Gaz à effet de serre

faire sa part d’efforts sans chambouler sa vie

Pour la famille moyenne, réduire significativement ses gaz à effet de serre n’est pas la mer à boire, il suffit de faire des choix judicieux. Pour les riches, qui polluent nettement plus, c’est une autre paire de manches. Voici quelques pistes de solution pour votre ménage.

UN DOSSIER DE FRANCIS VAILLES

Couple aisé, gros train de vie

Auto deux véhicules totalisant 35 000 km par année

Avion deux voyages par année, l’un dans le Sud, l’autre en Europe

Alimentation assiette 50 % plus riche en bœuf-agneau-veau que la moyenne

Famille de 3, classe moyenne supérieure

Auto deux véhicules moyens totalisant 30 000 km par année

Avion un voyage par année dans le Sud

Alimentation consommation de bœuf comme la moyenne

Famille de 4, classe moyenne inférieure

Auto un véhicule moyen totalisant 20 000 km par année

Avion un voyage dans le Sud tous les six ans

Alimentation assiette 50 % plus riche en bœuf que la moyenne

Famille pauvre de 3

Auto aucune Avion aucun voyage en avion

Alimentation consommation de bœuf comme la moyenne 

Famille de 4, moyennement grano

Auto une voiture à essence moyenne (15 000 km) et possiblement un véhicule électrique

Avion un voyage par année, dans le Sud ou en Europe en alternance

Alimentation consommation de bœuf réduite de 66 % par rapport à la moyenne

Gaz à effets de serre

CInq ménages types

Notre chroniqueur vous présente cinq familles type et les efforts qui les attendent pour atteindre leur objectif de réduction de gaz à effet de serre.

Chronique

Les riches polluent cinq fois plus que les pauvres

On se doutait bien que les Québécois riches avaient une empreinte carbone plus grande que les pauvres, mais jamais autant. Les chiffres sont renversants.

Un couple qui mène un gros train de vie émet jusqu’à cinq fois plus de gaz à effet de serre (GES) par personne qu’une famille pauvre.

Pour réduire leurs GES d’ici 2030, les riches devront donc faire un effort beaucoup plus grand ou encore compenser de différentes façons. Et la question se pose : les gouvernements ne devraient-ils pas cibler essentiellement les riches plutôt que l’ensemble de la population pour réduire les GES ?

Pour faire la comparaison, j’ai fait le portrait de consommation de huit ménages types, des plus riches aux plus pauvres (l’onglet 2 en présente cinq). Les trois principaux postes de consommation ont été pris en compte, soit l’auto, l’alimentation et les voyages en avion. L’habitation a été exclue pour cette comparaison, notamment parce que la consommation d’électricité au Québec n’émet aucun GES, peu importe la taille du logement (1).

Voyons les chiffres : chaque année, un couple qui mène un gros train de vie est responsable de l’équivalent de 8,1 tonnes de GES par personne. C’est plus du double de la moyenne des Québécois (3,8 tonnes) et cinq fois plus qu’une famille pauvre (1,5 tonne par personne).

Les profils de consommation ont été constitués en fonction du kilométrage en auto, du nombre de voyages en avion et du type d’alimentation (2).

Par exemple, pour le couple aisé, nous avons calculé les GES émis par un voyage dans le Sud chaque année, auquel s’ajoute un séjour outre-mer durant l’été, par exemple à Paris ou à Rome. Ces deux voyages provoquent l’émission de 2,6 tonnes de GES par personne, selon mes estimations, basées sur des données de Statistique Canada.

À cela s’ajoutent les 35 000 km de route de ses deux voitures, notamment pour se rendre au chalet et au boulot. Ces deux voitures émettent l’équivalent de 3,7 tonnes par personne (3).

Enfin, dans mon scénario, ce couple aisé a une alimentation riche en viande rouge (bœuf, agneau, veau), soit un peu plus de 500 g par semaine chacun. Cette consommation de viande et des autres aliments a exigé l’émission de quelque 1,8 tonne de GES par personne. Total : 8,1 tonnes.

Évidemment, les ménages fortunés n’ont pas nécessairement une alimentation riche en viande rouge, pas plus qu’ils ne font automatiquement deux voyages par année en avion.

Leur niveau de revenus pourrait leur permettre, par exemple, de se procurer des bouteilles de vin à 40 $ plutôt qu’à 12 $, ce qui ne provoque guère plus de GES. De la même façon, ils pourraient consacrer leurs excédents de revenus à l’achat d’une voiture électrique ou à l’achat d’une propriété située plus près de leur travail, nécessitant ainsi moins de kilomètres de transport.

Il reste que les plus fortunés consomment nécessairement plus et sont donc responsables d’une plus grande quantité de GES. La logique est semblable pour les pays riches par rapport aux pays pauvres.

