Insatisfait des mesures environnementales de la Ville de Montréal, Luc Ferrandez a quitté la vie politique hier. Dans une longue publication sur Facebook, le maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal s’est dit « incapable d’influencer la mairesse Valérie Plante (ainsi que le président du comité exécutif et les membres du comité exécutif) sur la gravité de la situation et des mesures qui s’imposent ».
Joint par téléphone hier, M. Ferrandez a affirmé avoir démissionné en raison « des dissensions sur les stratégies, les méthodes à prendre » pour faire face à la crise environnementale. Pour lui, ces questions ne « sont pas juste des nuances ou des détails dans l’administration d’une ville ».
« Ce que je tente de faire, c’est de mobiliser Projet Montréal à être plus agressif face à la crise environnementale, c’est le message que je voulais envoyer avec ma démission », a-t-il ajouté.
Dans un manifeste de près de 2000 mots sur Facebook, il a mis de l’avant plusieurs jalons d’une révolution verte : taxer 100 % du stationnement, taxer les déchets, limiter les activités pétrolières du port, agrandir les parcs, planter des arbres.
« On ne pourra pas réaliser un tel programme en un seul mandat, ni tout faire sans les autres paliers de gouvernement. Mais il faut commencer tout de suite. Il faut afficher nos couleurs et mobiliser la population. Il faut surtout faire de l’environnement la trame de fond de toutes nos actions – pas un programme isolé des autres. Ce que je propose n’est rien de moins qu’un effort de guerre », a-t-il écrit.
M. Ferrandez n’a pas précisé comment il allait maintenant accomplir tous ses objectifs écologiques. « Je quitte la vie politique », a-t-il répondu, écartant l’idée de faire le saut au fédéral.
Polarisant
Depuis sa première élection à la Ville de Montréal en 2009, Luc Ferrandez s’est révélé être un personnage polarisant, habitué d’exprimer le fond de sa pensée – quitte à s’en excuser le lendemain.
Sa modification du Plateau-Mont-Royal pour réduire le passage de véhicules en adoptant des sens uniques et des voies rétrécies a créé un tollé chez des commerçants et des automobilistes. Mais à en croire le pourcentage toujours plus élevé de voix obtenues lors de ses deux réélections, une majorité de résidants de l’arrondissement appuyaient ses mesures controversées.
Luc Ferrandez a avisé, hier matin, le cabinet de la mairesse de sa décision de démissionner, alors que Valérie Plante partait pour Québec, où elle participait aux consultations pour le projet de loi 21.
« Il y a 10 ans, ce que Luc proposait comme vision était audacieux, voire impensable. Aujourd’hui, force est d’admettre que cette vision est devenue une référence dans l’appareil municipal. »
— Valérie Plante, dans un communiqué le remerciant « chaleureusement pour son dévouement »
« Accomplir autant en si peu de temps demande un courage politique énorme, une intégrité sans borne et des convictions inébranlables. Ce sont des valeurs qui nous inspirent et qui nous motivent à aller toujours plus loin », a ajouté Mme Plante.
Lors de l’annonce de sa démission, Luc Ferrandez a exprimé ne pas vouloir affaiblir le leadership de Valérie Plante ou de la formation. « Je veux que le parti Projet Montréal reste fort, uni et qu’il gagne la prochaine élection », a-t-il dit au téléphone. Devenir élu indépendant l’aurait mis dans un rôle où il aurait constamment dû critiquer la mairesse, ce qu’il ne voulait pas, a-t-il expliqué.
Le maire de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal n’a pourtant jamais eu la langue dans sa poche. L’an dernier, il avait fait son mea-culpa après avoir qualifié d’« amateurisme » la promesse électorale de Projet Montréal de geler les taxes. Il s’était ensuite présenté à une consultation publique, la mairesse lui tenant le coude en signe d’unité, réitérant son soutien.
