Entretien avec l’ancien ministre Christian Paradis

« Penser différemment » les services policiers 

Ottawa — Les gouvernements municipaux et provinciaux doivent sortir des sentiers battus s’ils veulent juguler la hausse des coûts de leurs services policiers. Le recours à des entreprises de sécurité privées pour exécuter certaines tâches incombant aujourd’hui à des policiers, comme la gestion de la circulation ou encore le transport de détenus, pourrait entraîner des économies de près de 40 %, estime l’ancien ministre conservateur Christian Paradis.

À l’heure actuelle, les policiers consacrent de nombreuses heures à exécuter des tâches de soutien qui pourraient être tout aussi bien réalisées par des agents de sécurité, a soutenu hier M. Paradis, qui est aujourd’hui vice-président principal chez GardaWorld et qui a passé les 12 derniers mois à se pencher sur cette question.

En confiant à des agents de sécurité des tâches de soutien aux opérations policières, les économies réalisées pourraient être investies dans les enquêtes criminelles, dans la capitalisation des fonds de pension des policiers ou dans d’autres secteurs jugés prioritaires, a indiqué M. Paradis dans une entrevue à La Presse hier.

Pour illustrer son propos, M. Paradis a donné l’exemple d’un patient qui se rend chez le dentiste. « Quand on va chez le dentiste, tous les gens du personnel ne sont pas dentistes. Les raisons nous paraissent évidentes », illustre l’ancien ministre. 

« Pourtant, dans nos forces policières, des policiers formés et qualifiés effectuent des tâches autres que leurs tâches essentielles et pour lesquelles leur expertise n’est aucunement requise. »

— Christian Paradis, vice-président principal chez GardaWorld

Chose certaine, le rythme de croissance des coûts des services policiers n’est pas soutenable, selon lui. Dans un récent rapport, intitulé The Economics of Canadian Policing, on projetait que les coûts des services policiers par habitant allaient bondir de 61 % de 2011 à 2025 au Canada, si l’on en croit la courbe de croissance des dépenses observée de 2011 à 2012, et ce, même si le taux de criminalité diminue. Résultat : « Il faut penser différemment et revoir les paradigmes rattachés aux services policiers », selon M. Paradis.

À titre d’exemple, la rémunération d’un policier du Service de police de la Ville de Montréal s’élevait à environ 120 000 $ par année en 2015 en tenant compte du salaire, des avantages sociaux et des taxes sur la masse salariale. Celle d’un agent de sécurité au Québec était d’environ 40 000 $, selon une étude de l’Institut économique de Montréal.

L’industrie est « mûre », assure Paradis

M. Paradis a tenu à souligner qu’il ne s’agit pas là d’une façon détournée de confier les services policiers au secteur privé, puisque les tâches qui requièrent une autorité policière resteront entre les mains des policiers.

Il a cité l’exemple du transport d’un détenu d’un pénitencier jusqu’à la cour pour sa comparution. Ce travail pourrait très bien être confié à des agents de sécurité, tout comme la gestion de la circulation quand un feu de circulation cesse de fonctionner en raison d’une panne d’électricité. Un agent de sécurité pourrait aussi prendre la déposition d’un citoyen dont la maison vient d’être cambriolée une fois que la scène de crime a été jugée sécuritaire par un policier.

M. Paradis a d’ailleurs souligné que des entreprises de sécurité privée assuraient déjà la sécurité dans les aéroports du pays, sous la supervision de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA), depuis quelques années. GardaWorld s’occupe aussi du transport d’individus interceptés par l’Agence des services frontaliers du Canada.

« L’industrie de la sécurité privée au Canada est mûre pour exécuter les fonctions de support aux policiers », a dit M. Paradis, soulignant que cette industrie est assujettie à des règles professionnelles

Alors que les coûts de ses services policiers ont franchi le cap du milliard de dollars il y a deux ans, la Ville de Toronto s’apprête à franchir un pas important dans cette voie. Après avoir évalué plusieurs options au cours des derniers mois, la Ville compte lancer un appel d’offres pour confier à une entreprise de sécurité privée des tâches comme la gestion de la circulation, l’application des règlements liés au stationnement et les services de brigadier, entre autres. Ces changements, qui devraient être mis en œuvre d’ici deux ans, devraient permettre à la ville de Toronto d’économiser 40 millions de dollars par année.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.