Chronique

Fiston voulait aller au Salon

Il m’a dit : « J’aimerais aller au Salon du livre. » Du livre ? Je n’étais pas convaincu d’avoir bien entendu la fin de sa phrase. À 11 ans, il passe le plus clair de ses temps libres auprès de sa matrice* (le surnom que nous avons donné à la Xbox).

J’avais bien entendu. Depuis des mois, Fiston guette la sortie en librairie au Québec du roman d’un jeune auteur français qui s’est fait connaître sur YouTube. Un youtubeur passionné de jeux vidéo (tout s’explique) ayant publié une série de romans ainsi qu’une bande dessinée s’inspirant d’un jeu que Fiston affectionne particulièrement.

Je suis allé chez le libraire avec lui il y a quelques semaines. C’était, malheureusement, la veille de la parution du nouveau roman de la série. On a réservé un exemplaire. Fiston a vu la semaine suivante sur son site internet que le libraire avait reçu des exemplaires du roman. Nous y sommes retournés. Les libraires ont été incapables de trouver la boîte contenant le livre tant espéré. Nous l’avons commandé dans une autre librairie, qui ne nous en a pas donné de nouvelles…

Fiston a su que le jeune auteur en question, 22 ans à peine, serait de passage au Salon du livre de Montréal pour des séances de dédicaces. Le seul moment qui concordait dans notre horaire était jeudi avant 17 h. J’ai terminé un reportage aussi rapidement que j’ai pu, je suis allé cueillir mon p’tit loup à l’école, puis nous avons bravé des rues encombrées de cônes orange pour nous rendre à la Place Bonaventure.

Le temps de garer la voiture et de faire la file à la billetterie, il était déjà 16 h 40. Nous avons grimpé l’escalier en courant, tout en enlevant tuques et mitaines. Restait à trouver le bon kiosque dans le dédale. C’est Fiston qui a vu la photo du youtubeur au loin. Il n’y avait pas de file. Quelle chance ! que je me suis dit.

C’était avant que je ne comprenne que l’auteur n’était pas au rendez-vous. Il nous avait posé un lapin. La veille, il avait pourtant diffusé une vidéo en direct de sa chambre d’hôtel montréalaise et affiché l’horaire de ses présences au Salon sur sa page Facebook (« aimée » par plus de 100 000 abonnés). Il était peut-être occupé à explorer les méandres du « Montréal souterrain », dont les guides de voyages français font si bien la promotion.

Au kiosque, on était franchement désolé. On ne savait pas trop quoi dire pour excuser cette absence inopinée. Fiston était déçu.

Une employée, qui en avait vu d’autres, lui a offert une affiche et un signet pour le consoler. J’ai tout de même acheté un exemplaire du roman, depuis le temps qu’on le cherchait !

À la caisse, il y avait un adolescent. Il s’apprêtait à acheter le même livre, la mine encore plus déconfite que celle de Fiston. La caissière lui a expliqué qu’il lui manquait quelques dollars. « C’est à cause de la taxe », lui a-t-elle expliqué. Je lui ai donné une pièce de 2 $ et il m’a remercié avec un grand sourire.

Je me suis souvenu de l’une des premières visites de Fiston au Salon du livre, avec sa classe de deuxième année. Je lui avais donné un billet de 20 $ et il avait choisi deux livres. « Avec la taxe, ça fait 22 $ », lui avait dit le caissier. « T’as juste à pas prendre la taxe ! », lui avait aussitôt conseillé un ami pragmatique, du haut de ses 7 ans.

Fiston était toujours aussi penaud. Nous avons fait le tour des kiosques, qui n’étaient pas encore trop fréquentés. Les premiers soirs du Salon, il est encore possible de saluer un auteur aussi populaire que Michel Rabagliati, debout près d’une grande affiche de son personnage fétiche, Paul. « Tu connais Paul ? », ai-je demandé à Fiston. « Mais oui, papa ! », a-t-il répondu, haussant les yeux vers le plafond.

Nous cherchions le kiosque 556 (ou 565, je ne sais plus). Fiston, sans m’avertir, l’avait repéré avant notre visite. Sur place, il y avait surtout des livres de psychopop et de croissance personnelle… « T’es sûr que c’est ce kiosque-là ? » Il en était convaincu. J’ai vérifié. Il avait raison. Le kiosque était grand et le roman jeunesse qu’il avait dans sa ligne de mire se trouvait de l’autre côté de la cloison.

Une jeune employée de la maison d’édition nous a expliqué que c’était l’histoire de quatre moniteurs de camps d’été qui correspondaient par courriel pendant une année. Un livre inspiré d’un jeu vidéo, un autre inspiré d’échanges de courriels. J’aurais sans doute préféré qu’il lise Maupassant. Mais pourquoi freiner un si bel élan de lecteur ? Tant mieux si ces livres peuvent l’arracher à sa « matrice » et lui permettre de retrouver une part d’imaginaire qui ne passe pas par tous ces écrans envahissants (même s’ils en sont en quelque sorte le prolongement).

Nous sommes repassés une dernière fois (la quatrième) devant le kiosque du jeune youtubeur français, afin de nous assurer qu’il n’avait pas soudainement émergé du Montréal souterrain. Il était toujours aux abonnés absents, malgré l’énorme pile de ses livres qui n’attendaient que d’être signés.

Il était 17 h 02 lorsque nous sommes passés par hasard devant le kiosque du bédéiste belge Midam, qui dédicaçait un album de Kid Paddle. Fiston a saisi un exemplaire de sa série Game Over pour le faire signer. Trop peu, trop tard ! nous a-t-on fait comprendre. La séance se terminait à 17 h.

J’avais l’impression d’avoir gâché notre sortie. Fiston m’a regardé et, comme pour me consoler, m’a dit : « C’est pas grave, papa. On reviendra en fin de semaine. » Si tu veux, mon p’tit loup.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.