CLUBS DE LECTURE

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À la suite d’un appel à tous, un club de lecture rencontre un auteur pour discuter de façon décontractée de sa récente parution.
Ce mois-ci : Louise Tremblay-D’Essiambre

Pour la petite histoire

C’est au pied d’une demeure ancestrale que les Bouquineuses de Salaberry-de-Valleyfield ont accueilli Louise Tremblay-D’Essiambre, qui s’apprête à lancer le deuxième tome de sa série Une simple histoire d’amour. Celle qui a été surnommée la « reine de la saga historique » s’est livrée avec passion, traitant de ses personnages qui ne la quittent jamais, de la nostalgie qui la pousse à revisiter le passé et de sa méthode de travail, carrément mathématique. Entretien avec une conteuse qui sait compter.

Sylviane : Ce devait être une trilogie, mais vous avez dit que vous auriez assez de matériel pour faire quatre tomes avec la série Une simple histoire d’amour.

Louise Tremblay-D’Essiambre : Je sais que j’en avais annoncé trois. Mais je me suis arrachée à peu près tous les cheveux de la tête [à la fin de la rédaction du troisième tome, en juin et en juillet derniers]. Ou je bâclais la fin et je savais que je ne serais pas contente, que les personnages m’en voudraient, les lecteurs aussi, ou… J’ai appelé ma maison d’édition, j’ai demandé : « Que diriez-vous d’en avoir quatre ? » J’ai entendu de hauts cris à l’autre bout, mais ils ont dit : “Fais comme tu veux.” Il y aura donc quatre livres !

Francine : D’où viennent vos idées pour vos livres ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Mon Dieu, ça peut être tout et n’importe quoi. Une annonce à la télévision, un fait divers qui va faire son petit bonhomme de chemin… Mais je vous avoue que pour Une simple histoire d’amour, j’étais en panne d’inspiration. Et en vacances l’été dernier, j’ai rêvé d’un homme devant une maison qui venait de brûler. Il restait juste la cheminée dans le jour qui se levait. Je me suis dit : OK, ça part de là. Tout simplement, je n’en savais pas plus. J’ai [situé l’histoire dans les années 20] parce qu’aujourd’hui, quelqu’un perd sa maison dans un incendie, les assurances payent, il loge à l’hôtel et ça se reconstruit facilement, la vie continue. À cette époque-là, c’était la grosse misère noire quand on perdait tout.

Francine : À quel moment écrivez-vous ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Je me lève vers 6 h 30-7 h et j’écris jusqu’à midi, tous les jours. Je veux faire entre 1500 et 2000 mots par jour. Le premier jet m’angoisse terriblement. Tous les matins, j’ai l’impression que je n’aurai pas d’idées, que ça ne viendra pas, que je ne serai pas capable. Ça me prend un bon café au lait pour me calmer, et je relis ce que j’ai fait la veille. Je rature, je retravaille, j’améliore. Ça me donne le petit déclic pour en rajouter, et finalement, je réussis à faire mes 1500 mots. Le lendemain, je me relis, je corrige, j’ajoute d’autres pages. Je travaille chapitre par chapitre et je lis chacun environ 10 fois. Ensuite, je me cloître pour deux jours et je relis le livre au complet. […] Je pense que j’aurais pu écrire un seul livre dans ma vie, ç’aurait été l’œuvre de ma vie. Mais à un moment donné, il faut lâcher prise.

Ça me prend trois mois pour écrire un livre. Mettons que j’écris pendant quatre mois, cinq jours par semaine. Ça fait 80 jours. À 1000, 1200, 1500 mots par jour, ça fait 90 000-95 000 mots, ce qui donne un livre de 450 pages. À ce rythme-là, je suis capable d’écrire trois livres par année. C’est beaucoup, mais j’aime ça, j’en bouffe ! […] C’est un immense privilège que j’ai de pouvoir vivre de ma plume grâce à des personnes comme vous. On n’est pas beaucoup [d’auteurs à vivre de leur art]. Alors c’est juste du bonheur, ma vie.

Nicole B. : Quand vous avez fini votre journée d’écriture, est-ce que vos personnages continuent à vous habiter ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Oui, maudit ! Ils ne me lâchent pas ! Je pense que c’est un peu pour ça que je fais de la peinture. Parce quand je peins, bien humblement, c’est l’une des activités où ils me lâchent un peu. Et quand je fais du scrapbooking.

Nicole B. : Donc, vous vivez tout le temps avec eux ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Je m’endors avec eux et je me réveille avec eux. […] C’est pour ça que j’ai énormément de difficulté quand je finis une série. C’est un deuil à faire chaque fois. C’est comme si je quittais des amis.

Lorraine : C’est pour ça que certains personnages reviennent dans d’autres livres ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : C’est pour me faire plaisir, je l’avoue. Je voulais savoir ce qu’ils devenaient. Et il faut que je les écoute pour le savoir, c’est pas moi qui invente leur vie. Quand j’entends des auteurs dire qu’ils jouent à Dieu le père… Voyons donc, c’est pas ça, écrire ! En tout cas, pas dans mon cas. Moi, je suis une petite souris derrière les personnages, je les regarde vivre, je les écoute me parler et je transcris ce qu’ils me disent. C’est peut-être pour ça que ça se tient.