Il a assuré hier que sa démission n’avait rien à voir non plus avec ses propos colorés des derniers jours. En pleine séance du conseil municipal lundi, il avait utilisé l’expression « what the fuck » en s’adressant à un conseiller, ce qui lui avait valu une intervention de la présidente du conseil, Cathy Wong. À la fin du mois d’avril, il avait fini par retirer une publication sur son compte Facebook, dans laquelle il y allait d’un « fuck you, nous autres » pour dénoncer une responsabilité collective face aux changements climatiques dans le contexte des inondations.
Une surprise
En fin d’après-midi, la nouvelle avait commencé à s’ébruiter dans les corridors de l’hôtel de ville. À la fin des débats du conseil municipal, du personnel attendait les élus de Projet Montréal pour les inviter à se rendre dans une salle où la démission de Ferrandez leur a été confirmée.
À la sortie de cette rencontre, plusieurs affichaient un visage long et ne cachaient pas leur surprise devant cette soudaine décision de leur collègue. Aucun n’a toutefois accepté de faire de commentaires aux journalistes qui faisaient le pied de grue.
Selon le leader de l’opposition à l’hôtel de ville, Lionel Perez, le départ d’un vétéran comme Luc Ferrandez est un coup dur pour l’administration de Valérie Plante.
« C’était un leader au sein de son parti, et beaucoup de ses collègues adhéraient à ses valeurs, à ses intérêts et à sa façon de faire de la politique. »
— Lionel Perez, leader de l’opposition à l’hôtel de ville
M. Perez a salué l’engagement du politicien, qui a consacré 10 ans à la vie publique. « Il était là par conviction et était très franc, parfois à son détriment », a-t-il ajouté.
Le passage de l’opposition au comité exécutif semble avoir été difficile pour Luc Ferrandez, a soulevé au téléphone Danielle Pilette, professeure associée au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM. Les compromis inhérents à ce rôle aussi. « Il se préoccupe d’abord et avant tout d’environnement, et la Ville ne bouge pas si rapidement », souligne-t-elle, ajoutant que la ville-centre s’est davantage concentrée sur les innovations sociales qu’environnementales.
« il a fait des bonnes choses »
Dans le Plateau-Mont-Royal, en début de soirée, des passants apprenaient la nouvelle en pianotant sur leur téléphone intelligent. D’autres ont exprimé leur surprise lorsque La Presse les en a informés. Sous un crachin persistant, les opinions divergeaient sur l’élu municipal le plus polarisant de l’hôtel de ville.
« Je l’aimais, il a fait des bonnes choses pour le stationnement, notamment sur les vignettes journalières », a dit Mylène Morency, avant d’accélérer pour se rendre à son cours de danse.
Au Kiosque Mont-Royal, à côté de la station de métro du même nom, Aurélie Leroy vendait des plantes et des légumes, tuque violette enfoncée sur les oreilles. Elle vit dans l’arrondissement depuis 10 ans et y travaille.
« Il y a beaucoup de problèmes ici, notamment sur le plan de la sécurité. Le quartier est de moins en moins agréable, il y a du vagabondage et des jeunes qui vendent [des stupéfiants] », a-t-elle confié. Sans citoyenneté canadienne, elle n’a pas pu voter aux dernières élections, « mais je n’aurais pas voté pour lui », a-t-elle ajouté.
« Je regrette son départ. Ce n’était pas un fou du roi, mais il était empêcheur de tourner en rond. »
— Mario Côté, un citoyen attendant son autobus
Luc Ferrandez s’occupait des grands parcs dans l’administration de Valérie Plante. « J’espère rester radical pour la gestion des grands parcs. Il faut être radical pour ramener la nature en ville. Il faut être obsédé, déterminé, pour défendre chaque pied carré de verdissement », avait-il réagi après l’annonce de sa nomination en 2017.
Hier, il a fait le point dans sa publication sur ses chantiers laissés en plan dans ce domaine. « J’aurai contribué avec une vision généreuse que j’espère avoir transmise mais je quitte très tôt dans le processus, j’en conviens », a-t-il admis.
— Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, Philippe Teisceira-Lessard et Isabelle Ducas, La Presse