ça se vit avec amour. Parce qu’elles sont une partie de nous.

Les Noëls de mon enfance ont duré longtemps. Bien plus longtemps que ma vie d’enfant. C’est ça le kick. Revenir tous les ans à l’essentiel. Retrouver tous les ans les personnes avec qui tout a commencé. Les personnes avec qui on s’est créé.

Demain soir, on sera tous des enfants, peu importe notre âge. On aura tous besoin d’aimer et d’être aimés par ceux qui sont là, depuis toujours. En espérant que ce soit pour toujours. Mais ce ne l’est pas.

Les Noëls de mon enfance ont duré jusqu’à la fin du siècle dernier. Ils étaient encore tous là. Vieillis mais aussi beaux que 30 ans plus tôt. Cette année, mon père et mes tantes seront absents. Encore une fois. Partis au ciel, depuis quelque temps déjà. Et bien sûr, on pensera à eux.

Parce que Noël, ça fait ça, aussi. Ça ravive les deuils. Ça souligne les solitudes. On n’est jamais aussi seul que lorsqu’on est seul le 24 décembre. On ne s’ennuie jamais autant de quelqu’un que lorsqu’on s’ennuie de lui le 24 décembre. Un proche n’est jamais aussi loin de nous que lorsqu’il est loin de nous à Noël.

Heureusement qu’on a de la peine. La vie de tous les jours fait en sorte que l’on cicatrise. Les gens qui ont marqué nos vies disparaissent et on finit par s’en remettre. Puisqu’il le faut. On ne les oublie pas. Mais on pense à autre chose.

À Noël, c’est impossible de penser à autre chose. Ils sont tellement là, en n’y étant pas. Chaque senteur, chaque chanson, chaque décoration fait apparaître leur visage, leurs sourires, leur âme.

À partir d’un certain âge, on célèbre tous les Fêtes avec quelques fantômes. Il y en a même pour qui cette fatalité arrive tôt. C’est triste. Mais en même temps, c’est beau.

Il ne faut pas lutter contre tous ces souvenirs qui nous remontent à la tête. Au contraire. Il faut les laisser nous envelopper. Nous couvrir. Nous réchauffer. Bien sûr que ça fait mal. Ne plus voir Marie-Laure, toute jolie, en train de préparer ses choux à la crème. Ne plus voir Tantôt, tout espiègle, en train de rappeler à ma mère les tours de leur jeunesse. Ne plus entendre mon père ronfler, étendu devant le foyer, entouré des cadeaux déballés, au petit matin. Je ne les vois plus mais je les vois encore. Puisque ces images tournent dans mon cœur, chaque veille de Noël, chaque veille du jour de l’An.

C’est ça, aussi, la magie de Noël. Réveiller des chagrins. Raviver des blessures. Et les soigner avec ceux qui sont toujours là. Qui ont les mêmes en eux. Bien sûr, c’est plus party de partager sa joie que de partager sa peine. Mais les deux n’existent pas l’une sans l’autre. Les peines sont des joies passées. Et les joies, des peines déjouées.

Tout ça pour dire que je vais penser à papa, Tantôt et Marie-Laure, demain. Comme vous penserez à vos gens précieux qui ne seront pas de la fête. Je vais penser à tout ce qu’ils m’ont donné. Pas les cadeaux. Non. Tous les regards, les rires, les silences et les douceurs. J’aurai sûrement le cœur gros, mais vaut mieux l’avoir gros que petit. Ça fait plus de place pour tous ceux qui se sont ajoutés aux rendez-vous des Fêtes, la belle-sœur, le beau-frère, les nièces et leur chum. La famille.

Et je remercierai la vie que ma mère soit toujours là.

La nostalgie est là pour nous rappeler qu’il faut profiter du présent.

Je sais, je vous l’ai dit la semaine dernière. Mais la semaine dernière, ce n’est déjà plus le présent. Il faut se le rappeler tout le temps.

Joyeux Noël à vous ! À vos présents et à vos absents ! Beaucoup de joies et juste un peu de peines. Je vous aime.

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