Georges Leroux

Un intellectuel engagé

Entrevue avec le professeur émérite de l’UQAM, philosophe à la recherche d’un équilibre entre action et réflexion

On reproche souvent aux intellectuels de s’enfermer dans leur tour d’ivoire. C’est une critique qui ne s’applique pas à Georges Leroux. Ce penseur s’est fait un devoir de tisser des liens avec sa communauté, de participer aux choses de la Cité. Par exemple, si vous êtes parents d’enfants fréquentant l’école primaire ou secondaire, sachez qu’il a eu une grande influence dans votre vie puisqu’il est un des artisans du cours ECR (Éthique et culture religieuse), cours qui a remplacé l’enseignement religieux de l’école confessionnelle.

Avocat de la pluralité et de la diversité, il a également participé à la commission Bouchard-Taylor. Ses interventions dans les médias sont toujours empreintes d’ouverture, de douceur et d’une volonté sincère de partager et de transmettre son savoir sans une once de prétention.

Auteur de nombreux ouvrages et d’articles savants, commentateur, traducteur de Platon et de Plotin, il a accepté de se prêter au jeu des entretiens en compagnie de son ancien étudiant et collègue Christian Nadeau, lui-même professeur de philosophie politique à l’Université de Montréal.

Suivre sa destinée

Le parcours de Georges Leroux tel que raconté dans ce livre touffu rappelle une époque lointaine du Québec, celle du cours classique, un temps où les garçons qui souhaitaient poursuivre des études envisageaient souvent le sacerdoce. Issu d’une « famille bourgeoise de la rue Saint-Hubert », le jeune Georges n’échappe pas à la règle. Mais son séjour au sein de la Compagnie de Jésus sera de très courte durée. Il réalise rapidement qu’il n’est pas taillé pour une vie de silence et de prières. Étudiant à l’Institut des études médiévales de l’Université de Montréal auprès des dominicains – dont le célèbre père Benoît Lacroix –, le jeune homme est déchiré entre le désir de plaire à son père (il entreprendra même des études en médecine) et son amour de la philosophie. 

Sans l’intervention d’un ami qui lui lance : « Tu te gaspilles ! », Georges Leroux aurait peut-être choisi le droit pour faire plaisir, encore une fois, à ce père qui exerçait visiblement une grande influence dans sa vie.

Une deuxième vie

Georges Leroux a finalement écouté son cœur et entrepris une carrière universitaire. Son destin professionnel est intimement lié à celui de l’UQAM, dont il est un des pionniers, et où il s’est beaucoup impliqué. « Les 30 premières années de ma vie adulte ont été assez standard », note-t-il. Sa deuxième vie débute avec les années 90, lorsqu’il commence à faire des interventions sur la place publique, entre autres aux côtés d’un autre intellectuel, Jean Larose, qui anime une émission à la Chaîne culturelle de Radio-Canada.

« Avec la fin de la Chaîne, les choses se sont accélérées, poursuit-il. J’ai accepté des invitations à participer à des comités gouvernementaux, je me suis impliqué dans le dossier de la déconfessionnalisation, puis dans l’élaboration du cours ECR. J’écrivais encore en philologie grecque, mais beaucoup moins qu’avant. J’ai dû sacrifier des choses, mais sur le tard. » Cette recherche de l’équilibre entre le travail intellectuel et l’implication sociale occupe d’ailleurs une grande place dans les échanges avec Christian Nadeau.

Réflexions sur l’école

Le parcours intellectuel et professionnel de Georges Leroux est indissociable de l’école avec un E majuscule. Il y a étudié avec rigueur et passion, il y a travaillé, enseigné, et il y a beaucoup réfléchi. On pourrait sans doute consacrer un livre d’entretiens uniquement à cette question.

Quand on lui demande s’il estime que l’école d’aujourd’hui remplit sa mission, il répond sans hésiter. « Un des défauts actuels de l’école, c’est son manque d’autonomie, souligne le philosophe. Et quand les écoles en ont un peu, elles l’investissent dans des projets particuliers pour se distinguer des autres : corps de majorettes, programmes sport-études, etc. Une multiplication de divertissements qui fait croire aux parents qu’ils sont dans une école performante parce qu’il y a une sélection. » 

« On ne met pas les énergies aux bons endroits. On devrait miser sur une formation multidisciplinaire et aider les jeunes à apprendre à mieux se connaître. »

— Georges Leroux, au sujet de l’école d’aujourd’hui

Absolument pas nostalgique du cours classique – qui prodiguait, selon lui, une éducation élitiste et sexiste qui n’avait aucun respect pour les individus au tempérament artistique –, il croit toutefois qu’on pourrait s’inspirer de certains de ses principes : le respect du texte, par exemple, ou de l’effort.

