La Presse en Virginie Réchauffement climatique aux États-Unis

Trump sauvera-t-il Tangier ?

Leur île part à la dérive, littéralement. D’ici 40 ans, l’île de Tangier, dans la baie de Chesapeake, pourrait être complètement inondée par cette mer qui gruge, chaque année, un peu plus de son territoire. Mais ses 450 habitants n’en démordent pas : le réchauffement climatique n’a rien à voir avec le phénomène. Et ils comptent sur le président Donald Trump pour venir à leur rescousse. 

UN DOSSIER DE NOTRE COLLABORATRICE ANDRÉANE WILLIAMS

« Je ne crois pas à l’augmentation du niveau de la mer »

L’île de Tangier, dans la baie de Chesapeake, abrite l’une des plus vieilles communautés de pêcheurs des États-Unis. Son histoire et sa culture uniques lui ont même valu d’être ajoutée au registre des lieux historiques nationaux. Grugée par l’érosion et menacée par la montée des eaux, l’île pourrait cependant être engloutie d’ici 40 ans.

TANGIER — , Virginie — Sur son petit bateau de pêche, James Eskridge, le maire de Tangier, observe son île natale. Dans le port, des dizaines de barques sont amarrées à de vieux quais en bois sur pilotis, tandis que des cages à crabes sont empilées à côté des cabanes de pêcheurs délabrées. Les restes de plusieurs d’entre elles, détruites par l’ouragan Sandy en 2012, gisent encore dans le port de l’île.

À la barre de son bateau, James se dirige vers la partie nord de Tangier. Également appelée Uppards, cette portion de l’île, recouverte principalement d’herbes hautes et de sable, abritait autrefois de petites communautés de pêcheurs.

Dès les années 30, ses résidants ont cependant dû abandonner leur domicile, chassés par l’érosion de la berge et la montée du niveau de la mer. Aujourd’hui, seules les reliques des villages disparus qui jonchent encore les plages de l’île rappellent l’existence de ces communautés englouties.

« Ici, autrefois, il y avait un village appelé Canaan. Il y avait une petite école, quelques maisons, un cimetière et beaucoup d’arbres. Quand on se promène sur la plage, on peut encore y trouver des pierres tombales, des pièces de poteries, et parfois même des ossements déterrés par les vagues ! Venir dans des endroits comme celui-là nous rappelle ce qui peut nous arriver si nous n’obtenons pas la protection dont nous avons besoin », raconte James Eskridge, dont la famille, arrivée à Tangier à la fin du XVIIIsiècle, est l’une des plus anciennes de l’île.

Une île qui disparaît à vue d’œil

Depuis 1850, date de création de la première carte officielle de l’île, Tangier, qui ne compte que 450 habitants, a perdu les deux tiers de sa superficie. Aujourd’hui, l’île ne mesure plus que 3 km2.

En 1989, une première digue a été construite pour protéger l’aéroport et la partie ouest de Tangier. Depuis, ses habitants attendent impatiemment la construction d’un autre mur par les autorités fédérales pour protéger le reste de l’île. Un projet qui pourrait coûter plus de 40 millions US, selon David Schulte, biologiste marin pour le Corps des ingénieurs de l’armée des États-Unis, qui étudie Tangier depuis une quinzaine d’années.

« Ce qui m’a le plus surpris la première fois où j’ai visité l’île, c’était à quel point tout était bas par rapport au niveau de la mer. Sur la plage, on pouvait littéralement voir des gros morceaux de terre qui s’étaient détachés de la côte », raconte David Schulte, joint par téléphone à Norfolk, en Virginie.

Selon lui, l’érosion des côtes s’accélère en raison de la hausse du niveau de la mer, elle-même causée par le réchauffement climatique. Le phénomène pourrait avoir raison de l’île d’ici une quarantaine d’années si rien n’est fait.

D’après ses recherches, Tangier perdrait jusqu’à 32 000 m2 de terre chaque année. Le niveau de la mer, lui, augmenterait d’environ 5 mm par année.

« Je n’arrive pas à croire à quel point la situation s’est détériorée. Aujourd’hui, une forte tempête pourrait détruire Tangier », déplore le scientifique.

Une communauté climatosceptique

Sur l’île, traversée par de nombreux petits cours d’eau, des carcasses de chaloupes reposent en bordure des routes et plusieurs maisons sont entourées de sols inondés. Lors d’orages ou de marées hautes, il n’est pas rare que les rues étroites de l’île soient complètement submergées.

Malgré tout, la plupart des habitants de Tangier ne croient pas aux changements climatiques. 

