CHRONIQUE  RÉNUMÉRATION DES MÉDECINS

Une expérience albertaine élimine l’attente des patients

La ville de Taber, en Alberta, a vécu une révolution au cours des années 2000. Le temps d’attente pour obtenir un rendez-vous avec un médecin de famille a complètement disparu. Le secret ? L’abandon de la rémunération à l’acte des médecins.

Au Québec, 80 % de la rémunération des médecins est basée sur cette rémunération à l’acte, une pratique que je dénonçais hier. Les actes sont méticuleusement codés et tarifés selon l’âge du patient, la région, l’heure de la journée et le nombre de centimètres d’excision chirurgicale, par exemple. Les manuels de tarification font 1330 pages, et les médecins parlent d’un monstre qui coûte cher en administration.

En Alberta, les médecins sont aussi rémunérés à l’acte dans une proportion de 80 %. Devant les résultats désolants du système, un projet-pilote a été mis de l’avant au début des années 2000 dans la ville de Taber, située dans une région rurale à deux heures de Calgary. Cinq ans plus tard, il a été étendu au reste de la région de Chinook (156 000 habitants).

En Alberta, les patients doivent généralement se rendre dans les Primary Care Network (PCN) pour voir leur médecin de famille. Ce réseau de cliniques de soins de première ligne pourrait s’apparenter à nos groupes de médecine familiale (GMF).

Parmi les changements d’approche, on a décidé de payer les médecins à salaire fixe, essentiellement, et non plus à l’acte. En retour, ce changement s’est accompagné d’une plus grande exigence de résultats à l’endroit des médecins, question que leur productivité se maintienne.

Les résultats de Taber sont spectaculaires. Au début des années 2000, les patients devaient attendre 30 jours pour consulter leur médecin de famille (ou un de ses collègues au dossier). Or, ce temps d’attente a été complètement éliminé en 2006 et, encore aujourd’hui, les patients peuvent rencontrer leur médecin le jour même.

Cet accès rapide aux soins de première ligne a eu des effets bénéfiques sur le réseau, réduisant notamment de presque 20 % le recours à l’urgence. Entre autres, les visites à l’urgence pour des maladies chroniques ont fondu.

Au début du projet, par exemple, les résidants de Taber se rendaient à l’urgence 345 fois par année pour leurs problèmes d’asthme. Dix ans plus tard, il n’y a plus qu’une vingtaine de visites par année.

Le projet est plus avancé à Taber qu’ailleurs, mais « il y a aussi une nette tendance à l’amélioration dans l’ensemble de la région de Chinook », nous explique l’âme dirigeante du projet, le Dr Robert Wedel. Selon ses dires, les résultats sont si probants qu’il y a des pourparlers pour étendre le modèle ailleurs en Alberta et même dans d’autres provinces.

Comment la clinique de Taber, qui compte environ 20 000 patients, y est-elle parvenue ?

D’abord, on a décidé de rémunérer les médecins à salaire fixe pour un panier de services précis, comme les services ambulatoires, les chirurgies mineures, les fractures et les soins prénataux. Les accouchements et les chirurgies majeures continuent à être payés à l’acte, compte tenu de leur nature imprévisible et longue. Les soins prodigués après les heures normales d’ouverture sont encore sujets aux paiements à l’acte, eux aussi.

On a également associé à la clinique de Taber un nombre précis de patients. Une fois la liste établie, la clinique a eu pour mission de s’organiser pour être en mesure de rencontrer les patients selon leur demande. Si un patient est obligé de se rendre ailleurs pour des soins, c’est son médecin de famille qui paie la facture !

Pour parvenir à leurs fins, les médecins de la clinique de Taber ont eu davantage recours aux infirmières, aux pharmaciens et aux autres professionnels de la santé.

Le budget de la clinique a d’ailleurs été augmenté d’environ 11 % (62 $ par patient) pour lui permettre d’embaucher, mais des économies ont été dégagées ailleurs dans le réseau grâce aux résultats.

Une collaboration étroite s’est avérée essentielle entre les intervenants de la clinique. Ce travail en équipe s’est trouvé encouragé du fait que le médecin n’est plus payé selon qu’il fait ou non un acte médical, mais plutôt si le patient reçoit des services.

La clinique a également fait un suivi serré des maladies chroniques – en grande partie responsables des consultations à l’urgence – grâce à un système informatisé au point. Les patients à risque reçoivent d’ailleurs des appels téléphoniques pour leur rappeler l’importance de prendre rendez-vous.

En réorganisant les façons de faire, les patients se sont mis à fréquenter moins souvent leur médecin (2,1 visites par année plutôt que 5,6 ailleurs), ce qui a dégagé des disponibilités pour les autres patients. Les autres professionnels de la santé, pour leur part, ont vu la fréquentation pour leurs services s’accroître de 50 %.

Les médecins sont devenus directement responsables des résultats, ce qui a amélioré la qualité des actes. Par exemple, si un plâtre pour une fracture est mal fait, le médecin n’est pas payé à nouveau s’il refait le travail, comme c’est le cas lorsqu’il est rémunéré à l’acte.

Un profond changement de culture a été nécessaire, mais aujourd’hui, les employés sont satisfaits, comme les patients d’ailleurs. N’y a-t-il pas dans le projet Taber une source d’inspiration pour notre système ?

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