ÉDITORIAL PAUL JOURNET

Passeurs recherchés

Perdu au milieu de la nouvelle Politique culturelle, il y a un passage un peu triste. « Les activités culturelles à l’école (sorties culturelles, ateliers d’artistes en classe, etc.) sont souvent considérées par plusieurs comme une perte de temps, y lit-on. Une campagne de sensibilisation a été demandée par plusieurs intervenants lors des consultations ; le souhait est de stimuler un changement d’attitude de la part de certains parents et enseignants. »

Eh oui, au pays des vraies affaires, la culture a encore besoin de justifier son existence. À quoi ça sert, la culture ? En gros, à vivre. Ou, pour citer Serge Bouchard, à réduire « l’infinie distance qui nous sépare du monde ». C’est, on le concède, un vaste programme, et il ne se fera pas sans aide.

Le document présenté mardi dernier par le gouvernement Couillard s’intitule « Partout, la culture ». Mais partout, elle peine à garder la tête en surface, et l’eau monte.

Il y a le problème de rémunération. La nouvelle économie numérique est dominée par les siphonneurs de contenus qui s’enrichissent en donnant un accès gratuit, ou presque, aux œuvres.

Il y a aussi le problème de visibilité. Ces œuvres sont noyées dans l’océan des contenus mondiaux du web.

Tout cela, on en parle abondamment depuis quelques années. Mais il y a un autre problème, au moins aussi important, dont on discute moins : celui de la transmission à l’école.

Pensez à la première œuvre qui vous a sorti de vous-mêmes. Peut-être était-ce un documentaire de Perrault, qui rappelle d’où le Québec vient, un poème de Miron qui rêve le chemin à suivre, ou une chanson de Leloup qui offre le réconfort d’être incompris à deux.

Ces œuvres, vous ne les avez probablement pas découvertes seul. Peut-être était-ce grâce à votre famille. Mais tous les petits Québécois n’ont pas la chance de grandir dans un foyer où cette passion se partage. D’où le rôle crucial de l’école publique.

Bien sûr, elle joue déjà un peu ce rôle, entre autres avec le programme Culture à l’école. Des artistes visitent les classes pour parler de leur métier, et des élèves montent des projets artistiques ou sortent pour assister à des spectacles. Dans la nouvelle politique culturelle, Québec promet de hausser le financement de ces activités de 65 millions de dollars.

Même si l’annonce est positive, ces programmes pourraient être peaufinés. Trois reproches souvent entendus : le quasi-gel de la rémunération des artistes qui se rendent en classe, la lourdeur de la gestion et enfin, les disparités régionales. Dès qu’on s’éloigne du centre-ville, la facture d’autobus gruge une bonne part de l’enveloppe disponible.

Mais il y a plus. Il y a un autre front à prioriser : le travail des enseignants en classe.

L’année dernière, un très beau projet a été lancé à l’Université de Sherbrooke*. Les futurs enseignants reçoivent un passeport culturel – deux billets gratuits et des rabais pour les suivants, en plus de rencontres avec les artistes eux-mêmes. Le but : allumer la flamme pour que les enseignants la transmettent ensuite à la prochaine génération de Québécois.

N’oublions pas toutefois qu’une multitude d’enseignants accomplissent déjà de petits miracles chaque jour et ne demandent qu’à avoir les moyens de leurs ambitions. Le meilleur exemple : la pauvreté des bibliothèques en classe. On le sait, la lecture est déterminante dans la réussite scolaire. Et elle l’est aussi dans la découverte du pouvoir des mots et des idées. Hélas, selon une thèse de doctorat déposée le mois dernier à l’Université de Montréal, près de la moitié (46 %) des enseignants au primaire disent qu’un de leurs besoins prioritaires en français est « d’obtenir un meilleur accès aux œuvres littéraires ». Pas un nouveau logiciel, un brassage de structures ou une révolution pédagogique. Juste de bons vieux livres. Le Québec n’est pas rendu assez pauvre pour s’en priver.

C’est dans la multiplication de ces initiatives du genre que le lien se fera entre les artistes et la population, le lien par lequel leurs œuvres finissent par devenir une raison commune.

Il faut des enseignants qui non seulement connaissent leur culture, mais l’aiment. Et surtout, un réseau scolaire qui leur donne les moyens de la porter.

Ce n’est pas un projet élitiste. C’est une façon de donner un sens aux choses. Ou, quand elles n’en ont pas, d’en montrer la beauté et l’étrangeté. Bref, une façon de se réveiller avant de mourir.

* L’enseignement de la lecture – appréciation des œuvres littéraires à l’école primaire, Martin Lépine. Thèse présentée à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

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44%

Dans 44 % des classes, il y a moins de 100 livres en format papier.

Faites le calcul. Cela fait environ cinq livres par année par élève, ou un livre par deux mois.

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