Il n’est pas plus tendre à l’endroit des universités. Ce pionnier de l’UQAM regrette entre autres que les universités soient devenues corporatistes. « La démocratisation de l’éducation promue par l’UQAM a influencé toutes les autres universités, rappelle le professeur émérite. De plus, à l’UQAM, il y avait un véritable souci d’ouverture à l’ensemble de la société avec des mesures favorisant les étudiants issus de milieux difficiles ou qui avaient eu des parcours difficiles. Aujourd’hui, l’université s’est beaucoup diversifiée, elle est plus technique. C’est devenu une niche de spécialistes qui, pour la plupart, ne collaborent pas les uns avec les autres. »

Être intellectuel aujourd’hui

En lisant ces entretiens qui font la part belle à la philosophie et aux idées qui ont influencé la pensée et l’action de Georges Leroux, on se demande si cet homme érudit est heureux de vivre à notre époque au Québec. Est-ce difficile d’être un intellectuel pur et dur dans une société qui ne valorise pas beaucoup la vie des idées ?

« Ça dépend quel intellectuel on veut être, répond-il. Il y a des intellectuels extraordinaires au Québec et, proportionnellement, il y en a plus que partout ailleurs, à mon avis. En philo, il y a un milieu extraordinairement dynamique, si on veut s’y intéresser, mais il n’est pas très public. Cela dit, il est certain que cette culture-là n’est pas la culture de référence au Québec. On mise surtout sur le plus petit commun dénominateur, il ne faut pas que la tête dépasse trop, il ne faut pas parler de choses trop sérieuses, c’est vrai. […] Plus jeune, j’ai séjourné à Paris, une ville que j’adore et où la vie intellectuelle est davantage valorisée. Or malgré deux invitations, il n’a jamais été sérieusement question que j’y fasse ma vie. C’est ici, dans ma société, que je voulais vivre. »

Georges Leroux  Entretiens

Christian Nadeau

Boréal

374 pages

Essai 

La langue inégalitaire

Dictionnaire critique du sexisme linguistique
Sous la direction de Suzanne Zaccour et Michaël Lessard
Somme Toute
266 pages

La langue est influencée par la société, elle comporte donc plusieurs mots et expressions sexistes qui sont compilés dans ce « dictionnaire » engagé. Cet ouvrage, qui nous change des dictionnaires « dits » objectifs, est l’œuvre d’un collectif d’auteures féministes qui traque le sexisme dans plusieurs mots que nous ne remettons plus en question tellement ils font partie de l’usage courant. Prenez le mot gouine. Il remonte à 1762 et à l’origine, il faisait référence à « une femme de mauvaise vie ». Beaucoup plus tard, on l’a employé pour parler d’une lesbienne. Ce n’est pas un mot neutre, il est chargé d’un jugement moral. On doit le mot frigide, l’insulte suprême utilisée par des hommes pour décrire une femme dont le désir ne répond pas au leur, à ce cher Freud qui a largement contribué au vocabulaire sexiste. Il faut remercier Shere Hite et son rapport sur la sexualité féminine de nous avoir délivrées de ce mythe tenace.

— Nathalie Collard, La Presse

Essai 

Le futur proche

Homo deus Une brève histoire de l’avenir
Yuval Noah Harari
Albin Michel
463 pages

Dans Sapiens, l’historien israélien nous avait raconté rien de moins que l’histoire de l’humanité. Une somme de connaissance assez incroyable qui est devenue un best-seller mondial grâce au talent de vulgarisation de son auteur. Harari nous revient avec une suite, d’abord publiée en hébreu en 2015. Cette fois, l’historien tourne son regard vers l’avenir. Qui est cet Homo deus qui lui a inspiré le titre ? Une espèce de surhomme aux super pouvoirs qui pourrait bien accéder à la vie éternelle grâce à sa maîtrise de la technologie. Une des questions centrales du livre donne froid dans le dos : quelle sera la place de l’humain dans ce nouveau monde de plus en plus dominé par la technologie et les algorithmes ? Si vous vous inquiétez de la dépendance de l’humain à son téléphone mobile, vous n’aimerez pas les propos de l’auteur qui prédit une interdépendance beaucoup plus grande du cerveau humain à l’ordinateur. Certains passages de ce livre passionnant nous font craindre les prochaines années. Un livre à lire les jours où on se sent particulièrement solide et optimiste. — Nathalie Collard, La Presse

Essai 

La petite histoire de la science-fiction québécoise

Petit guide de la science-fiction au Québec
Jean-Louis Trudel
Alire
174 pages 

En mars dernier, on vous avait présenté dans ces pages un grand dossier consacré à la science-fiction. Les éditions Alire nous avaient alors annoncé la parution prochaine d’un petit guide consacré à la production québécoise. C’est chose faite, et le guide est désormais en librairie. Il a été rédigé par un grand expert du genre, Jean-Louis Trudel, docteur en philosophie des sciences, diplômé en physique et en astronomie, auteur, traducteur et critique. Dans ce guide, l’auteur raconte l’évolution de la science-fiction au Québec, des origines à la production actuelle. On y apprend que Jules Verne a été une grande influence, que la production littéraire a traversé une crise au milieu du XXsiècle, avant de connaître une renaissance dans les années 70. Vous découvrirez qui sont les auteurs phares, les œuvres marquantes, les grands courants. Le livre compte aussi plusieurs illustrations. Un incontournable pour les amateurs de science-fiction et pour quiconque s’intéresse aux différents genres littéraires. C’est un livre à conserver dans sa bibliothèque.— Nathalie Collard, La Presse

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