Opinion Jocelyn Coulon

Les Syriens attendent autre chose que des bombes

Une image, dit-on, vaut mille mots. Samedi, le quotidien britannique Financial Times publiait en première page, une photo où l’ambassadeur russe aux Nations unies faisait la bise à son homologue américaine. C’était quelques minutes avant que les deux diplomates ne s’affrontent vendredi sur la situation en Syrie et que les bombes ne tombent sur les environs de Damas et de Homs.

Pour ceux, nombreux, qui croient que nous sommes déjà engagés dans une nouvelle guerre froide et que les deux grandes puissances sont à un doigt d’un conflit militaire direct, cela avait un côté rassurant.

Pour autant, le débat au Conseil de sécurité sur la Syrie n’a rien donné, comme c’est à peu près toujours le cas depuis le début du conflit en mars 2011. Américains et Russes campent sur leurs positions et, par le fait même, prolongent le conflit pour le plus grand malheur des Syriens. 

La bordée de missiles lancée par les puissances occidentales a sans doute pulvérisé quelques édifices censés abriter des armes chimiques, mais elle ne représente même pas le début du commencement d’une solution.

Une évidence se dégage sur le terrain : le gouvernement syrien reprend progressivement le contrôle du territoire et de la population grâce à l’action conjuguée de ses alliés iraniens et russes et à l’éclatement de l’opposition. Il est temps pour les Occidentaux d’en prendre acte et d’agir en conséquence en déplaçant le règlement du conflit dans l’arène politique.

Le vœu est facile à formuler et semble impossible à atteindre tant le conflit ressemble à un millefeuille où chaque couche recèle un problème aussi inextricable qu’insoluble.

Et c’est vrai que les parties négocient déjà depuis plusieurs années sans jamais parvenir à faire des progrès sur la plupart des questions en litige.

On connaît pourtant les contours d’une solution, solution qui a émergé en 2015 avec l’adoption d’une feuille de route par le Conseil de sécurité. Celle-ci prévoit l’instauration d’un cessez-le-feu, l’acheminement de l’aide humanitaire, des pourparlers entre le régime et l’opposition pour la mise sur pied d’une «  gouvernance crédible, inclusive et non sectaire  », l’élaboration d’une nouvelle Constitution, puis l’organisation d’élections «  avec le niveau le plus élevé de transparence sous la supervision des Nations unies  ».

Cette feuille de route laisse toutefois entière la question du sort du président Bachar al-Assad.

Au-delà des arrangements politiques, le pays doit aussi s’engager dans une reconstruction qui risque de se révéler un véritable casse-tête. Des voix s’élèvent en Syrie et chez les Syriens de l’étranger afin que cette reconstruction ne se limite pas simplement aux contrats de bétonnage. Il faudra aussi, disent plusieurs, établir la responsabilité des atrocités et des violations perpétrées pendant la guerre, indemniser les victimes et assurer un droit de retour aux cinq millions de réfugiés et aux six millions de déplacés. C’est donc d’un véritable plan Marshall économique, politique et humanitaire qu’a besoin la Syrie pour se relever.

Enfin, et c’est sans doute l’aspect le plus délicat du conflit, il faudra réunir autour de la même table les parrains étrangers dont les malfaisances ont aggravé et prolongé les hostilités. Toute la difficulté de cet exercice sera de réconcilier les intérêts souvent divergents de ces parrains, dont certains sont membres de la même coalition.

La Turquie fait de plus en plus cavalier seul face à ses « amis  » américain et saoudien, et la Russie ne peut entièrement brider les ambitions hégémoniques de l’Iran, qui se voit en nouveau gendarme de la région.

Sept années de guerre, c’est beaucoup pour un seul peuple. Ce n’est pourtant pas rare au Proche-Orient où les Libanais ont subi pendant 15 ans les querelles de leurs factions et clans politiques. À bout de souffle, ils ont fini par accepter un compromis politique qui leur a permis de rebâtir leur pays. Souhaitons pour les Syriens qu’ils n’attendent pas aussi longtemps.

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