Dans nos scénarios, la famille pauvre de trois personnes n’a pas d’auto et ne prend jamais l’avion, si bien que ses émissions de GES s’élèvent à 1,5 tonne par personne, 62 % de moins que la moyenne.

Classe moyenne

Mes scénarios comprennent trois familles de la classe moyenne avec enfants. Par exemple, une famille de trois personnes avec deux voitures (30 000 km) et qui fait un voyage annuel dans le Sud consomme l’équivalent de 4,2 tonnes par personne, soit davantage que la moyenne (3,8 tonnes).

Par contre, une famille de quatre qui a le même profil tombe à 3,8 tonnes par personne, puisque l’émission de GES de la voiture est répartie entre quatre personnes plutôt que trois. Pour une famille de trois, une option pour descendre vers la moyenne est donc de voyager moins, par exemple tous les trois ans.

Cela dit, ce niveau moyen de 3,8 tonnes par habitant est encore nettement trop élevé par rapport à la cible de 2030. Pour atteindre la cible fixée à Paris, les GES par habitant pour l’automobile, le transport aérien et l’alimentation devraient reculer à environ 2,7 tonnes, selon mes estimations.

Cette baisse de quelque 0,9 tonne (ou 28 %) est tout à fait atteignable, selon mes scénarios, mais les familles devront mettre la main à la pâte. Comme la « vocation environnementale » n’est le lot que d’une minorité, la cible de 2030 ne sera globalement atteinte que si les gens y sont contraints, par exemple avec une taxe très dissuasive.

Les gouvernements devraient donc pénaliser les gros émetteurs de GES – souvent les plus riches – et récompenser ceux qui atteignent les cibles, par exemple en leur accordant une baisse d’impôts liée aux économies de GES.

1. L’analyse a été réalisée grâce à des données de Statistique Canada, d’Environnement Canada, de Ressources naturelles Canada, de l’ONU (GLEAM), entre autres, et à la contribution de Jean-François Boucher, de l’UQAC.

2. Outre la viande, notre analyse comprend le fromage, le poisson, le lait, les œufs et les céréales. L’émission de GES issue des fruits et légumes est somme toute marginale.

3. Par prudence, nous avons imputé à leur voiture le niveau de consommation moyen de GES par kilomètre, bien que les voitures luxueuses consomment généralement davantage.

Pas besoin de vendre sa voiture

Certains pensent que pour atteindre la cible de 2030, les consommateurs devront songer à vendre leur voiture, cesser de voyager, en plus de devenir végétaliens. Or, ce n’est pas du tout le cas. Voici des stratégies pour réduire ses gaz à effet de serre (GES) sans chambouler son mode de vie.

Certains pensent que pour atteindre la cible de 2030, les consommateurs devront songer à vendre leur voiture, cesser de voyager, en plus de devenir végétaliens. Or, ce n’est pas du tout le cas. Voici des stratégies pour réduire ses gaz à effet de serre (GES) sans chambouler son mode de vie.

L’HEURE DES CHOIX

Parmi les familles analysées, une parvient plutôt aisément à atteindre la cible de 2030 en matière de GES en maintenant un bon rythme de vie. Pour parvenir à atteindre cette cible de 2,7 tonnes par personne, soit 29 % sous la moyenne, elle a cependant dû faire des choix.

Lesquels ? D’une part, cette famille de quatre ne conduit qu’une seule voiture à essence de grosseur moyenne, à raison de 15 000 km par année. Si besoin est, ses membres font du covoiturage, misent sur les transports en commun ou encore optent pour une deuxième voiture électrique. Cette décision permet d’abaisser de moitié leur consommation de GES liée au transport automobile, à 0,9 tonne par personne.

En matière d’alimentation, la solution familiale passe par une réduction de 66 % de la consommation de bœuf, remplacé par des légumineuses, des céréales et du tofu. Ainsi, plutôt que de manger hebdomadairement 325 g de bœuf par semaine, leur consommation est réduite à environ 110 g. Total pour l’alimentation : 0,7 tonne de GES.

Ces « sacrifices » leur permettent de s’offrir un voyage en avion par année, soit en Europe, soit dans le Sud, en alternance, ce qui génère 1,12 tonne par personne.

Grand total GES : 2,6 tonnes par personne, soit légèrement moins que notre cible de 2030, de 2,7 tonnes.

Une deuxième voiture, mais un voyage de moins

Maintenant, certains pourraient juger trop restreignant le faible nombre de kilomètres en voiture. Pour se permettre une deuxième auto (11 000 km) tout en demeurant sous la cible de 2030, il suffit à cette famille de quatre personnes d’espacer les voyages à tous les deux ans.

