Une pilule « miracle » contre la gueule de bois sème l’inquiétude

Vous avez quelque chose à célébrer ou à pleurer après cette semaine riche en émotions ? Si vous êtes du genre à le faire avec excès, une nouvelle pilule appelée Over EZ promet de soulager votre lendemain de veille pour 5 $. Le hic : cette assertion n’est appuyée par aucune étude scientifique, et le produit inquiète les responsables de santé publique pour plusieurs raisons. Explications.

Le mal

Votre dernière consommation menace de remonter à la surface. Ça cogne dans votre tête, chaque mouvement est pénible et « jamais plus » sera votre mantra du jour. Vous souffrez, l’ami, du lendemain de veille, un mal si ancien qu’il est décrit dans la Bible (Ésaïe, 5, 11). S’il n’existe encore aucun remède fiable contre la gueule de bois, c’est qu’elle n’est pas encore parfaitement comprise. L’acétaldéhyde, un composé toxique produit par la dégradation de l’alcool par le corps, est le suspect numéro un. Mais pourquoi les symptômes apparaissent-ils après la cuite, quand la concentration d’acétaldéhyde dans le sang chute ? La déshydratation et l’inflammation jouent aussi un rôle, mais on ignore à quel point. Pour compliquer les choses, les boissons alcoolisées contiennent, en plus de l’éthanol, un fouillis de molécules appelées congénères, qui diffère d’un type d’alcool à l’autre. Ajoutez à cela la génétique qui influence la réaction de chacun à l’alcool, et vous avez une idée de la complexité du problème.

La pilule

Un comprimé d’Over EZ à prendre avec votre premier verre, et voilà. Vous vous réveillerez frais et dispos le lendemain, s’il faut en croire le fabricant EZ Lifestyle Inc – entreprise basée à Toronto et à Fort Lauderdale, en Floride. « Nous avons travaillé pendant des années dans l’industrie du divertissement et avons vu un besoin pour un tel produit. Nous avons contacté un laboratoire au Brésil qui fabrique des suppléments alimentaires et ils ont créé la formule pour nous », a expliqué à La Presse Zark Fatah, cofondateur de l’entreprise. Propulsé par une campagne qui mise sur la fête et les jolies filles, le produit est distribué lors d’événements comme le Grand Prix de Montréal et les festivals de musique. Il est aussi vendu en ligne et dans une soixante de lieux au Canada, dont quelques cafés et restaurants montréalais, ainsi que dans plusieurs villes américaines.

La cystéine

À première vue, l’un des ingrédients les plus intéressants d’Over EZ est la cystéine. Normand Voyer, professeur de chimie à l’Université Laval, explique que cet acide aminé produit par le corps est essentiel à la production du glutathion, un « nettoyant naturel » qui dégrade l’acétaldéhyde, ce produit toxique généré par l’alcool. Rien n’indique cependant que le corps manque de cystéine quand on lève le coude. Surtout, il est important de savoir que l’efficacité d’Over EZ n’a jamais été démontrée. « On parle de lien indirect. On n’a aucune démonstration scientifique que prendre de la cystéine va aider à dégrader l’acétaldéhyde. Aucune », martèle le professeur Normand Voyer. Et même si c’était le cas, sachez qu’un œuf contient quatre fois plus de cystéine qu’une pilule d’Over EZ.

Les autres ingrédients

Over EZ contient aussi une flopée d’ingrédients naturels, dont des antioxydants. En théorie, ceux-ci peuvent être utiles pour neutraliser ce qu’on appelle les « dérivés réactifs de l’oxygène », des espèces chimiques nocives générées par l’excès d’alcool. On y trouve aussi de la vitamine B. Une étude scientifique, menée sur seulement 17 participants, a déjà suggéré que la vitamine B6 pourrait atténuer certains symptômes de la gueule de bois. Le problème, encore une fois, est que ces prétentions sont hypothétiques et non démontrées. Dans l’étude qui suggère un certain effet de la vitamine B6, par exemple, les participants en avaient consommé 1200 mg. Une pilule d’Over EZ en contient… 600 fois moins. Est-ce quand même efficace ? Personne ne l’a vérifié.

La contradiction

Over EZ a été approuvé par Santé Canada. Mais étrangement, la fiche d’information du produit ne précise nullement qu’il est destiné à soulager la gueule de bois. Elle contient plutôt une longue liste de vertus qui vont d’« aider à métaboliser les gras » à « aider la croissance et le développement normal », en passant par une contribution à la formation de globules rouges. Informée par La Presse de cette différence entre les prétentions commerciales et les usages officiels d’Over EZ, Santé Canada a affirmé être « en train d’évaluer l’information fournie ».

Les interactions

Yves Jalbert, spécialiste de contenu à l’Association pour la santé publique du Québec, s’inquiète des interactions que pourrait avoir Over EZ avec certains médicaments. Il précise notamment que la niacine contenue dans le produit peut interagir avec les anticonvulsivants (médicaments contre l’épilepsie) ou les statines (médicaments contre le cholestérol). « À cause de la vitamine B12, les personnes qui souffrent de maladies cardiovasculaires ne peuvent pas prendre ce produit », illustre-t-il aussi. Or, ces contre-indications ne figurent ni sur l’emballage du produit ni sur la fiche d’information de Santé Canada. L’autre inquiétude de M. Jalbert est qu’Over EZ n’encourage la consommation d’alcool. Il est tentant de continuer la fête, plaide-t-il, si on croit qu’on n’en souffrira pas le lendemain. « On vend un faux sentiment de protection, dit M. Jalbert. La pilule n’empêchera pas l’alcool d’endommager votre foie. La promotion vise clairement les jeunes, et ça nous préoccupe. »

Le malaise

Yves Jalbert, de l’Association pour la santé publique du Québec, souligne qu’Over EZ s’inscrit dans un problème plus large : le fait que les fabricants peuvent vanter les mérites des produits naturels même si leurs assertions n’ont jamais été démontrées scientifiquement. Santé Canada est consciente du problème et vient de terminer des consultations en vue de « moderniser son approche » touchant la réglementation des produits naturels, des médicaments en vente libre et des cosmétiques. Les concepteurs d’Over EZ, quant à eux, ont dit à La Presse qu’ils songeaient à mener une clinique pour démontrer scientifiquement leurs assertions, même si aucune réglementation ne les y oblige actuellement.

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