Conciliation travail-famille

Une nouvelle loi recommandée sur fond de dissidence

QUÉBEC — La Loi sur les normes du travail est « nettement insuffisante » pour faciliter la conciliation travail-famille et doit être revue, conclut un comité créé par le gouvernement, à l’issue de débats qui ont tourné au vinaigre. L’un des groupes patronaux représentés, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), a claqué la porte, refusant de cautionner une telle proposition.

La Presse a obtenu copie d’un « document de travail », quasi final, du Comité consultatif famille (CCF). Ce document doit faire l’objet d’une dernière approbation demain pour devenir un avis formel. Créé sous le gouvernement Marois, le CCF a reçu la bénédiction des libéraux pour poursuivre ses travaux après les élections générales de 2014. Il est chargé de « proposer des orientations pour les prochaines années » en matière de conciliation travail-famille et de cerner des « mesures prioritaires ».

À l’exception du régime québécois d’assurance parentale, « les autres dispositions prévues à la Loi sur les normes du travail sont jugées nettement insuffisantes pour permettre aux travailleuses et aux travailleurs de concilier travail et famille tout en s’adaptant aux nouvelles réalités du marché du travail », comme les horaires atypiques, lit-on dans le document de 36 pages. Il recommande donc de la réviser.

Cinq cibles

Le CCF ne propose pas de mesures précises, mais il cible « cinq aspects de la loi au cœur de la problématique de la conciliation travail-famille » :

– la durée de la semaine normale de travail, habituellement de 40 heures ;

– le calcul des heures supplémentaires qui débute après plus de 40 heures de travail et qui ne prévoit pas de limites, même si le salarié peut refuser de travailler au-delà de 50 heures ;

– le nombre « jugé insuffisant de congés annuels et de jours fériés (21 jours) ;

– la durée des vacances établie en fonction de la période de service continu du salarié et pour lequel l’employeur a le privilège de fixer la date des vacances sans égard à sa situation familiale ;

– les congés pour obligations parentales ou familiales qui donnent droit à 10 jours par année sans salaire, que l’on peut fractionner avec l’autorisation de l’employeur.

RÉVISION SOUHAITÉE, MAIS PAS PAR TOUS 

Le CCF souligne que près de deux millions de salariés n’ont que cette loi pour encadrer leurs conditions de travail. La dernière révision de cette législation remonte à 2003.

« La majorité des membres du CCF considèrent que l’approche incitative a atteint ses limites et qu’une révision de la loi permettrait d’aider les travailleuses et les travailleurs à mieux concilier leurs responsabilités professionnelles et familiales », soutient-on.

Le document parle de « la majorité des membres » puisque la FCEI a décidé « de se retirer du comité ». 

« Elle s’oppose à toute réglementation ou législation additionnelle visant à contraindre davantage les entreprises en matière de conciliation travail-famille », explique-t-on. La FCEI se dissocie d’une autre recommandation du comité, qui plaide pour l’adoption d’une loi-cadre « visant l’engagement des employeurs à établir un dialogue sur la conciliation travail-famille avec leur personnel ».

En entrevue à La Presse, la vice-présidente de la FCEI, Martine Hébert, a confirmé le retrait de son organisation. « On jugeait qu’il y avait un déséquilibre important dans la composition du comité. À l’exception du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec, on était le seul représentant des employeurs sur ce comité. On considérait que les discussions ne pouvaient pas mener à des solutions équilibrées », a-t-elle plaidé. Les syndicats et les groupes communautaires sont plus nombreux au sein du CCF.

Le Regroupement des jeunes chambres de commerce en est toujours membre, mais personne n’a pas voulu répondre aux questions de La Presse au cours des derniers jours.

Selon Martine Hébert, le CCF « dédouble l’action de groupes de travail gouvernementaux qui sont plus représentatifs des milieux patronal, syndical et communautaire ». Elle fait allusion, entre autres, à la Commission des partenaires du marché du travail.

Pour la FCEI, il n’est pas démontré que la Loi sur les normes du travail ne suffit plus à permettre aux parents de concilier leurs obligations professionnelles et familiales. 

« Au plan législatif, on estime qu’il y en a suffisamment au Québec en matière de conciliation travail-famille », affirme Mme Hébert.

De façon volontaire, « la grande majorité des membres » de la FCEI adoptent des mesures pour faciliter la vie à leurs employés qui ont des enfants, notamment des horaires de travail flexibles. C’est un moyen d’attirer et de retenir la main-d’œuvre, a-t-elle ajouté.

Recommandations

Du ministère à l'employeur

– Déployer une stratégie de communication pour « déconstruire les stéréotypes de genre relativement au partage des responsabilités familiales » et « positionner la conciliation travail-famille comme une responsabilité collective plutôt qu’individuelle », et démontrer que cet enjeu repose sur une stratégie gagnant-gagnant », employés-employeurs.

– Faire du ministre de la Famille le responsable du dossier de la conciliation travail-famille au sein du gouvernement.

– Examiner différents scénarios permettant d’offrir du soutien aux proches aidants afin de réduire les impacts sociaux et financiers qu’ils subissent.

– Accroître les efforts de sensibilisation auprès des employeurs.

Recommandations

Pour une « obligation d’accommodement »

« Au Québec, aucune disposition n’est prévue pour donner le droit aux employés de négocier l’aménagement de leur temps et/ou de leur lieu de travail pour des raisons familiales », déplore le Comité consultatif famille. Au Canada, la loi sur les droits de la personne prévoit que la « situation de famille » est un motif de discrimination. La Charte québécoise a une portée plus limitée et interdit la discrimination en fonction de « l’état civil ». Elle doit être revue, selon le Comité. Ainsi, un employeur serait tenu de répondre à un employé qui lui demande, par exemple, de modifier son horaire pour s’adapter à ses obligations familiales. La demande ne devrait pas entraîner de « contraintes excessives » pour l’employeur, en matière de coûts et d’organisation du travail, par exemple.

Recommandations

Un extrait du document

« Plusieurs entreprises contribuent déjà à l’adoption de bonnes pratiques en matière de conciliation travail-famille, mais il faut, pour d’autres, les encourager à faire davantage. Le CCF est d’avis que la sensibilisation des milieux de travail et de la population en général est toujours utile, mais qu’il faut maintenant poser des gestes plus significatifs. C’est pourquoi le CCF est favorable à l’adoption d’une loi-cadre en la matière. Il est toutefois conscient que celle-ci soulève encore de nombreuses interrogations et, à certains égards, une opposition des représentants des associations patronales. Le CCF pense qu’un dialogue est essentiel pour faire progresser le Québec vers une autre étape. Le statu quo n’est plus acceptable pour répondre adéquatement aux besoins des familles québécoises. »

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