Autre option valable pour les familles de quatre, cette fois pour les carnivores : une seule voiture (15 000 km), un voyage tous les deux ans, mais une consommation de bœuf réduite de seulement 12 % plutôt que de 66 %.

Bref, réduire ses GES exige de faire des choix, mais on est très loin d’une vie d’ascète.

Ce genre de solutions est évidemment plus facile à atteindre pour les citadins que les gens en région, plus dépendants de la voiture. Elle est aussi plus réalisable pour ceux qui sont déjà économes en GES que pour ceux qui ne s’en soucient guère.

Il va sans dire, par exemple, que le couple aisé qui fait ses 35 000 km de voiture annuellement, ses deux voyages et dont l’alimentation est riche en viande rouge ne parviendra pas à changer radicalement son mode de vie. Son niveau de consommation est de 8,1 tonnes par personne, deux fois plus que la moyenne.

Dans ce cas, il faudrait se départir des deux voitures à essence, en plus de réduire de moitié les longs voyages et de 50 % la viande de bœuf.

Acheter des arbres

Autre solution moins radicale : compenser les émissions excédentaires de GES en finançant des projets réducteurs de carbone ou qui absorbent du carbone. Par exemple, pourquoi ne pas contribuer à la plantation d’arbres ?

Le projet Carbone Boréal, de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), répond à la norme ISO 14064, qui certifie la compensation de GES avec sa plantation d’arbres. Par exemple, un couple qui fait l’aller-retour Montréal-Paris devrait financer la plantation de 47 arbres pour compenser, ce qui se traduit par une facture de 182 $. Pas si cher quand on a les moyens de se rendre aussi loin !

Étant donné l’improbable mouvement généralisé de contribution volontaire, le gouvernement devra adapter sa fiscalité pour pénaliser les surconsommateurs de GES et récompenser les économes.

Des solutions par secteur

Auto

La cible : réduire les GES des déplacements automobiles de 28 % d’ici 2030, soit de 1,88 tonne à 1,35 tonne par habitant. D’abord, les conducteurs bénéficient des avancées technologiques lors du remplacement de la voiture. Entre les années modèles 2012 et 2017, par exemple, les constructeurs ont réduit l’émission de GES d’environ 9 %, en moyenne, selon un échantillon tiré des données de Ressources naturelles Canada. Ne reste plus qu’une réduction de 19 %, environ. Tant qu’à changer de véhicule, pourquoi ne pas choisir moins énergivore ? Les entrepreneurs qui doivent absolument rouler en Dodge RAM, par exemple, pourraient prendre un six cylindres plutôt qu’un huit, économisant ainsi 21 % de GES. À savoir : une voiture hybride réduit la consommation de GES de 75 %.

Habitation

Les GES du secteur résidentiel ont beaucoup diminué, mais ils sont tout de même de 0,54 tonne par habitant au Québec. Ce volume vient notamment des maisons encore chauffées au mazout. Leur conversion vers l’hydroélectricité réduirait ce bilan, puisque la consommation d’hydroélectricité n’émet pas de GES. Autre stratégie habitation-auto : se rapprocher du travail pour diminuer le kilométrage de ses déplacements. Par exemple, un lieu de travail plus près pourrait permettre de réduire de 20 % le kilométrage des deux véhicules d’une famille (de 30 000 km à 24 000 km, par exemple), contribuant grandement à attendre la cible pour l’auto (-28 % d’ici 2030).

Alimentation

D’ici 2030, il faudrait réduire ses GES alimentaires de 28 % par habitant (de 1,48 tonne à 1,06 tonne). Cet objectif passe nécessairement par une moins grande consommation de bœuf, puisque le bœuf représente environ la moitié de ces émissions de GES. Pour y arriver, deux scénarios suggérés. Le premier : réduire sa consommation de bœuf d’environ la moitié, soit de 325 g à environ 165 g par semaine, qu’on compense avec des légumineuses, du tofu et des céréales. Le deuxième : pour ceux qui raffolent du bœuf, songez plutôt à réduire la consommation de toute viande de 30 %, encore une fois compensée par d’autres aliments riches en protéines.

Avion

Pour atteindre la cible de 2030, chaque habitant devrait réduire ses GES de 40 % pour le transport aérien (de 0,52 tonnes à 0,31 tonne), compte tenu de l’explosion des voyages et de la croissance de la population. Il faudrait donc supprimer deux voyages sur cinq, environ, ce qui est fort ambitieux. Il y a cependant d’autres moyens. Un couple qui tient mordicus à voyager beaucoup pourrait, dans la vie de tous les jours, se déplacer seulement en transports en commun ou en auto électrique. Une autre façon d’atteindre l’objectif serait de financer des projets réducteurs de carbone ou qui absorbent du carbone, comme la plantation d’arbres.

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