« Je ne crois pas aux changements climatiques ni à l’augmentation du niveau de la mer, tout simplement parce que je ne le vois pas. Pour moi, le problème numéro un de l’île, c’est l’érosion », explique James Eskridge, coiffé d’une casquette de Donald Trump.

Dans le port et sur l’île, de nombreux drapeaux américains flottent au vent tandis que des pancartes soutenant la réélection de Donald Trump en 2020 ont déjà été installées sur les pelouses de quelques résidences.

De fait, 87 % des habitants de Tangier ont voté pour Donald Trump. La plupart espèrent que le président fera débloquer le projet de construction d’une deuxième digue autour de l’île.

« Je sais que Donald Trump est très occupé avec la Corée du Nord et les réformes fiscales, mais je suis sûr qu’il aidera Tangier », affirme Tommy Eskridge, le neveu du maire de Tangier.

En juin dernier, à la suite de la diffusion d’un reportage sur Tangier par CNN, le nouveau locataire de la Maison-Blanche a d’ailleurs appelé James Eskridge pour lui offrir son soutien.

« J’étais tellement surpris, se souvient James Eskridge. Nous avons parlé de la situation de Tangier et nous sommes sur la même longueur d’onde. Il m’a dit que lui non plus ne croyait pas à l’augmentation du niveau de la mer », raconte le maire de la ville, qui affirme recevoir régulièrement des lettres d’insultes pour ses positions sur les changements climatiques.

Sauver Tangier

Si certains scientifiques, comme David Schulte, se battent pour la sauvegarde de Tangier, d’autres, comme Robert Young, professeur de géologie côtière à la Western Carolina University, sont plus pessimistes.

« C’est une bataille perdue d’avance. Même si on dépense d’énormes sommes d’argent, il ne sera pas possible de sauver des endroits comme Tangier. »

– Robert Young, professeur de géologie côtière

« Notre pays est très grand et nous avons beaucoup de côtes à protéger. Nous ne pourrons pas tout sauver, et des endroits comme Tangier ne feront pas le poids face à des villes côtières comme New York et Miami qui, elles aussi, auront besoin de fonds pour combattre l’augmentation du niveau des océans », explique-t-il.

Les habitants de Tangier, eux, espèrent que la récente attention médiatique dont bénéficie leur île permettra de sauver leur communauté.

« Quand je parle de sauver Tangier, je ne parle pas seulement de sauver la terre, explique James Eskridge. Je parle de sauver ses gens, leur mode de vie et leur culture. »

Caroline du Nord

Nags Head

La côte de la Caroline du Nord, dont les plages dorées attirent chaque année des millions de touristes, pourrait bientôt n’être qu’un souvenir. Menacées par la montée du niveau des mers, de nombreuses communautés telles que Nags Head, située sur les Outer Banks, une mince bande de sable mesurant 160 km de long et formant un chapelet d’îles séparant la côte de l’État de l’océan Atlantique, pourraient être complètement inondées avant la fin du siècle, selon les estimations des scientifiques. Ces derniers prévoient en effet une augmentation du niveau des mers de 140 cm d’ici 2100.

Louisiane

Isle de Jean Charles

Les quelque 50 habitants de l’Isle de Jean Charles, dans l’État de la Louisiane, pourraient devenir les premiers réfugiés climatiques des États-Unis. Dévorée par l’érosion, affaiblie par les ouragans dans le golfe du Mexique et inondée par l’augmentation du niveau de la mer provoquée par le réchauffement climatique, la minuscule île a perdu 90 % de son territoire en près de 60 ans. Pour remédier à la situation, le gouvernement américain n’a eu d’autre choix que d’offrir une aide économique de 48 millions de dollars afin de réinstaller les habitants de l’île sur la terre ferme.

Alaska

Shishmaref 

L’Alaska est sur la ligne de front du réchauffement climatique aux États-Unis, où plusieurs communautés sont menacées par la fonte des glaces et du pergélisol ainsi que par l’érosion de la côte. C’est le cas du village côtier de Shishmaref. Situé dans une petite île de 18 km2, au nord du détroit de Béring, ce village inuit, dont la côte a reculé de 60 m en 40 ans, doit faire face à des menaces croissantes d’inondations. De nombreuses maisons se sont d’ailleurs effondrées dans l’eau tandis que plusieurs foyers ont dû déménager. Face à l’ampleur de la situation, les habitants de Shishmaref ont voté, en août 2016, pour une relocalisation complète du village vers l’intérieur du continent.

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