PORTRAIT

Mystérieux Mr. Sign

Quel est le lien entre le Joe Beef, le Lawrence, le Grumman’78 et Le Vin papillon ? Réponse facile : ce sont tous des restaurants montréalais où il fait bon s’attabler. Réponse plus subtile : chacune de leurs enseignes a été soigneusement tracée à la main par Mr. Sign, virtuose du pinceau.

Derrière ce nom d’artiste se cache Dave Arnold, grand gaillard à la dégaine exubérante, mais dont le travail reste discret. « Je ne fais pas beaucoup de publicité. Je ne fais que travailler, travailler et travailler autant que je peux », lance-t-il en faisant apparaître un sourire édenté sous sa moustache.

Nous l’avons rencontré au moment où s’achevait une exposition temporaire de ses tableaux : des cadres remplis de visages, où ont coulé des taches de café. Un projet bien personnel, exempt d’obligations, auquel il se consacre purement par plaisir. « Avec l’intensité de mon travail, c’est libérateur, dit-il. Il n’y a pas de client, pas de date à respecter, j’ai tout mon temps. »

C’est donc dans ce local ensoleillé de Saint-Henri qu’il nous a raconté son histoire, qui prend des allures de conte de Noël…

DES RENNES DANS LA VITRINE

Automne 2009, peu avant les Fêtes. Pour arrondir ses fins de mois, Dave Arnold fait du porte-à-porte dans son quartier, le Sud-Ouest, pour proposer aux commerçants de dessiner des pères Noël ou des rennes dans leurs vitrines. Sans grand succès. « La plupart des gens ne voulaient pas de mes services, et ceux qui acceptaient étaient réticents à dépenser plus de 50 $… »

Jusqu’à ce qu’il cogne par hasard chez Joe Beef, où il a été accueilli par le coloré David McMillan, propriétaire du respecté établissement de la rue Notre-Dame. « Il m’a regardé comme si je plaisantais. Il m’a dit : “Sais-tu où tu es ?” Moi, je n’avais jamais entendu parler de la place ! »

Les deux hommes ont ri un bon coup, mais en y réfléchissant à deux fois, David McMillan lui a dit qu’il voulait un logo permanent du Joe Beef dans la vitrine, élégant, noir et or, style années 20. « Il m’a demandé si je pouvais peindre ça plutôt que le père Noël, reprend Dave Arnold. Je l’ai fait et le résultat s’est avéré très beau. »

Pleinement satisfait de sa nouvelle enseigne, David McMillan a voulu répéter l’expérience au restaurant voisin, le Liverpool House, dont il est aussi propriétaire. Le travail s’est ensuite enchaîné à une vitesse folle : après le Sud-Ouest, le dessinateur aujourd’hui âgé de 35 ans a décroché un contrat dans le Vieux-Montréal, puis un autre dans le Mile End… Soudainement, sa réputation n’était plus à faire.

« Depuis le jour 1, chaque contrat en a amené un autre, parfois deux. »

— Dave Arnold, alias Mr. Sign

En plus des restaurants, il a aussi peint des camions de cuisine de rue, dont ceux du Nouveau Palais et du Grumman’78, pour lequel il a également créé le design du logo.

Plus récemment, on lui doit aussi la vitrine de la boutique Aesop dans le Mile End, du restaurant Foxy dans Griffintown et du September Surf Café, rue Notre-Dame. Au cours des derniers mois, il s’est également consacré à un projet avec le Cirque du Soleil : celui de dessiner tous les panneaux annonçant la nourriture et les boissons pour le spectacle Luzia, actuellement présenté sous chapiteau dans le Vieux-Port. « Le Cirque voulait que les enseignes reflètent le thème du spectacle, qui est d’inspiration mexicaine », précise Mr. Sign.

Nouvellement papa d’un enfant d’un an et demi, Dave Arnold est originaire d’Oakville, en Ontario, une petite ville en banlieue de Toronto. Après s’être établi à Montréal il y a plus de 10 ans, il n’a jamais quitté son quartier d’adoption, le Sud-Ouest.

En six ans et demi de travail, il estime avoir laissé son empreinte sur une cinquantaine de vitrines, même s’il admet avoir légèrement perdu le compte. « Les choses ont pris un tour tellement inattendu, observe-t-il. Au départ, je voulais seulement faire un peu d’argent supplémentaire pour Noël… et c’est finalement devenu un job à temps plein ! »

Malgré la notoriété, Mr. Sign préserve son côté secret ; cela fait même partie de sa marque de commerce. Dans son cas, le bouche-à-oreille se transmet avec les yeux, et c’est un art qui n’a certainement pas fini de se propager.

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