Chronique Québec solidaire en congrès

La bête à deux têtes

Québec solidaire est une bête à deux têtes, et je ne parle pas du duo Massé-GND. C’est un parti qui oscille entre le pragmatisme le plus roué et l’angélisme le plus illuminé.

L’une de ses têtes manifeste une froide aptitude au calcul politique : ainsi, malgré le fait qu’environ la moitié de ses membres soit réticente ou hostile à la souveraineté, Québec solidaire (QS) s’allie à Option nationale pour se donner une étiquette plus indépendantiste, dans l’unique but d’attirer les électeurs péquistes de gauche ou les souverainistes fâchés de voir le référendum reporté à un deuxième mandat. C’est le QS de la « realpolitik », dure, sans merci… et réaliste.

Son autre tête est tellement angélique qu’elle a dépassé la simple rectitude politique pour alunir quelque part dans la stratosphère, à des années-lumière de l’électorat.

Un exemple frappant : pour porter avec encore plus d’emphase la cause des « personnes binaires et transgenres », les délégués au congrès de Québec solidaire ont amendé un bloc de résolutions qui concernaient spécifiquement les femmes, pour placer ces dernières sur le même pied que les « personnes binaires ou transgenres ». Incroyable, venant d’un parti qui s’est toujours défini comme féministe. Qu’en penserait Françoise David ?

Reportons-nous donc à samedi dernier, alors que les délégués étudiaient attentivement le cahier de résolutions qui formeront leur plateforme électorale.

Comme d’habitude dans les assemblées de QS, au lieu d’avoir un micro « pour » et un micro « contre », on a un micro « femmes » et un micro « hommes ».

Mais cette année, il y a un troisième micro, destiné aux « binaires », plus précisément aux transgenres (naguère appelés transexuels). Inutile de dire que si les files s’allongent derrière les micros sexués, le micro « binaire » n’est pas très achalandé. En trois heures, il ne voit se présenter qu’une seule personne, qui porte un prénom féminin et explique être devenue femme à un âge relativement avancé.

Cette dernière a contribué à faire diluer les résolutions présentées par la commission féminine du parti. Le concept d’« égalité entre les sexes » est remplacé par l’« égalité et la diversité des genres ». La différenciation sexuelle, de même que les mots « homme » et « femme », sont biffés au profit de la référence aux « genres ». Dans la plateforme de QS, les femmes (52 % de la population, aux dernières nouvelles) seront considérées comme une minorité parmi d’autres.

Nombre de femmes se sont succédé au micro « femme » pour faire valoir l’importance de conserver à QS sa « spécificité féministe », mais elles ont été battues à plate couture.

Il aurait pourtant été facile de voter des résolutions d’appui spécifiques aux transgenres. Pourquoi fallait-il faire tomber les références spécifiques à la condition féminine ou plus précisément, pour emprunter le lexique à la mode, à la condition des femmes nées femmes, socialisées comme femmes et qui sont restées femmes toute leur vie ? Cela fait un gros, très gros groupe, me semble-t-il…

Autre épisode angélique, les délégués ont fait la fine bouche devant une résolution provenant de la Gaspésie, qui demandait une valorisation des nouveaux produits de la mer. La perspective de voir encore plus d’ « animaux » (sic) dans les assiettes québécoises, au détriment du tofu et du quinoa chers au cœur du militant solidaire, répandit un grand malaise dans l’assemblée. Le malaise s’atténua un peu quand un délégué fit remarquer que par « produits de la mer », on entendait aussi par exemple les algues. Ouf ! La vertu était sauve mais la résolution, rapporte un collègue, est passée par un cheveu.

Les « solidaires » ne sont toutefois pas entièrement sourds à ce que l’on pense d’eux. Visiblement piqués par les moqueries provoquées par une résolution prônant l’éradication du mot « patrimoine », ils l’ont envoyée aux calendes grecques, passant outre à l’appel de la députée Manon Massé, pour qui le patrimoine renvoie à l’affreux mot de « père » et « reflète la domination du masculin ».

Cela dit, le plat de résistance, au menu du congrès, était cette résolution de fusion avec Option nationale (ON), le groupuscule qui réunit des indépendantistes orthodoxes. Pour éviter d’étaler sur la place publique les objections de nombreux militants hostiles ou réticents envers l’idée d’indépendance, la direction de QS a fait voter la fusion à huis clos, et tant pis pour la « transparence » dont ce parti aime tant se vanter.

Mais le malaise était perceptible lorsqu’on a discuté des six résolutions tirées du programme d’ON que la commission politique de QS proposait d’inclure à son programme pour sceller les fiançailles. Plusieurs délégués ont fait valoir que les deux résolutions sur la langue n’étaient pas assez « inclusives » et qu’elles risquaient d’indisposer la communauté anglophone et les immigrants, qu’on espère séduire d’autant plus que les libéraux se sont discrédités auprès de ces derniers avec la loi 62 sur le niqab.

On a donc défait la résolution qui voulait limiter l’expansion du réseau scolaire anglais. Par contre, on s’est rallié, mais sans enthousiasme excessif, à la résolution stipulant que le français sera la seule langue officielle et commune.

Il va de soi que ce n’est pas pour la minuscule poignée d’électeurs « onistes » (une fraction de 1 %) que QS a souhaité avaler ON.

Il s’agissait plutôt de refaire la vitrine de QS pour lui donner une image plus résolument souverainiste, susceptible d’attirer les péquistes désenchantés. Le mariage, toutefois, ne sera consommé qu’au congrès d’ON, la semaine prochaine.

Plus tôt cette année, QS a rejeté avec mépris l’alliance que lui proposait Jean-François Lisée, préférant manifestement grignoter ce qui reste de la gauche péquiste plutôt que de risquer d’être absorbé et contaminé par un PQ jugé trop à droite.

Instantané photographique de QS, tel que je l’ai vu en action samedi dernier : de la discipline, de l’ardeur au travail, des débats menés très professionnellement, auxquels les délégués participaient poliment, sans trop d’éclats de voix.

Pas d’envolées tonitruantes et agressives, beaucoup de cette convivialité qui est l’une des marques de commerce des milléniaux. L’assemblée manifeste son appui en agitant les bras vers le haut pour accommoder notamment les malentendants.

Disons qu’il y avait là-dedans plus de Françoise David que de Michel Chartrand.

Le QS à l’œil : plusieurs vieux gauchistes reconnaissables à leur queue de cheval grisonnante et à leur barbe style années 70, plusieurs femmes d’un certain âge, genre travailleuses sociales retraitées. Mais surtout beaucoup de jeunes – étudiants, travailleurs communautaires, chargés de cours, chercheurs débutants… une sorte de mélange de CSN, de cégep, de premier cycle universitaire.

Un niveau d’instruction assez élevé. Pas de cols bleus et pas de membres établis des professions libérales.

Beaucoup de jeunes des minorités visibles, surtout d’origine haïtienne ou africaine, quelques jeunes femmes en hijab, tous francophones. Moins de minorités qu’au Parti libéral mais beaucoup plus qu’au PQ ou à la CAQ.

Bref, un petit parti qui a l’air d’avoir le vent dans les voiles, mais qui devra aller chercher d’autres têtes d’affiche pour grimper plus haut dans la faveur populaire. Manon Massé ou GND comme premiers ministres ? Improbable…

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