Louise : Venez-vous d’une grosse famille ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Non, j’ai juste une sœur. […] J’ai eu une enfance dorée. […] J’ai connu le plaisir d’aller avec mon tricycle sur les chemins de terre de Sainte-Foy, quand il n’y avait pas d’autos, et d’arriver chez grand-maman pour demander du sucre à la crème. S’il n’y en avait plus, c’est parce qu’elle en avait donné au curé ! Alors j’entrais chez le curé, qui était le voisin – il n’y avait pas d’église encore, c’était le presbytère –, je prenais un morceau de sucre à la crème, je disais « Merci, monsieur le curé ! » et je ressortais. C’était tellement une vie simple et facile, vue de l’enfant que j’étais, que j’en ai peut-être gardé une certaine nostalgie, d’où ces histoires de famille. […] C’était un tout autre monde. La confiance régnait, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Colette : L’aspect historique est important dans vos romans. De quelle façon faites-vous votre recherche ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : La première fois qu’on m’a appelée pour m’inviter à un festival de romans historiques, j’ai dit : pourquoi moi ? Je ne me considère pas comme un auteur historique. Je situe une histoire dans une époque. Je vais saupoudrer de petits détails de l’époque, et ça donne tout le cachet […] Il y a certains auteurs qui vont chercher tous les détails [d’une période historique], les discours, les ci, les ça. Moi, je trouve que ça alourdit l’histoire. C’est bien plus les émotions qui sont importantes. L’histoire, pour moi, c’est l’enrobage des émotions des personnages.

Sylviane : Parlant d’émotions ! [Elle lit un passage de la saga Les années du silence de Louise Tremblay-D’Essiambre qui l’a bouleversée]. Est-ce que vous le savez quand vous allez créer une émotion [chez le lecteur] ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Je suis une boule d’émotion, donc c’est évident qu’il va y avoir de l’émotion dans ce que j’écris. […] Je vous dirais que je n’ai jamais pleuré quand j’écrivais, sauf quand Jeanne [l’héroïne de sa trilogie La dernière saison] est décédée. Parce que Jeanne, c’était moi. Sa personnalité, ses travers, ses qualités, c’est les miens. Je trouvais que c’était un sujet trop intime [la série traitait du suicide assisté] pour aller chercher des témoignages, alors je me suis basée sur ce que j’ai vécu. À cause de la bactérie mangeuse de chair, j’ai déjà été hospitalisée d’urgence et j’ai passé une semaine entre la vie et la mort aux soins intensifs. J’avais un bébé d’un an à l’époque. Alors quand Jeanne est morte, j’avais vraiment l’impression qu’un morceau de mon âme partait avec elle. Je pleurais comme un veau.

Louise : Est-ce que vous aimeriez voir vos livres adaptés au cinéma ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Oui, j’ai passé le flambeau à la maison d’édition, qui s’occupe de ça. Ce qu’on voulait aussi développer, c’est le marché européen, et ça va bien. [Les sagas Les années du silence, Mémoires d’un quartier et Les sœurs Deblois ont été publiées en France, et la série Les héritiers du fleuve y paraîtra en 2018.]

Louise : Comment est-ce que c’est reçu par les Européens ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Je pense qu’ils m’aiment beaucoup ! [rires] […] Les Français m’envoient des courriels disant : « Enfin des livres écrits en bon français ! Avec nos auteurs, c’est bourré d’anglicismes. On retrouve nos belles expressions [dans vos livres], on aime ça. »

Louise : En 2005, vous avez dit : « On ne me considère pas comme un auteur. » On ne parlait pas beaucoup de vous [dans les médias]. Est-ce que maintenant, il y a une différence ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : On ne parle toujours pas beaucoup de moi. Je ne fais pas partie de la gang des auteurs reconnus. Je suis reconnue par le lectorat, et c’est ça, l’important, pour moi.

Louise : Avec tout ce que vous avez écrit…

Louise Tremblay-D’Essiambre : Mon prochain livre est le 42e.

Louise : Comment vous voyez-vous ? Êtes-vous contente, satisfaite ?

Louise Tremblay-D’Essiambre : Ceux qui disent qu’ils écrivent que pour eux, je ne les crois pas. On écrit des romans pour être lu, sinon on écrit son journal. Je suis lue, et c’est ça, l’important. Je ne considère pas que je suis un auteur. Un auteur, pour moi, va raconter des histoires. Un écrivain va raconter la vie. Je considère que je suis un écrivain, parce que c’est la vie qui m’intéresse.

Le compte rendu de la discussion a été édité à des fins de concision et pour éviter les divulgâcheurs.

Une simple histoire d’amour – Tome 2 : La déroute sortira en librairie le 9 août.

Le troisième tome, Les rafales, est prévu le 15 novembre.

Le quatrième tome, L’éclaircie, est prévu au début de 2018.

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